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Alourdies par l’utilisation de médicaments phares pour le traitement de maladies chroniques courantes, les dépenses en médicaments sur ordonnance au Canada ont affiché des taux d’augmentation supérieurs à 10 % au début des années 2000.

À la fin de la décennie, les taux d’augmentation avaient passé sous la barre psychologique des 10 %, un grand nombre de ces médicaments ayant perdu la protection de leur brevet et été remplacés par des médicaments génériques à prix plus modique. En dépit de ce ralentissement, il ressort de l’analyse annuelle de ESI Canada sur les tendances en la matière que les dépenses en médicaments progressent plus rapidement d’une année à l’autre au Québec que dans le reste du pays. Un certain nombre de facteurs l’expliquent, notamment la plus forte augmentation de la consommation de médicaments par demandeur, l’adoption plus lente des nouveaux médicaments génériques et le plus grand recours aux médicaments spécialisés, dans la province.

Le Québec continue à devancer le reste du Canada au chapitre des dépenses…

Au début de la décennie, les dépenses moyennes en médicaments par demandeur, au Canada, se montaient à 329 $. Elles ont plus que doublé depuis. En 2009, elles atteignaient 736 $, en hausse de 5,4 % par rapport à l’année précédente.

Une comparaison régionale révèle toutefois que ces dépenses étaient les plus élevées au Québec, soit 750 $, en hausse de 6,8 % par rapport aux 702 $ de 2008. Dans le reste du Canada, la hausse s’est chiffrée à 4,8 % en 2009, ce qui correspond à un montant par demandeur de 730 $.

La hausse des dépenses en médicaments au Québec en 2009 tient largement à une plus forte augmentation de la consommation moyenne par demandeur. Le nombre moyen d’ordonnances par demandeur, au Québec, a été de 15,8 en 2009, soit 0,6 ordonnance de plus qu’en 2008.

Hors Québec, le nombre moyen d’ordonnances a été de 10,7 l’an dernier, soit seulement 0,1 ordonnance de plus qu’en 2008. La plus faible augmentation de la consommation hors Québec a été causée par l’accroissement du nombre moyen de jours d’approvisionnement par ordonnance, pour les médicaments destinés au traitement des maladies chroniques. Parallèlement et comme on le constate chaque année, le nombre moyen de jours d’approvisionnement par ordonnance en général est moins élevé au Québec que dans le reste du Canada (26,6 jours contre 40), ce qui s’explique essentiellement par des pratiques différentes d’exécution des ordonnances.

Économies possibles du côté des médicaments génériques…

Même s’il existe maintenant des versions génériques d’un grand nombre des médicaments phares de la fin des années 1990 et du début des années 2000 (Losec pour les ulcères et le reflux gastro-oesophagien, Zocor pour le taux élevé de cholestérol et Effexor pour la dépression, par exemple), les médicaments génériques sont moins utilisés au Québec que dans le reste du pays. En 2009, ils représentaient seulement 42 % des médicaments prescrits au Québec, contre près d’un sur deux (49 %) dans le reste du Canada. Cette différence est causée en grande partie par une méconnaissance des médicaments génériques dans la province. Le secteur privé tend par ailleurs à suivre la règle de 15 ans de la RAMQ sur le remboursement des médicaments de marque, qui a pour effet de limiter le recours aux médicaments génériques.

Selon l’Association canadienne du médicament générique (ACMG), cette règle prolonge d’en moyenne trois ans la protection d’un brevet, ce qui diffère les réductions de prix. En ayant davantage recours aux médicaments génériques, le Québec pourrait largement bénéficier du fait qu’un grand nombre de médicaments vont perdre leur brevet dans les prochaines années et aussi de la réforme des régimes de médicaments amorcée dans diverses provinces.

La réduction du prix des médicaments génériques récemment proposée en Ontario profitera aussi aux résidents du Québec, les fabricants étant tenus par la loi provinciale de s’aligner sur le prix le plus bas en vigueur au Québec. Si les gouvernements provinciaux s’attaquent actuellement aux prix des médicaments génériques, c’est essentiellement parce qu’un grand nombre de médicaments vont perdre la protection de leur brevet au cours des quatre à cinq prochaines années. ESI Canada estime que plus de 25 % des médicaments utilisés en 2009 deviendront accessibles sous forme de médicaments génériques pendant cette période.

Le Tableau 1 indique les 10 principaux médicaments utilisés au Québec en 2009 (en fonction des dépenses). Le Lipitor, qui arrive en tête, devrait devenir générique pendant la deuxième moitié de 2010. Le Crestor et le Nexium emboîteront le pas en 2012 et en 2014 respectivement. Il sera important de maximiser les économies permises par les médicaments génériques pour mitiger la hausse prévue des dépenses en médicaments spéciaux.

Tableau 1. Les 10 principaux médicaments utilisés au Québec, par rapport au reste du Canada – 2009

Rang (Québec) Rang (RC) Médicament
(nom générique)
Usage(s) courant(s) Coût annuel moyen par demandeur
1 1 Lipitor (atorvastatin) Taux élevé de cholestérol 800 $
2 3 Remicade (infliximab) PR, maladie de Crohn, autres 32 000 $
3 2 Crestor (rosuvastatin) Taux élevé de cholestérol 650 $
4 7 Effexor + médicaments génériques (venlafaxine) Dépression 450 $
5 4 Nexium (esomeprazole) Reflux gastro-oesophagien, ulcères d’estomac 800 $
6 5 Enbrel (etanercept) PR, polyarthrite psoriasique, autres 23 000 $
7 12 Pantoloc + médicaments génériques (pantoprazole) Reflux gastro-oesophagien, ulcères d’estomac 500 $
8 13 Avonex & Rebif (interferon beta-1A) Sclérose en plaques 20 000 $
9 28 Ritalin + médicaments génériques (methylphenidate) Déficit de l’attention 450 $
10 6 Norvasc + médicaments génériques (amlodipine) Hypertension artérielle, autres MC 350 $

Classement selon le coût total (c’est-à-dire le montant total admissible, qui comprend le prix des ingrédients, la majoration et les frais d’exécution d’ordonnance)
Prix tirés de la base de données sur les médicaments de ESI Canada; prix génériques, s’il y a lieu.
RC = Reste du Canada; PR = Polyarthrite rhumatoïde; MC = Maladies cardiovasculaires

Consommation accrue de médicaments spécialisés…

En plus de consommer plus de médicaments de marque que les autres Canadiens, les résidents du Québec ont aussi davantage recours aux médicaments spécialisés. Dans le Tableau 1, trois des dix principaux médicaments utilisés au Québec sont en effet des médicaments spécialisés (Remicade, Enbrel et Avonex/Rebif). Dans l’ensemble, les médicaments spécialisés ont représenté 19 % des dépenses en médicaments au Québec en 2009, contre 15 % dans le reste du Canada. Il faut noter aussi que les deux tiers des dépenses en médicaments spécialisés au Québec touchent des médicaments couverts par la RAMQ à titre de médicaments d’exception.

À l’échelle nationale, la consommation de médicaments spécialisés augmente de 14 % par an, alors que celle des médicaments non spécialisés n’augmente que de 4 %. Les médicaments pour la polyarthrite rhumatoïde et les anticancéreux sont les deux catégories de médicaments spécialisés dont la consommation augmente le plus rapidement à l’échelle nationale et au Québec. Les médicaments pour la polyarthrite rhumatoïde (Remicade, Enbrel, Humira) bénéficient toujours d’une consommation croissante et d’un usage élargi. D’autres médicaments ont toutefois fait leur apparition dans cette catégorie en 2009, à savoir le Cimzia (certolizumab) et le Simponi (golimumab). De plus en plus d’anticancéreux par voie buccale continuent en outre d’arriver sur le marché, comme le Tykerb (lapatinib) pour le cancer du sein métastatique et l’Afinitor (everolimus) pour le cancer du rein métastatique. Ces médicaments augmentent les coûts des promoteurs; en effet, les patients peuvent maintenant être traités à domicile, alors qu’il y a dix ans ils devaient subir à l’hôpital une chimiothérapie intraveineuse. Les anticancéreux sont les médicaments sur lesquels les sociétés pharmaceutiques concentrent leurs recherches, plus de 60 molécules anticancéreuses se trouvant maintenant dans leurs derniers stades de développement.

Les 10 problèmes de santé les plus courants n’ont pas changé au Québec en 2009 (Tableau 2) et comptent pour le même pourcentage des dépenses totales en médicaments que dans le reste du Canada (60,1 % et 61,3 % respectivement). Comme nous l’avons déjà noté, le Québec fait appel à un plus grand éventail de médicaments de marque et de médicaments spécialisés. Le tableau ci-après révèle que les médicaments génériques y sont moins utilisés que dans le reste du Canada pour les divers problèmes de santé (autres que le diabète). Par ailleurs, les médicaments spécialisés pour la polyarthrite rhumatoïde et la sclérose en plaques se situent à un rang plus élevé au Québec que dans le reste du Canada et représentent aussi un pourcentage plus important des dépenses totales en médicaments.

Tableau 2. Les 10 problèmes de santé les plus courants au Québec, par rapport au reste du Canada – 2009

Rang (Québec) Rang (RC) Problème de santé % des dépenses en médicaments (Québec) % des dépenses en médicaments (RC) Taux d’utilisation des médicaments génériques (Québec) Taux d’utilisation des médicaments génériques (RC)
1 1 Hypertension artérielle 10,1 % 10,8 % 40,6 % 61,0 %
2 2 Taux élevé de cholestérol 9,9 % 9,9 % 11,1 % 14,9 %
3 5 Dépression 6,7 % 6,5 % 63,5 % 79,4 %
4 6 Polyarthrite rhumatoïde 6,5 % 5,9 % 4,0 % 13,0 %
5 4 Ulcère/reflux gastro-oesophagien 5,6 % 6,6 % 37,3 % 61,3 %
6 7 État nécessitant la prise d’antibiotiques/anti-infectieux 5,3 % 5,4 % 68,7 % 81,8 %
7 3 Diabète 4,9 % 6,7 % 58,4 % 57,4 %
8 8 Asthme/MPOC 4,3 % 5,2 % 29,8 % 35,4 %
9 14 Sclérose en plaques 3,5 % 2,1 %
10 11 Contrôle des naissances 3,3 % 2,2 % 2,0 % 13,6 %

Rang selon le coût total (c’est-à-dire le montant total admissible, qui comprend le prix des ingrédients, la majoration et les frais d’exécution d’ordonnance)
RC = Reste du Canada

Tendances dans la consommation de médicaments au Québec…

Le Québec devrait profiter de l’expiration prochaine des brevets de nombreux médicaments de marque, ainsi que de la réduction du prix des médicaments génériques dans d’autres provinces. Ces économies ne pourront toutefois être réalisées sans un contrôle approprié des prix. De plus, les promoteurs devront encourager le plus possible les participants à utiliser des médicaments génériques pour que la règle de 15 ans ne retarde pas le recours à ces médicaments.

En ce qui concerne les médicaments spécialisés, il s’agit dans bien des cas de médicaments couverts à titre d’exception par la RAMQ, qui sont normalement pris en charge au Québec par les régimes privés, sans restrictions. Il serait utile d’adopter des critères cliniques semblables à ceux de la RAMQ pour le remboursement de ces médicaments afin de minimiser toute utilisation non rentable. Pour ce qui est de l’évolution des dépenses en médicaments au Québec, la question est de savoir si la réduction des prix des médicaments génériques suffira à compenser l’augmentation annuelle des dépenses en médicaments spécialisés et médicaments de marque.

Cory Cowan, Pharm. D., est directeur, Produits et services Cliniques, pour ESI Canada

* Les opinions et idées exprimées dans cet article sont celles de l’auteur. Elles n’ont pas étés influencés par Avantages, Les éditions Rogers, le commanditaire ou tout autre annonceur associé à ce site.