Les régimes de retraite à cotisation déterminée (CD) exigent des participants qu’ils prennent une multitude de décisions pour s’assurer un avenir financier confortable. Or, le niveau de littératie financière des Canadiens est si faible qu’il leur est difficile d’évoluer avec confiance dans un environnement économique de plus en plus complexe.
Depuis 2019, l’Institut sur la retraite et l’épargne de HEC Montréal évalue le niveau de préparation à la retraite des Canadiens en fonction de leur connaissance des particularités du système de retraite à trois piliers. Deux principaux constats s’imposent à la lecture des résultats de la cinquième édition de l’Indice IRE, publiée en 2023 : le niveau de littératie financière au pays demeure très faible, et il ne semble pas vouloir s’améliorer.
« En moyenne, les participants ont obtenu une note globale de 36,6 %, a indiqué Philippe d’Astous, professeur et directeur du Laboratoire en éducation financière à HEC Montréal lors du Colloque CD d’Avantages, en décembre dernier. On ne cherche pas nécessairement à obtenir un résultat de 100 %, mais il s’agit d’une notre très basse. Et on ne remarque pas de progression depuis la première édition de l’étude. »
Dans le cadre de la cinquième édition de l’Indice IRE, environ 3 000 Canadiens âgés de 35 à 54 ans, donc dans la phase d’accumulation, ont répondu à 38 questions portant sur six aspects différents du système de retraite canadien. « On veut connaître où sont les lacunes pour sensibiliser correctement la population », explique Philippe d’Astous.
Les six premières questions portent sur des notions financières générales, comme l’inflation, les taux d’intérêt et les intérêts composés. Il s’agit de la section où le taux de réussite a été le plus élevé, avec une note moyenne de 63 %.
« Les gens comprennent assez bien les notions de pouvoir d’achat et d’intérêts composés, avec des scores de respectivement 68 % et 80 %, souligne M. d’Astous. Par contre, seulement 23 % des répondants ont eu la bonne réponse à la question portant sur la relation entre les taux d’intérêt et la valeur des obligations. »
La section suivante du test, portant sur le REER et le CELI, a donné un peu plus de fil à retordre aux répondants, qui ont obtenu une note moyenne de 42 %. « Les notions de cotisations et de retraits commencent à être mieux comprises, avec des notes de 52 % et 59 % respectivement », mentionne Philippe d’Astous.
D’autres aspects demeurent toutefois plus flous. « La plupart des gens croient qu’il y a une pénalité lorsqu’on retire des sommes du REER avant la retraite [15 % de succès], alors qu’il ne s’agit en fait que d’imposition. En outre, 38 % des participants ne sont pas au courant de l’âge maximal pour retirer les sommes d’un REER. »
Mauvaise nouvelle pour les employeurs, la plupart des répondants ont essuyé un échec cuisant à la section du test portant sur les régimes de retraite privés. La note globale de 25 % est la plus basse du test, une tendance qui se maintient depuis la première édition de l’étude.
« La majorité des Canadiens ne connaissent pas la différence entre un régime à prestations déterminées et un régime à cotisation déterminée. Il y a beaucoup de travail à faire ! », admet Philippe d’Astous.
Le chercheur tempère toutefois un peu ces résultats en expliquant que les notes obtenues par les répondants qui participent à un régime PD ou CD dans le cadre de leur emploi ont obtenu des notes plus élevées que la moyenne (entre 30 et 40 %).
« Par la force des choses, les gens qui sont confrontés à l’utilisation d’un produit deviennent plus familiers et comprennent mieux son fonctionnement, explique-t-il. Par contre, les nouveaux employés qui joignent une organisation ne comprennent probablement pas très bien le régime qui leur est offert, et ne réalisent donc pas l’avantage qu’il représente pour eux. On voit que ces régimes ne sont pas probablement pas assez valorisés. »
Avec une note moyenne de 42 %, la compréhension du Régime de rentes du Québec et du Régime de pensions du Canada est un peu meilleure, mais demeure minimale.
« Seulement 30 % des gens comprennent que les prestations reçues à la retraite dépendent des cotisations versées durant les années de travail, déplore Philippe d’Astous. La pénalité est plutôt bien comprise (65 %), mais pas la bonification liée au report de la rente (32,8 %). On constate par ailleurs que les Québécois ignorent qu’ils peuvent travailler tout en touchant leur RRQ (24 %). Il s’agit pourtant d’un aspect important dans un contexte où l’on tente de convaincre les gens de travailler plus longtemps ou de revenir sur le marché de l’emploi à la retraite. »
Finalement, les Canadiens ont bien du mal à saisir le fonctionnement du premier palier du système de retraite, soit la pension de la Sécurité de la vieillesse et le Supplément de revenu garanti. Les répondants ont obtenu un faible 30 % pour cette section du test.
Atouts et limites de l’éducation financière
L’analyse des résultats globaux de l’Indice IRE permet de dégager certaines grandes tendances. Dans l’ensemble, les individus plus âgés comprennent mieux le système de retraite canadien. « C’est normal. Plus on s’approche de la retraite, plus on est confronté à des choix et plus cela devient important dans nos vies », note M. d’Astous. La prochaine édition de l’indice sondera d’ailleurs les Canadiens âgés de 55 à 65 ans.
Le niveau de scolarité est également lié à la littératie financière, les universitaires ayant obtenu les meilleurs résultats au test. Le revenu familial est un autre facteur déterminant, tandis que l’écart entre les hommes et les femmes persiste en matière de littératie financière.
Philippe d’Astous concède qu’il n’est pas simple de s’approprier toutes les connaissances liées aux différentes composantes du système de retraite canadien. La question se pose : l’éducation financière peut-elle donner des résultats ?
« Nous avons réalisé une enquête sur le REER et le CELI il y a deux ans au cours de laquelle on a administré de l’éducation financière à la population canadienne par le biais d’une vidéo très simple. La bonne nouvelle, c’est qu’on a été capable d’augmenter les résultats au test de façon considérable », mentionne M. d’Astous.
Autre bonne nouvelle, les individus qui possèdent des notions financières de base comprennent mieux les spécificités du système de retraite. « Les répondants qui ont le mieux performé dans les six premières questions du test portant sur les connaissances financières générales ont obtenu une note globale 18 % plus élevée que la moyenne, précise Philippe d’Astous. C’est encourageant de constater que si on travaille sur la littératie financière générale, on peut en venir à une meilleure littératie du système de retraite canadien. »
L’éducation financière comporte toutefois ses limites, notamment lorsqu’il est question de notions plus complexes et techniques. « On ne doit pas oublier que l’éducation financière a tout de même un coût, prévient le chercheur. À la limite, il faudrait faire une analyse coût-bénéfice de l’éducation financière. À un certain point, c’est probablement préférable pour les gens d’aller voir un planificateur financier et d’être accompagnés pour certains enjeux. Ce n’est pas pour rien qu’il y a plusieurs choix par défaut dans les régimes de retraite offerts par les employeurs. »
Malgré tout, Philippe d’Astous continue de croire aux vertus de la littératie financière. « L’éducation financière fonctionne, mais ce que les études montrent, c’est qu’elle doit être bien ciblée, bien conçue et être administrée au bon moment pour atteindre sa cible. Pourquoi pas lorsque les travailleurs adhèrent à un régime de retraite d’employeur par exemple ? »