La dépression est depuis l’an dernier la première cause d’invalidité dans les pays industrialisés. D’ici 2020, elle le sera à l’échelle mondiale, prédit l’Organisation mondiale de la santé (OMS). Ce fléau est-il la conséquence d’une qualité de vie qui se détériore dans les milieux de travail ?

« On ne doit pas penser uniquement aux gens absents. Il faut aussi se soucier d’améliorer la qualité de vie professionnelle des 45 à 65 % d’employés en bonne santé psychologique », a soutenu le professeur de management et titulaire de la Chaire en gestion de la santé et de la sécurité du travail à l’Université Laval, Jean-Pierre Brun, en ouverture du Rassemblement pour la santé et le mieux-être en entreprise qui s’est déroulé le mois dernier à Montréal. Car à en croire les employés, les conditions de travail se détériorent plus rapidement qu’elles ne s’améliorent dans les entreprises, a-t-il indiqué.

Selon une étude de l’American Psychological Association (APA), le facteur de stress le plus prédominant chez les employés est la faible rémunération (51 %). Viennent ensuite le manque d’opportunités de carrière causé par une réduction de la pyramide hiérarchique dans les organisations (44 %), l’ambigüité des tâches à accomplir (39 %), l’insécurité d’emploi (38 %) et les longues heures de travail (37 %).

Gestion des risques
Une plus grande attention portée à l’amélioration de la qualité de vie professionnelle (QVP) pourrait contribuer à réduire ces facteurs de stress, et par le fait même, la prévalence des cas d’invalidité liés aux troubles de santé mentale dans les entreprises, a expliqué M. Brun. Les éléments qui sont les plus susceptibles d’améliorer la QVP des employés incluent la reconnaissance, le climat social, l’équilibre travail-vie personnelle, la relation avec le gestionnaire et la stabilité économique de l’entreprise. « La conciliation travail-famille a été identifiée comme le principal facteur de risque pouvant affecter le bien-être des employés », note Jean-Pierre Brun.

Le travail d’équipe est également un aspect central de la qualité de vie pour les salariés. L’écoute, la collaboration et la chaleur humaine seraient de solides remparts contre les troubles de santé mentale et le mal-être. Or, les moments accordés au dialogue tendent à diminuer dans les entreprises, en grande partie parce que les gestionnaires n’ont presque plus de temps à accorder à leurs employés.

Par ailleurs, de nombreux risques, tels qu’une charge de travail excessive et des attentes irréalistes, sont le résultat d’une mauvaise organisation du travail dans un contexte où les entreprises souffrent d’un manque de ressources à l’interne. « Certaines organisations n’ont pas encore compris qu’il faut trouver un équilibre entre les ressources humaines et les attentes de l’entreprise. Tout comme les ressources naturelles, les ressources humaines sont limitées », explique M. Brun.

Les risques du changement perpétuel
Rationalisation, réorganisation et restructuration sont aujourd’hui des termes plus que familiers pour un grand nombre de salariés. Mais cette course effrénée au changement est un facteur de risque en soi. « Le changement constitue un épisode de vie pour les gens, on ne doit pas le banaliser. Il amène de l’insécurité et de l’anxiété, mais peut aussi créer des opportunités », affirme Jean-Pierre Brun.

Surcharge de travail, fatigue, baisse de performance et confusion peuvent faire surface lors d’un processus de changement mal planifié. Le dialogue est encore une fois la clé du succès : « Durant ces périodes de turbulence, la haute direction doit répondre aux questionnements et aux inquiétudes des employés », indique M. Brun, qui a par le fait même mis en garde les organisations contre les changements « corrosifs » qui s’éternisent. « On ne peut pas laisser les gens dans un projet de changement de cinq ans, c’est impossible. »

Attentes à géométrie variable
Ce n’est plus un secret, les membres de la génération Y, qui constitueront 70 % de la main d’œuvre en 2025, ont des attentes professionnelles bien différentes des générations qui les ont précédées. « Le bonheur est important pour eux, ils veulent être bien au travail. On les a d’ailleurs élevés en leur disant de trouver un emploi qu’ils aimeraient », mentionne Jean-Pierre Brun.

Cette recherche de bonheur est néanmoins accompagnée d’un niveau de stress élevé : 39 % des membres de la génération Y seraient plus stressés que l’an dernier, majoritairement parce qu’ils éprouvent beaucoup de difficulté à se trouver un emploi, selon l’APA. À titre comparatif, les membres de la génération X sont de leur côté préoccupés à l’idée de perdre leur emploi, tandis que les baby-boomers s’inquiètent surtout de leur santé.

« Pour les employés de la génération Y, une bonne rémunération n’est pas un levier de qualité de vie au travail, c’est un élément considéré comme normal. S’ils ne l’ont pas dans une entreprise, ils vont aller la chercher ailleurs », assure M. Brun. Qu’est-ce qui les motive alors ! La liberté d’expression, la prise en compte de leurs idées et la reconnaissance immédiate de leurs efforts. De quoi faire réfléchir les entreprises à la recherche des meilleurs talents dans un contexte de pénurie de main-d’œuvre.


Motivé pour les bonnes raisons

Rien de mieux que la motivation pour être heureux et productif au travail. À condition d’être motivé pour les bonnes raisons…

« Tous les types de motivation ne sont pas égaux. Certains sont de bien meilleure qualité que d’autres », a mis en garde Jacques Forest, psychologue organisationnel et conseiller en ressources humaines agréé (CRHA), lors du Rassemblement pour la santé et le mieux-être en entreprise au mois de mai.

Quatre grands types de motivation existent en milieu professionnel : le plaisir, le sens, l’orgueil et les récompenses. Si les deux premiers sont bénéfiques du point de vue de la productivité et du bien-être des employés, il en va tout autrement des deux derniers, qui peuvent augmenter les risques de distraction, de travail compulsif, de dépression et même de comportements antisociaux. « Tout le monde possède les quatre types à différents niveaux », précise M. Forest.

Pour doper son niveau de motivation, un employé devrait avant tout identifier et utiliser ses forces. « Travailler sur ses forces augmente les bons types de motivation et améliore le niveau d’énergie et de concentration », spécifie le psychologue. Selon lui, une erreur très répandue consiste à consacrer tous ses efforts à diminuer ses faiblesses, ce qui ne serait pas l’approche la plus efficace.

Donner un sens au travail

Le sens qu’un employé donne aux tâches qu’il accomplit et à son emploi en général serait le meilleur prédicateur de performance au travail. De là l’importance pour les hauts dirigeants de développer une culture et une mission d’entreprise engageantes pour le personnel. Parce que travailler beaucoup, mais pour les bonnes raisons, peut entraîner des conséquences positives et réduire les chances d’épuisement.

« Dans une entreprise où les ressources sont insuffisantes, plus on demande de tâches aux employés, plus on réduit leur performance et on augmente leur frustration. À l’inverse, un bon niveau de ressources augmente la satisfaction et diminue la frustration », explique Jacques Forest.

En effet, les emplois les plus motivants sont généralement ceux qui comportent beaucoup de demandes, mais aussi beaucoup de ressources. Les demandes sont alors perçues comme des défis et non comme des obstacles. « Le but d’une organisation ne devrait pas être de faire de l’argent, mais d’avoir une mission inspirante qui va augmenter la motivation des employés. Si on y arrive, l’argent va suivre », conclut-il.