Le gouvernement fédéral annonce que, d’ici le 29 octobre, tous les employés fédéraux devront remplir une attestation confirmant qu’ils sont entièrement vaccinés contre la COVID-19. Les employés non vaccinés, qui ne disposent pas d’une exemption médicale ou religieuse, seront en congé sans solde jusqu’à ce qu’ils aient obtenu leurs deux doses.

Le premier ministre Justin Trudeau a tenu une conférence de presse à ce sujet en compagnie de sa vice-première ministre et ministre des Finances, Chrystia Freeland. Les libéraux avaient promis, en campagne électorale, de rendre la vaccination obligatoire pour l’ensemble de la fonction publique et pour les passagers et employés de moyens de transport sous juridiction fédérale.

« En tant que principal employeur du pays, nous voulons nous assurer que le gouvernement du Canada montre l’exemple et mette en place une politique de vaccination qui assure la sécurité des gens. Notre gouvernement a d’ailleurs été réélu pour mettre en œuvre cette initiative clé », a affirmé Mme Freeland.

La nouvelle politique du gouvernement fédéral entre en vigueur dès maintenant.

Dans une séance d’information, les hauts fonctionnaires du gouvernement ont soutenu que les employés fédéraux devront remplir leur attestation dans un système en ligne sécurisé. Leur preuve de vaccination pourrait être vérifiée à tout moment par l’un des gestionnaires de leur département. Et dans le cas d’une fausse déclaration, il y aura des mesures disciplinaires allant jusqu’au congédiement.

Dans le cas d’exemptions médicales, les employés fédéraux devront fournir une attestation médicale prouvant pourquoi ils n’ont pas pu être vaccinés. Un employé qui refuse de se faire vacciner pour des motifs religieux devra présenter une attestation d’un commissaire de cette croyance religieuse. Les croyances personnelles ne sont pas des motifs suffisants pour refuser de se faire vacciner, a-t-on précisé.

« Les directives que nous allons partager dans les semaines à venir, bien avant la date butoir de fin octobre, vont être extrêmement claires sur quelles seront les exemptions acceptées, mais je peux vous dire qu’il ne va pas y en avoir beaucoup (et que) ça va être extrêmement difficile à obtenir », a averti M. Trudeau.

La vaccination obligatoire s’étend à tous les employés de la fonction publique à temps plein ou à temps partiel, en télétravail ou en présentiel, incluant ceux qui sont basés à l’étranger, ainsi que les membres de la Gendarmerie royale du Canada. Les agences fédérales et sociétés d’État sont fortement encouragées à imiter le gouvernement fédéral, mais n’y seront pas obligées.

À compter du 15 novembre, les employés qui refusent de divulguer leur statut vaccinal ou qui refusent de se faire vacciner seront placés en congé administratif sans solde. La politique sur la vaccination obligatoire sera revue tous les six mois.

Comme promis, les secteurs des transports sous juridiction fédérale devront aussi se conformer aux exigences du gouvernement.

D’ici le 30 octobre, toute personne âgée de 12 ans et plus qui voyage à bord d’un avion ou d’un train interprovincial devra être entièrement vaccinée. Il y aura une période de grâce d’un mois, lors de laquelle les passagers non vaccinés pourront présenter un test négatif pour entrer à bord de ces moyens de transport. La période de grâce dans le secteur des transports prendra fin le 30 novembre.

Cette exigence s’étendra également aux employés de ces modes de transport. Air Canada, WestJet et Canadien National ont déjà annoncé que tous leurs employés devront avoir eu leurs deux doses contre la COVID-19 d’ici le 30 octobre et qu’il s’agirait désormais d’une condition d’embauche pour les nouveaux employés.

Les employés et passagers des bateaux de croisière seront soumis aux mêmes exigences avant que la saison des croisières ne recommence en 2022.

Des critiques sont venues du côté de l’Alliance de la fonction publique du Canada (AFPC), qui représente plus de 160 000 travailleurs sous réglementation fédérale. Même si le syndicat se dit favorable à une politique de vaccination, il déplore le manque de consultations réelles avant de dévoiler la politique gouvernementale.

« Le gouvernement a conçu sa politique à la hâte, sans tenir les consultations qui s’imposaient avec les syndicats des principaux intéressés. Le Conseil du Trésor leur a donné moins d’une journée ouvrable pour commenter la politique et n’a intégré aucune de leurs suggestions à la version définitive », a déploré le président national de l’AFPC, Chris Aylward.

L’Alliance souhaite notamment que le gouvernement garantisse le droit à la vie privée des membres en s’assurant que les renseignements sur le statut vaccinal soient conservés pour un temps limité et qu’il respecte le droit de négocier en consultant les syndicats « en bonne et due forme à toutes les étapes du processus » et en leur donnant « suffisamment de temps pour réagir ».

« Bien que la grande majorité de nos membres soient vaccinés, nous continuerons à représenter ceux et celles qui font l’objet de sanctions parce qu’ils ne sont pas vaccinés », a soutenu M. Aylward.

Ottawa pourrait-il forcer la main des provinces ?

De hauts responsables à Ottawa ont été informés le printemps dernier que le gouvernement fédéral pourrait rendre le vaccin obligatoire pour tous les travailleurs au pays, pas seulement ceux de réglementation fédérale.

Les libéraux de Justin Trudeau ont promis en août d’imposer la vaccination obligatoire pour tous les travailleurs des secteurs sous réglementation fédérale, comme les transports, les institutions financières et les télécommunications, et bien sûr les fonctionnaires fédéraux. Or, ces travailleurs représentent moins de 10 % de tous les travailleurs au Canada ; les autres relèvent des lois provinciales du travail.

Bien que la santé publique soit de compétence provinciale en vertu de la Constitution, des documents internes à Ottawa indiquent que le gouvernement fédéral pourrait envisager de faire de la vaccination contre la COVID-19 un enjeu « d’intérêt national ».

La prochaine étape serait ensuite de travailler avec les provinces et les territoires pour élaborer des lignes directrices, ou alors de laisser les provinces élaborer les leurs.

Les documents obtenus par La Presse Canadienne en vertu de la loi sur l’accès à l’information indiquent qu’une telle démarche n’était pas envisagée à l’approche de l’été.

Ce n’est qu’en juin que les libéraux fédéraux ont commencé à faire allusion à une vaccination obligatoire pour les travailleurs sous réglementation fédérale ; ils ont ramené cette promesse quelques jours avant le début de la campagne électorale.

Interrogé récemment sur cette promesse de vaccination obligatoire, qui devait entrer en vigueur le 30 octobre, le premier ministre Justin Trudeau n’a pas fourni de mise à jour sur l’échéancier ni fourni plus de détails sur la suite des choses.

Enjeu clivant

La séquence des événements a frustré certains intervenants impliqués dans les discussions, qui estimaient que les libéraux n’avaient fait cette annonce que pour l’utiliser comme un enjeu clivant pour coincer les conservateurs.

Certains demandent depuis des mois aux libéraux fédéraux de coordonner les directives de vaccination obligatoire avec les provinces, afin d’éviter une mosaïque de politiques difficiles à gérer entre les provinces, et notamment entre les entreprises elles-mêmes.

« Actuellement, il est très clair qu’on peut parler aux employés de leur statut vaccinal, les encourager à se faire vacciner, mais il n’est pas clair du tout que l’on puisse exiger la vaccination ou congédier ceux qui ne seraient pas vaccinés », a déclaré Dan Kelly, président de la Fédération canadienne de l’entreprise indépendante.

Lorsque les libéraux ont annoncé leur promesse, à la mi-août, le Conseil canadien des affaires, qui représente les plus grands employeurs du pays, était favorable, mais il encourageait Ottawa et les provinces à travailler de concert.

En vertu de la Constitution, le gouvernement fédéral peut s’immiscer en cas d’urgence dans un champ de compétence provinciale et les tribunaux feraient probablement preuve de retenue à l’égard d’une telle ingérence en période de pandémie, estime Martha Jackman, une experte en droit constitutionnel à l’Université d’Ottawa.

« Il serait juste de dire qu’un exercice du pouvoir fédéral en matière de pandémie ou de vaccination serait probablement acceptable d’un point de vue juridique », a-t-elle soutenu. « Il s’agit davantage d’une question de volonté politique. »

Le leader du plus important syndicat du secteur privé au pays, Unifor, a déclaré que le gouvernement fédéral devrait intervenir et dicter des règles uniformes aux provinces et aux entreprises, car certaines provinces ont tardé à agir. Jerry Dias soutenait que ses membres qui travaillent dans des entrepôts, des aéroports ou des casinos veulent reprendre le travail, mais cela ne peut se produire que s’il existe des politiques de vaccination obligatoires pour les employés et les clients.

« L’approche a été jusqu’ici dispersée, d’une province à l’autre, et ça n’a pas amélioré la situation », a estimé M. Dias. « Pour éviter cette mosaïque, les entreprises devraient avoir une sorte de directives nationales, de normes harmonisées. »

Droits individuels

Au printemps, les responsables fédéraux du travail ont dit aux employeurs qu’ils ne « chercheraient pas à se conformer » aux recommandations des responsables de la santé publique concernant les vaccinations, puisque le Code canadien du travail est muet sur les exigences en telle matière.

« Cette position ne changerait que si ces vaccins étaient rendus obligatoires par une loi », indique-t-on. Les documents suggèrent également que les contestations judiciaires d’une telle politique par les travailleurs seraient ardues, en raison de l’innocuité reconnue des vaccins.

La Presse Canadienne a sollicité des documents préparés entre mars et fin juin pour le sous-ministre du Travail ainsi que la ministre du Travail, Filomena Tassi, au sujet des règles de vaccination des travailleurs.

Les documents contiennent plusieurs pages de questions et réponses, dont une sur l’opportunité pour Ottawa d’établir des réglementations pour rendre les vaccins obligatoires. « Non, pour le moment, il y a peu ou pas d’arguments en faveur des gouvernements pour rendre obligatoires les vaccins en milieux de travail », indique-t-on.

Les responsables ont écrit que toute modification législative ou réglementaire liée aux vaccins devait se faire en gardant à l’esprit les droits individuels garantis par la Constitution, y compris la liberté de religion, qui « protègent quiconque d’avoir à se faire vacciner contre son gré ».