
On parle beaucoup de médicaments ces temps-ci au Québec. Récemment, le commissaire à la santé et au bien-être y est même allé de ses recommandations dans son rapport Les médicaments d’ordonnance : agir sur les coûts et l’usage au bénéfice du patient et de la pérennité du système. Bien que bon nombre de ses recommandations soient souhaitables, certaines mettent en lumière comment le fonctionnement des régimes privés demeure, encore aujourd’hui, incompris par l’appareil public.
Le modèle québécois d’offre des médicaments est unique. C’est un régime mixte permettant à ceux qui n’ont pas accès à un régime privé de bénéficier d’une protection publique. Bien sûr, le modèle n’est pas parfait et fait l’objet de bien des critiques, notamment sur la différence de coûts des médicaments observée entre les deux systèmes. Mais avant de dire que les promoteurs de régimes privés ne font pas leur travail et sont incapables de contrôler les coûts comme le fait le gouvernement et de conclure qu’un système universel serait souhaitable, il y aurait lieu de se demander si nous avons vraiment donné à ces promoteurs l’accès aux outils dont ils ont besoin et dont bénéficient, soit dit en passant, les promoteurs de régime qui exercent leurs activités dans les autres provinces au Canada.
Plus de souplesse souhaitable
Il y a de nombreuses iniquités entre le régime offert par la Régie de l’assurance maladie du Québec (RAMQ) et les régimes privés en ce qui a trait à la marge de manœuvre disponible pour le contrôle des coûts des médicaments au Québec. Les contraintes imposées aux promoteurs de régimes privés constituent une préoccupation réelle pour les employeurs œuvrant principalement au Québec et créent un véritable casse-tête pour les employeurs pancanadiens.
À titre d’exemple, la RAMQ s’est donné le droit d’obliger la substitution d’un médicament d’origine au profit de sa version générique et de limiter le remboursement au coût du générique. Les régimes privés devaient jusqu’à tout récemment se conformer à la règle du remboursement minimal à 67,5 %. Fort heureusement, la loi 28, adoptée sous l’effet du bâillon le 20 avril dernier, a corrigé cette aberration. Cette mesure nous aidera sûrement à nous rapprocher de l’Ontario en matière d’utilisation des médicaments génériques, puisque selon le rapport Telus Santé 2014, le Québec accuse un retard de 6 % à cet égard.
L’écart observé du coût d’achat des médicaments constitue une seconde iniquité. L’harmonisation graduelle des honoraires des pharmaciens permettrait d’éliminer cet écart. De plus, il serait souhaitable d’exiger une plus grande transparence de la part des pharmaciens, sous forme d’une divulgation claire des honoraires professionnels et marges bénéficiaires qu’ils imputent à leurs clients. Les honoraires exigés pour la clientèle de la RAMQ sont pourtant divulgués.
De plus, le Québec est la seule province où il est impossible de créer des partenariats et des réseaux privilégiés de pharmacies. Ce modèle permet typiquement une réduction significative des coûts – un modèle pourtant viable ailleurs au Canada et chez nos voisins du sud. La RAMQ, quant à elle, négocie un prix identique pour sa clientèle avec toutes les pharmacies, mais le privé doit vivre avec un système de prix qui diffèrent, quelque fois grandement, dans un modèle de concurrence contrôlée.
Un régime universel : et qui paierait la note ?
L’idée qu’un régime universel, couvrant tous les Québécois, serait LA solution au contrôle des coûts des médicaments au Québec est reprise souvent. Mais comment se régime serait-il financé ?
Une nouvelle charge salariale pour les entreprises ?
On peut simplifier et invoquer le fait qu’en ne couvrant plus les médicaments dans leurs régimes, les entreprises réduiraient leurs coûts et qu’une nouvelle charge salariale n’aurait pas d’effet sur elles, mais c’est justement trop simple comme conclusion. Tout d’abord, avec le retrait de la couverture médicaments, qui représente typiquement de 25 à 40 % de la facture totale des avantages sociaux, on peut penser que les frais administratifs exigés par les compagnies d’assurance augmenteraient pour toutes les autres garanties, pour compenser cette perte de revenus importante. De plus, en imposant une charge salariale unique à toutes les entreprises, on leur retirerait la flexibilité d’offrir un régime plus ou moins généreux et d’en partager les coûts avec leurs employés. D’ailleurs, dans certains cas, ces régimes sont le résultat de négociations avec des syndicats qui, prétendront-ils, ont sacrifié d’autres avantages pour cette couverture de médicaments. Cette nouvelle charge salariale nuirait également à la compétitivité de nos entreprises.
Un financement à même le fonds consolidé de revenus ?
Si les entreprises privées ne financent plus les régimes privés de médicaments, il reviendra aux contribuables québécois de payer la note. Et ce régime universel, coûtera-t-il vraiment moins cher ? Peut-on penser que les pharmacies accepteront de baisser leurs tarifs de 17 % (la différence de tarifs estimée présentement entre ceux demandés à la clientèle de la RAMQ et ceux exigés des participants de régimes privés) et que cela n’aura pas de conséquence sur les services rendus à la population ?
Enfin, il ne faut pas oublier que les régimes privés représentent une source de revenus indirecte importante pour le gouvernement : impôts payés sur les avantages imposables, taxes sur les primes, taxe d’assurance, etc. Ce manque à gagner devrait être compensé.
Les régimes privés ont leur raison d’être
Les médicaments représentent une portion significative des coûts totaux d’un régime d’assurance collective, et donc, constituent une composante importante de la rémunération globale des employés. C’est un enjeu déterminant pour les promoteurs de régimes, qui œuvrent dans un marché de plus en plus concurrentiel où il est de plus en plus difficile d’attirer et de retenir les talents.
Il ne faut pas oublier également que les régimes privés bénéficient ultimement des couvertures de médicaments offertes à leurs employés. La démonstration de l’efficacité de certains médicaments à prévenir des maladies ou à permettre un retour plus rapide au travail n’est plus à faire.
Les promoteurs doivent se faire entendre
Nous ne croyons pas qu’un régime universel soit la solution au contrôle des coûts des médicaments au Québec. Le régime mixte fonctionne bien. Et il pourrait fonctionner encore mieux si on apportait les changements nécessaires à la loi pour donner plus de marge de manœuvre aux promoteurs de régimes privés. La loi 28 est un bon début, mais il reste des choses à faire pour vraiment bénéficier d’un régime performant. Voilà une histoire à suivre…
Jonathan Fournier est conseiller en régimes d’assurance collective chez Mercer
Marie-Josée Le Blanc est membre du partenariat et de l’équipe de direction nationale du service Santé et avantages sociaux chez Mercer.
Cet article est tiré de l’édition du mois de mai 2015 du magazine Avantages. Les vues exprimées sont celles des auteurs et ne reflètent pas nécessairement celles d’Avantages.