Le Japon peine à se remettre du violent tremblement de terre, suivi d’un tsunami, qui a dévasté le nord-est du pays le 11 mars dernier. Il ne fait cependant pas de doute que l’économie de l’archipel saura récupérer des effets du désastre, le plus dévastateur depuis la Deuxième Guerre mondiale. L’impact à plus long terme de l’accident nucléaire qui a suivi demeure toutefois une source de préoccupation et les conséquences du cataclysme sur la productivité et les futurs coûts d’opération, un sujet d’interrogation. Tout mesuré, les analystes estiment qu’une pondération plus grande du Japon dans les portefeuilles d’investissement n’est pas justifiée.
Le Japon demeure embourbé dans les débris d’un désastre qui a fait quelque 26 000 morts et disparus selon le dernier bilan. Sur le plan économique, le séisme du 11 mars a fait reculer la production industrielle de 15,3 % entre février et mars, un repli mensuel jamais vu pour l’économie nippone. Au cours du même mois, les dépenses de consommation se sont repliées de 8,5 % sur un an, une chute record, alors que les exportations ont baissé de 2,2 %, une première baisse en 16 mois, emportées par un plongeon de 27,8 % des exportations de véhicules automobiles.
Un retour à la récession?
Ces statistiques viennent confirmer le scénario de retour à la récession de la troisième puissance économique mondiale évoqué par les analystes. Selon les projections recueillies en avril par un quotidien nippon spécialisé auprès de 11 instituts privés, le PIB japonais devrait se contracter de 2,4 % entre avril et juin, après un recul de 0,4 % au premier trimestre, deux contractions trimestrielles consécutives répondant à la définition de récession. Le Fonds monétaire international (FMI) a cependant ajouté ne pas croire en un effet durable. Le FMI a révisé à la baisse ses prévisions de croissance de l’économie japonaise en 2011, à 1,4 % contre 1,6 %, et a relevé celle de 2012, à 2,1 % contre 1,8 %.
Carlos Leitao, économiste en chef à Valeurs mobilières Banque Laurentienne, estime que l’effet final est difficile à mesurer. Du strict point de vue des statistiques économiques, « d’ici deux à trois mois, on ne verra plus rien. Le Japon dispose des moyens financiers et techniques pour rebâtir. » La grande inconnue demeure les conséquences et les répercussions des dommages causés aux centrales nucléaires, dont la capacité du Japon à maîtriser les émissions radioactives. « Là, nous sommes en territoire incertain. À court terme, les Japonais n’ont pas le choix de cette filière. Mais à long terme, s’ils se dirigeaient vers d’autres sources d’énergie, cela pourrait se traduire par des coûts énergétiques plus élevés. Sans compter tout le débat sur le futur de l’énergie nucléaire. »
Le stratège de Valeurs mobilières Banque Laurentienne évalue que le désastre retranchera 0,5 point de pourcentage au PIB nippon. Il ramène son scénario de croissance en 2011 de 2 % à 1,5 %. Elle sera toutefois plus rapide en 2012, sous l’effet accélérateur lié à la reconstruction. Carlos Leitao ne s’inquiète pas du niveau d’endettement élevé du pays, la dette publique atteignant déjà 200 % du PIB. « L’État japonais finance le gros de sa dette sur le marché domestique. L’essentiel des capitaux demeurant au Japon, il n’y a donc pas de rapatriement massif à prévoir. Et si ces efforts engendrent de l’inflation, ce sera une bonne nouvelle pour ce pays, dont le principal problème économique est justement l’absence d’inflation. »
Une facture salée
Le spécialiste ne minimise cependant pas le poids de la facture associée à la catastrophe du 11 mars, dont le coût supplante celui de l’ouragan Katrina aux États-Unis. Sans compter les pertes en vies humaines. « Quelque 250 milliards de dollars de dommages, c’est considérable! » L’agence de notation Standard & Poor’s, en confirmant la cote sur la dette du Japon mais en faisant passer sa perspective de « stable » à « négative », a parlé de coûts de reconstruction de l’ordre de 30 000 milliards de yens (350 milliards $). De son côté, le gouvernement de l’archipel avance une cible de 25 000 milliards de yens (290 milliards $).
Eric Yan, vice-président à Fonds Matrix et gestionnaire de portefeuille du Fonds Asie-Pacifique Matrix, retient le chiffre de 300 milliards $, soit 5,3 % du PIB japonais. À titre de comparaison, le violent séisme de Kobe, en janvier 1995, avait provoqué des dégâts évalués à 120 milliards $, soit l’équivalent de 2,5 % du PIB. « Les dommages matériels sont de loin plus élevés aujourd’hui. Sans compter la dimension nucléaire, qui s’ajoute à la problématique. »
En revanche, en 1995, le cataclysme avait provoqué une chute moyenne de 25 % des actions japonaises en cinq mois. Cette fois, le Nikkei affiche un recul de 3,8 % au premier trimestre, ce qui comprend le plongeon de 7,4 % survenu en mars. « En 1995, on a observé une forte appréciation du yen, ce qui a compliqué les efforts de reconstruction, explique Carlos Leitao. Cette fois, la Banque du Japon a réagi rapidement dès les premiers élans haussiers du yen. En fait, les banques centrales du G7 sont intervenues de manière coordonnée, ce qui a permis de renverser le mouvement et de provoquer une dépréciation du yen. »
Laisser passer la tempête
Ce survol étant, les deux spécialistes se montrent peu enthousiastes face à l’achat de titres japonais. « Je ne suis pas particulièrement “bullish” », a souligné Eric Yan. Le Fonds Asie-Pacifique Matrix met plutôt l’accent sur la Chine, le poids du Japon dans le portefeuille étant inférieur à 20 %. Cette exposition nippone pourrait être abaissée autour de 10 %, ajoute-t-il, toujours sous l’influence prépondérante de la Chine dans le portefeuille.
Carlos Leitao rappelle, quant à lui, qu’à court terme, lors de grandes perturbations, « il est préférable de ne pas vendre, de laisser la tempête passer. Puis d’examiner ensuite les opportunités ». Pour le Japon, le stratège de Valeurs mobilières Banque Laurentienne parle tout au plus de réajustement tactique, et non de grands changements. « Si une personne n’a pas déjà une position, elle pourrait peut-être penser se constituer un petit portefeuille de titres japonais », ajoute-t-il.
Peu d’effets ailleurs sur la planète
Ailleurs, les analystes retiennent que le Japon n’entraînera pas le reste du monde en récession. Pour reprendre les propos de la banque CIBC, les tristes événements n’auront que peu d’effet durable sur les économies canadienne et mondiale. Dans la région de l’Asie-pacifique, les restrictions de l’offre japonaise provoquées par la dévastation de la zone industrialisée du nord-est de l’archipel n’aura guère d’incidence sur la Chine, une économie plutôt compétitrice du Japon et qui repose sur un vaste marché intérieur. « En théorie, Taïwan pourrait souffrir davantage puisque cette économie importe du Japon. À l’opposé, la Corée serait la grande bénéficiaire de l’affaiblissement de la concurrence venant du Japon », note Eric Yan.
Pour l’ensemble de la planète, « des dommages sont observés sur la chaîne d’approvisionnement. Dans l’automobile et dans l’électronique, le manque de pièces fait sentir ses effets. Un ralentissement pourrait s’ensuivre, au deuxième trimestre, si ces problèmes d’approvisionnement entraînaient des fermetures d’usine. Mais tout cela, c’est très préliminaire », enchaîne Carlos Leitao
Dans son Rapport sur la politique monétaire d’avril, la Banque du Canada y faisait référence. « La catastrophe sur l’archipel nippon touche d’autres économies par le biais des liens commerciaux et financiers, de même que par ses effets sur les prix des matières premières. Le Japon est la troisième économie du monde. Depuis le tremblement de terre, des fabricants automobiles au Canada (et ailleurs) ont du mal à s’approvisionner et ont réduit la production et les heures de travail dans les usines de montage. Ces difficultés devraient réduire le rythme d’expansion de l’économie canadienne d’environ un demi-point de pourcentage au deuxième trimestre, mais l’activité perdue sera probablement récupérée dans les trimestres qui suivront. À plus long terme, les efforts de reconstruction, une fois lancés, stimuleront la croissance au Japon et la demande mondiale de produits de base. La Banque est donc d’avis que les incidences du séisme sur l’économie mondiale seront plutôt limitées pour l’ensemble de l’année », peut-on lire dans le document de la banque centrale.
Les fermetures d’usines et les annonces de réduction de la production se sont multipliées depuis mars dans les usines automobiles au Japon, mais aussi ailleurs dans le monde. Elles ne se limitaient pas aux constructeurs japonais, les GM, Chrysler, Ford, Peugeot et autres étant aussi touchées par la catastrophe au Tohoku, les zones sinistrées abritant des usines produisant des composants électroniques et des pièces détachées pour l’automobile. Pour Toyota, Honda ou Nissan, un retour à la normale n’était pas attendu avant l’été, avec l’atteinte de la pleine capacité quelque part vers la fin de l’année.
Le nucléaire : Le problème majeur
La liste des industries temporairement touchées par les contrecoups de la réduction de l’offre déborde de l’automobile pour englober les télécommunications, le transport et l’aéronautique.
À plus long terme, le problème majeur demeure le nucléaire et les choix énergétiques qui en découleront. Carlos Leitao évoque aussi les nouveaux choix qui devront être faits en matière de construction et les normes plus exigeantes qu’impose désormais un tremblement de terre de 9 à l’échelle ouverte de Richter, suivi par un puissant tsunami ayant dévasté 300 km de cote et provoqué le plus gros des dégâts matériels sur l’archipel. « Pensons à l’impact sur les coûts d’assurance et aux répercussions à plus long terme sur l’industrie mondiale de la réassurance. Le bâti existant va s’en ressentir et les coûts de production vont croître », retient-il. Au final, les coûts d’opération de l’économie japonaise sont appelés à s’apprécier.
Cet article est tiré de l’édition de juin du magazine Conseiller. Consultez-le en format PDF.