Les plaintes de discrimination ne sont pas une nouveauté dans l’industrie de la retraite et des avantages sociaux. Depuis l’adoption des chartes des droits et libertés, les tribunaux ont déclaré invalides plusieurs règles discriminatoires. On peut penser notamment à la définition restrictive de « conjoint » dans les différents régimes et lois, qui excluait auparavant les conjoints de même sexe et les privait ainsi de prestations de décès. Les régimes sont maintenant généralement conçus de façon à éviter ce type de discrimination directe et flagrante.

Un examen de la jurisprudence récente en matière de droits de la personne nous porte à croire que les prochaines contestations seront plutôt axées sur la discrimination indirecte ou « par effet préjudiciable ». Ce type de contestation est fondé sur le principe qu’une règle en apparence neutre peut être discriminatoire et déclarée invalide si elle a une incidence négative disproportionnée sur les membres d’un groupe bénéficiant d’une protection contre la discrimination.

Nous retrouvons une illustration récente de ce principe dans l’affaire ­Fraser c. Canada (Procureur général). Il s’agit d’un cas impliquant trois policières de la ­Gendarmerie royale du ­Canada (GRC) qui participaient à un programme de partage de poste leur permettant de réduire temporairement leurs heures de travail en se répartissant les responsabilités d’un poste à temps plein. Bien que cette option ait été ouverte à tous les employés, la très grande majorité des individus qui ont partagé un poste au cours des années étaient des femmes ayant des enfants.

Le litige découle du fait que les participants du régime de retraite de la ­GRC qui prennent un congé sans solde pour diverses raisons sont autorisés à racheter leur période de congé pour les fins du calcul de leur rente tandis que les participants qui réduisent leurs heures de travail dans le cadre du programme de partage de poste n’ont pas le droit de racheter le service correspondant aux heures non travaillées (c’­est-à-dire la différence entre les heures d’un employé à temps plein et les heures effectivement travaillées). Les trois policières en question ont contesté cette interdiction en alléguant qu’il s’agissait d’une règle discriminatoire envers les femmes.

La règle de rachat du régime de retraite de la ­GRC peut ne pas sembler discriminatoire à première vue puisque les participants du programme de partage de poste ne sont pas privés de la possibilité de racheter une période de service en raison de leur sexe, mais plutôt en raison de la réduction de leurs heures de travail.

Quoiqu’une différence de traitement fondée sur les heures de travail puisse paraître neutre, la ­Cour suprême du ­Canada a reconnu dans son jugement que les femmes assument encore une part disproportionnée des obligations familiales au Canada et sont ainsi plus souvent contraintes de réduire leurs heures de travail. La sélection du critère des heures travaillées pour limiter les rachats de service a donc un effet préjudiciable disproportionné pour les femmes. Selon la ­Cour, cette incapacité de racheter une période de service perpétue une source de désavantage économique de longue date pour les femmes qui doivent réduire leurs heures de travail. La ­Cour déclare donc la règle de rachat discriminatoire en raison de son effet et ordonne à l’employeur d’élaborer une méthode pour faciliter le rachat de service à l’égard d’une période temporaire de réduction d’heures de travail.

À la lumière de ce type de réclamation fondée sur la discrimination « par effet préjudiciable », les promoteurs et administrateurs de régimes de retraite et d’avantages sociaux pourraient être appelés plus souvent par les participants et syndicats à modifier certaines caractéristiques du régime qui désavantagent un groupe protégé de façon disproportionnée même si elles semblent neutres. Les programmes de rachat de service seront évidemment la première cible considérant les conclusions de l’arrêt ­Fraser, mais d’autres caractéristiques pourraient éventuellement être examinées. Pensons par exemple à la définition des catégories d’employés admissibles à un régime ou aux formules de cotisations qui pourraient désavantager un groupe protégé. Il est à prévoir que des contestations judiciaires (possiblement des actions collectives) suivront au cours des prochaines années et que les tribunaux continueront de raffiner l’analyse développée dans l’arrêt ­Fraser. Il sera important pour les promoteurs et administrateurs de suivre ces développements afin de mieux cerner les zones de risque.


• Ce texte a été publié dans l’édition de septembre 2021 du magazine Avantages.
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