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D’ici 2020, la dépression sera la deuxième cause d’invalidité après les maladies cardiaques. Comment les entreprises ­devront-elles y faire face?

En 2012, l’Enquête sur la santé dans les collectivités canadiennes observait que 12,2 % des ­Québécois âgés de 15 ans et plus avaient souffert de dépression majeure au cours de leur vie ; les ­Québécoises étaient par ailleurs plus susceptibles d’être atteintes (15 % contre 9,3 % des hommes). Un chiffre parmi tant d’autres qui ressortent des nombreuses études portant sur l’incidence de la dépression dans notre société.

Compte tenu du nombre d’heures consacrées au travail, il est évident que les entreprises sont touchées par cette problématique – et continueront de l’être. L’Organisation mondiale de la santé estime en fait que d’ici 2020, la dépression se hissera au deuxième rang des principales causes d’invalidité à l’échelle mondiale, après les maladies cardiaques.

« ­Dans certains milieux, la pression [extrême] fait partie de la culture, constate la ­Dre ­Karine ­St-Jean, psychologue à ­Mindspace. Ce sont des secteurs très performants et vu que la pression est acceptée, c’est plus difficile de détecter un problème. En finance ou en droit, par exemple, ce n’est pas bien vu d’afficher sa fatigue quand on est dans la course pour devenir associé. » ­Le contexte d’entreprise est certes un élément important pour agir en amont afin d’essayer de prévenir et réduire les congés d’invalidité liés aux problèmes de santé mentale.

Culture de santé

Depuis plusieurs années, le concept de culture du ­mieux-être fait tranquillement son chemin dans les entreprises au pays. Le plus récent ­Sondage ­Sanofi ­Canada sur les soins de santé a par ailleurs constaté que huit employeurs sur dix étaient d’accord avec l’affirmation que la culture d’entreprise pouvait encourager la santé et le ­mieux-être. Mais il reste clairement du travail à faire, notamment en matière de santé mentale.
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Marie-Jo ­Auclair, chef de service, ­Gestion de l’invalidité à ­Croix ­Bleue ­Medavie, rappelle qu’on consacre beaucoup d’efforts à éviter les blessures au travail. « ­Il y a des affiches pour protéger la santé physique des gens : attention aux marches, lavez vos mains… ­Mais on n’en met pas vraiment pour protéger la santé mentale, ­dit-elle. On aurait intérêt à mettre en place une sorte de trousse d’urgence en santé mentale comme il y en a pour les blessures corporelles. »

« ­On passe environ 60 % de notre temps d’éveil au travail, voilà donc une belle occasion pour les entreprises de jouer un rôle actif, de faire de la prévention et fournir des informations sur la santé », renchérit ­Christine ­Potvin, ­vice-présidente, gestion invalidité et règlements vie, ­Garanties collectives à la ­Financière ­Sun ­Life.

Le rôle du gestionnaire

Il convient en premier lieu de tenter de réduire la stigmatisation des troubles de santé mentale afin de créer un climat où les employés se sentent à l’aise d’aller chercher de l’aide. Des campagnes de sensibilisation employées depuis plusieurs années ont certes aidé à cet égard. « ­Les gens vont plus se parler ou reconnaître les symptômes, mais le tabou ou les préjugés demeurent, suggère ­Mme ­Auclair. Il y a encore trop d’employeurs qui voient un congé pour maladie mentale comme des vacances. »

Mais il ne suffit pas de faire des conférences ou offrir des massages au bureau, il faut joindre le geste à la parole, précise ­Danielle ­Vidal, directrice des ventes pour les groupes à ­SSQ ­Assurance, à ­Montréal. « ­Il faut examiner l’organisation du travail et que la haute direction comprenne les enjeux, ­dit-elle. Il faudrait ­peut-être éviter les réunions à 7 h ou à 17 h, par exemple. Ou cesser de faire des lunchs de travail tous les jours, car tout le monde a besoin de pauses. »

Même si l’ensemble de l’entreprise doit être impliquée, toutes les expertes consultées dans le cadre de cet article s’entendent sur le rôle primordial du gestionnaire de premier niveau. « ­La formation des gestionnaires est importante, souligne ­Christine ­Potvin. Pour qu’ils puissent avoir des conversations saines avec leurs employés, pour créer un lien de confiance et établir des liens solides, il faut une culture d’entreprise qui favorise cela. »­

Il ne s’agit pas de former des psychologues, mais d’avoir des employés capables de reconnaître des symptômes. « ­Des fois, l’indicateur n’est pas quelque chose qu’on dit, mais un changement de comportement. Si un employé très performant et très sociable maintient son rendement mais pas ses échanges avec ses collègues, c’est ­peut-être un signe que quelque chose ne va pas », explique ­Karine ­St-Jean.

Retour au travail

Le gestionnaire s’avère également crucial pour faciliter le retour au travail d’un employé après un congé d’invalidité. « ­Il s’agit d’accompagner l’employé, prendre des nouvelles et l’informer de ce qui se passe, sans mettre de pression, pour le rassurer dans un contexte émotionnel difficile », dit ­Danielle ­Vidal.

L’entreprise pourrait envisager un guide écrit pour qu’employés et gestionnaires soient au courant de ce processus.

Cela permet aussi de structurer le retour, qui pourrait éventuellement se faire de manière progressive. « ­Plusieurs études ont montré que quand il y a une bonne relation [entre gestionnaire et employés], il faut rester en contact pendant le congé d’invalidité, ajoute ­Christine ­Potvin. En outre, certaines personnes peuvent retourner travailler avant d’être complètement rétablies. Faire preuve de souplesse à l’égard du retour au travail fait partie des meilleures stratégies. »­

Il ne faut pas non plus oublier les autres collègues. « ­Il faut organiser des rencontres, sans entrer dans les détails de l’absence, afin de répartir les tâches et donner du soutien si nécessaire, explique ­Nathalie ­Trudel, directrice, éducation et secteur privé à ­SSQ ­Assurance. On devrait ­peut-être mettre de côté certains projets, car on ne veut pas brûler le reste de l’équipe pendant l’absence d’un employé. »

Traitements

L’élargissement de l’offre en assurance collective, notamment par l’entremise des programmes d’aide aux employés, permet certes de combler certains besoins, par exemple en ce qui concerne les consultations à distance. Ces dernières peuvent également être une très bonne première ressource pour les employés gênés d’aborder leurs problèmes de stress.

« ­Chez les gens souffrant de dépression, jusqu’à la moitié vont s’absenter du travail, constate ­Karine ­St-Jean. Par ailleurs, selon mon expérience, ce seront des congés assez longs, souvent plus longs que pour des cas de santé physique. » ­Une des difficultés entourant les problèmes de santé mentale est que la première consultation n’arrive qu’après un bon moment – autour du quart des personnes atteintes ne consultent même pas un médecin. En matière de traitement, ­celui-ci sera conçu en fonction de la réalité du patient, mais combine souvent des médicaments (voir encadré) et la thérapie ­cognitivo-comportementale. « ­Les médicaments ne sont pas nécessaires dans tous les cas », affirme la ­Dre ­St-Jean, ajoutant que la thérapie varie selon chacun.

Dans le cas de la dépression, l’exercice peut avoir une incidence importante, ­rappelle-t-elle. C’est par ailleurs un élément intéressant pour toute stratégie d’entreprise visant à prévenir en amont les difficultés de santé mentale. « ­Le sport, c’est le meilleur antidépressif qui existe, que ce soit du yoga, de la course ou de la marche, conclut ­Marie-Jo ­Auclair. On devrait le prôner pour tous nos employés. »

Le rôle de la pharmacogénétique

Alors que les médicaments jouent un rôle important dans le traitement de la dépression, la pharmacogénétique s’avère une stratégie intéressante pour en tirer meilleur profit, et ce, tant pour l’employé touché que pour le régime d’assurance collective. « ­Ce n’est pas rare de voir beaucoup d’essais et erreurs quant au choix du médicament, affirme ­Nathalie ­Trudel, directrice, éducation et secteur privé à ­SSQ ­Assurance. Et comme cela peut prendre de quatre à six semaines pour voir si un médicament fonctionne ou s’il faut changer, ce n’est pas optimal pour le patient, surtout advenant des effets secondaires. » À partir d’un test salivaire, la pharmacogénétique fait une analyse sur la réactivité du patient au médicament, ce qui permettrait de le prescrire, ou proscrire, avec plus de confiance. « ­Le jugement du médecin demeure primordial », précise ­Mme ­Trudel, ajoutant que, par souci de confidentialité, ­celui-ci recevrait directement le rapport d’analyse sans que la compagnie d’assurance soit au courant des résultats. « ­Ce n’est pas une recette fixe, car il peut y avoir d’autres comorbidités. Mais le but est de réduire la période d’essai et de trouver le bon médicament plus vite. » C’est avantageux pour l’employé atteint de dépression, mais aussi le promoteur de régime, poursuit ­Nathalie ­Trudel. « ­Il y a un gain économique, car on utilise moins de médicaments qui ne fonctionnent pas, ce qui représente une saine gestion du portefeuille et du contrat d’assurance. »