Le 9 septembre 2011, la Cour Supérieure du Québec, a accueilli la requête en révision judiciaire déposée par Synertech Moulded Products, division of Old Cassel Building et a annulé deux jugements rendus par la section des affaires économiques du tribunal administratif du Québec (TAQ)1

LES FAITS
En janvier 2001, Synertech établit deux régimes de retraite individuels pour deux de ses employés cadres, soit le régime de retraite individuel de François Bérard et le régime de retraite individuel de Michael Pons. En novembre 2008, Synertech apporte des modifications à ces deux régimes de retraite, avec effet au 1er janvier 2001. Plus précisément, les modifications visent principalement à :

  • remplacer la formule de rente de 2% prévue au Régime Bérard par une formule de 1,21% pour toutes les années de service crédité;
  • remplacer la formule de rente de 2% prévue au Régime Pons par une formule de 1,53% pour toutes les années de service crédité.
    (ci-après désignées collectivement les « Modifications »)

Le but des Modifications est essentiellement d’éliminer le déficit accumulé dans ces régimes au fil des ans, pour ensuite pouvoir mettre fin à ceux-ci. Les deux seuls participants aux régimes, MM. Bérard et Pons, consentent expressément aux Modifications.

En 2009, la Régie des rentes du Québec refuse d’enregistrer et d’autoriser les Modifications aux motifs qu’elles réduisent substantiellement et rétroactivement les droits acquis par les participants Bérard et Pons, de manière à éliminer tout déficit au Régime Bérard et au Régime Pons. De l’avis de la Régie, les Modifications contreviennent aux objectifs de la Loi sur les régimes complémentaires de retraite2 relatifs à la protection des droits des participants (protection consacrée notamment à l’article 228 de la Loi RCR). Synertech conteste les décisions de la Régie devant le TAQ.

Le 28 juillet 2010, le TAQ confirme les décisions rendues par la Régie. Après analyse de l’article 20 de la Loi RCR, qui prévoit les règles applicables aux modifications réductrices3, ainsi que de l’article 28 de cette même loi4, le TAQ conclut que la Régie conserve, en vertu de ces deux articles, un pouvoir discrétionnaire de refuser l’enregistrement d’une modification qu’elle estime non conforme à l’esprit et à l’objet de la Loi RCR, même si les participants affectés par cette modification ont consenti à celle-ci. Le TAQ ajoute que la Régie a, en l’espèce, valablement exercé ce pouvoir discrétionnaire en refusant d’enregistrer les Modifications.

Insatisfaite, Synertech demande la révision judiciaire des décisions du TAQ.

LE JUGEMENT DE LA COUR SUPÉRIEURE
Dans un premier temps, la Cour conclut, après analyse, que la norme de contrôle applicable est celle de la décision raisonnable.

Examinant ensuite les décisions du TAQ, elle indique que celui-ci s’est bien dirigé en droit en concluant que :

  • les articles 20 et 28 de la Loi RCR accordent un pouvoir discrétionnaire à la Régie d’autoriser ou non la prise d’effet rétroactive de modifications réductrices;
  • la Régie n’avait pas l’obligation d’autoriser les Modifications du seul fait que les participants visés y consentaient;5
  • la Régie pouvait refuser d’autoriser les Modifications si elle estimait qu’elles étaient inconciliables avec la Loi RCR.

Régimes de retraite et avantages sociaux
La Cour supérieure ajoute que le TAQ devait cependant procéder à une analyse plus approfondie des raisons pour lesquelles la Régie avait refusé d’autoriser les Modifications pour ensuite décider s’il était raisonnable de conclure que celles-ci étaient inconciliables avec la Loi RCR. Selon la Cour, le TAQ n’a pas procédé à une telle analyse détaillée.

La Cour procède donc elle-même à cette analyse des deux motifs pour lesquels la Régie a conclu que les Modifications étaient inconciliables avec la Loi RCR, à savoir :

  1. elles réduisaient de manière significative les droits des participants Bérard et Pons; et
  2. elles avaient essentiellement pour objectif d’éliminer le déficit du Régime Bérard et du Régime Pons avant leur terminaison, et ce, afin d’éviter l’application de l’article 228 de la Loi RCR.

Soulignons que l’article 228 de la Loi RCR stipule que si, à la date de terminaison, un régime de retraite comporte un déficit, le manque d’actif nécessaire pour combler ce déficit constitue une dette de l’employeur, laquelle doit être versée par l’employeur à la caisse de retraite du régime dès sa détermination.

Le premier motif : la réduction significative

Selon la preuve présentée devant le TAQ, la décision d’autoriser ou non la prise d’effet rétroactive d’une modification réductrice est laissée à l’appréciation de la Régie qui décide si, dans un cas donné, il est approprié ou non d’autoriser la modification. La pratique interne de la Régie, bien qu’il n’existe aucune norme précise à cet effet, est de refuser les modifications qui réduisent les droits des participants de plus de 5%, ce que la Régie considère être une réduction significative.

La Cour indique que la Régie ne peut pas arbitrairement décider que certaines modifications réductrices sont significatives et d’autres non, ou encore que certaines modifications réductrices peuvent prendre effet rétroactivement et d’autres non.

Précisant sa pensée, elle ajoute :

« Il appartient au législateur de préciser que des modifications réductrices ne peuvent entrer en vigueur rétroactivement. Rien de tel n’est prévu dans la loi ou dans les règlements.

D’autre part, quand une réduction peut-elle être qualifiée de significative? D’après la preuve présentée au TAQ, il n’existe pas de norme objective sur ce point et c’est la Régie qui décide ce qui est significatif et ce qui ne l’est pas. Il n’existe aucune politique ni aucune directive sur le sujet qui permettrait aux administrés de connaître leurs droits et d’anticiper les décisions de la Régie.

Le pouvoir discrétionnaire de la Régie n’est pas absolu, il doit être exercé de manière juste, raisonnable et équitable. Ses décisions doivent être motivées et elles ne doivent pas être fondées sur des considérations qui sont étrangères au texte ou à l’esprit de la loi. »

Le second motif : éviter l’application de l’article 228 de la Loi RCR
Se fondant sur le jugement prononcé par la Cour d’appel du Québec dans l’affaire Multi-marques 6 , la Cour supérieure conclut que contrairement à la position exprimée par la Régie, les Modifications n’avaient pas pour effet d’empêcher l’application de l’article 228 de la Loi RCR.

Selon la Cour, le but visé par les Modifications était clairement de rendre les Régimes Bérard et Pons solvables avant leur terminaison. Même si les Modifications avaient des conséquences sur les obligations de Synertech à l’égard de ces deux régimes, cela ne rendait pas pour autant inapplicable l’article 228 de la Loi RCR. En d’autres mots, les Modifications n’étaient pas inconciliables avec la Loi RCR.

La Cour supérieure a donc annulé les décisions rendues le 28 juillet 2010, accueilli les contestations déposées par Synertech devant le TAQ et ordonné à la Régie de procéder à l’enregistrement des Modifications.

COMMENTAIRES
À la lumière de ce jugement, il appert que la Régie conserve effectivement un pouvoir discrétionnaire d’autoriser ou non la prise d’effet rétroactive d’une modification réductrice. La Cour est toutefois venue circonscrire ce pouvoir discrétionnaire en énonçant qu’il doit être fondé sur une norme objective et en statuant que la Régie ne peut refuser d’enregistrer une modification réductrice si celle-ci n’est pas inconciliable avec la Loi RCR. Cette décision n’ayant pas été portée en appel, il sera intéressant de voir si la Régie adoptera des normes ou directives visant ce type de modification.

Synertech Moulded Products c. Tribunal administratif du Québec, 2011 QCCS 4770. Nous vous référons à notre bulletin paru au mois d’octobre 2010 et résumant la décision qui avait été précédemment rendue par le Tribunal administratif du Québec

L.R.Q., c. R-15.1.

C’est-à-dire des modifications qui suppriment des remboursements aux prestations, en limitent l’admissibilité ou réduisent le montant ou la valeur des droits des participants.

Qui stipule que la Régie peut refuser l’enregistrement d’une modification qu’elle estime non conforme à la Loi RCR.

Selon la Cour, la Régie n’est pas liée par le consentement des participants visés par une modification réductrice, mais elle devait tenir compte de ces consentements lors de l’analyse de la conformité des modifications proposées.


  1. Synertech Moulded Products c. Tribunal administratif du Québec, 2011 QCCS 4770. Nous vous référons à notre bulletin paru au mois d’octobre 2010 et résumant la décision qui avait été précédemment rendue par le Tribunal administratif du Québec
  2. L.R.Q., c. R-15.1.
  3. C’est-à-dire des modifications qui suppriment des remboursements aux prestations, en limitent l’admissibilité ou réduisent le montant ou la valeur des droits des participants.
  4. Qui stipule que la Régie peut refuser l’enregistrement d’une modification qu’elle estime non conforme à la Loi RCR.
  5. Selon la Cour, la Régie n’est pas liée par le consentement des participants visés par une modification réductrice, mais elle devait tenir compte de ces consentements lors de l’analyse de la conformité des modifications proposées.