Alors que l’espérance de vie ne cesse d’augmenter, l’âge normal de la retraite, lui, n’a pas bougé au Canada. L’enjeu est-il devenu si tabou que la seule avenue possible soit le statu quo?

Les Québécois âgés de 65 ans aujourd’hui ont 50 % de chance de vivre jusqu’à 90 ans. C’est la statistique que l’ancien vice-président de la Caisse de dépôt et placement du Québec Bernard Morency a choisi de présenter pour lancer un débat sur l’âge de la retraite la semaine dernière à Québec.

« Pourquoi refuse-t-on même de parler de la possibilité d’augmenter l’âge de la retraite? », a-t-il demandé aux participants du 5e colloque annuel Retraite, investissement institutionnel et finances personnelles.

Pour Marie-Josée Naud, conseillère syndicale à la FTQ, majorer l’âge de la retraite aurait des conséquences déplorables pour une partie de la population. « Les statistiques c’est une chose, mais la vraie vie c’en est une autre. Connaissez-vous des gens qui n’étaient plus en mesure de travailler à 65 ans? C’est sûr que oui. Il faut être conscient que nous ne sommes pas tous égaux face au vieillissement », dit-elle.

Pour illustre son propos, elle a souligné que les 10 % des hommes les plus riches ont une espérance de vie presque huit ans plus élevée que celle des 10 % les plus pauvres. Lorsqu’il est question d’espérance de vie en bonne santé, l’écart se creuse à 14 ans. « On doit garder ça en tête lorsque l’on réfléchit à l’augmentation « coercitive » de l’âge de la retraite », poursuit-elle.

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Le statu quo, une utopie

« Les coûts associés à des périodes de 25 ou 30 ans de retraite sont extrêmement élevés », a rétorqué Denis Latulippe, professeur titulaire à l’École d’actuariat de l’Université Laval. Même s’il admet que certaines « conditions particulières » devraient être prévues pour les travailleurs qui ne peuvent poursuivre leur carrière pour des raisons de santé ou de pénibilité du travail, l’actuaire estime que « de laisser l’âge de la retraite à 65 ans pour tout le monde n’est pas la meilleure façon d’utiliser les sommes qui peuvent être allouées à la retraite ».

« Je ne dis pas qu’on doit nécessairement l’augmenter demain matin, mais c’est utopique de penser qu’en 2050 l’âge normal de la retraite puisse encore être fixé à 65 ans », soutient-il.

Maintenir l’âge de la retraite trop bas par rapport à l’espérance de vie pourrait en outre créer un déséquilibre entre la capacité de payer des citoyens et le financement des services publics. « Prolonger la vie active des travailleurs qui sont en mesure de le faire, c’est très logique d’un point de vue économique », assure Denis Latulippe.

Par ailleurs, hausser l’âge des premiers versements de la Sécurité de la vieillesse permettrait de « dégager une marge de manœuvre » pour mieux aider les personnes les plus vulnérables. « Les gens à faible revenu comptent principalement sur la SV et le Supplément de revenu garanti à la retraite. Or, ces prestations sont en train de s’éroder en raison de leur mécanisme d’indexation », expose M. Latulippe.

Tous les actuaires ne sont toutefois pas du même avis au sujet du rehaussement de l’âge de la retraite. Pierre Bergeron avait expliqué plus tôt cette année que l’augmentation de l’âge d’admissibilité aux prestations est « non reliée au maintien de l’équilibre économique ni à la viabilité financière des régimes ».

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Encourager plutôt qu’obliger

Plutôt que d’augmenter l’âge normal de la retraite pour tous, Marie-Josée Naud souhaiterait qu’on encourage les gens à repousser volontairement leur départ de la vie active.

Car bien qu’on observe une croissance importante de la proportion de personnes de 60 ans et plus toujours actives sur le marché du travail au Québec, leur nombre demeure bien inférieur à la moyenne des pays de l’OCDE. La démographie québécoise est pourtant défavorable. La proportion de la population active (20 à 64 ans) va décroitre jusqu’en 2030 dans la province.

« Pour que les gens demeurent en emploi plus longtemps, les conditions doivent être favorables. On a du chemin à faire », affirme Mme Naud, qui estiment que cette responsabilité doit être partagée par l’État, les employeurs et les syndicats.

Les employeurs auraient ainsi intérêt à repenser l’organisation du travail, notamment en mettant en place des horaires flexibles pour le personnel vieillissant, des options de retraite progressive et des politiques de télétravail.

« Certains employeurs ont encore hâte que les plus vieux partent. L’âgisme est bien présent dans les milieux de travail », déplore Marie-Josée Naud.

L’État devrait pour sa part instaurer des politiques publiques en matière de santé, particulièrement en lien avec la prévention du diabète et des maladies cardiovasculaires. Des travailleurs plus en santé seraient davantage en mesure de repousser leur retraite, croit la conseillère syndicale.

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