La réussite du retour au travail après une absence pour invalidité dépend de la capacité de l’ensemble des acteurs, à commencer par l’employé lui-même, à communiquer et à collaborer efficacement durant et après son absence.

Le succès ou non d’un retour a des répercussions considérables sur le milieu de travail. Outre l’incidence sur le travailleur ­lui-même, la rechute coûte cher à l’organisation et à l’équipe de travail.

Entre le quart et le tiers des employés en invalidité restent absents durant plus d’un an, « ce qui a des conséquences sur l’équipe restée en poste, qui doit absorber la charge de travail supplémentaire. Cela crée de l’épuisement par effet domino », indique ­Marc ­Corbière, titulaire de la ­Chaire de recherche en santé mentale et travail à la ­Fondation de l’Institut universitaire en santé mentale de ­Montréal, en se basant sur des données couvrant les pays occidentaux. Chez l’employé ­lui-même, l’absence pour maladie crée des effets délétères sur sa situation personnelle, une perte d’identité socioprofessionnelle, l’exacerbation des symptômes et de l’isolement, souligne le chercheur.

Lorsque l’invalidité est due à un trouble de santé mentale, la rechute survient dans 20 à 50 % des cas, estime le chercheur, notant que plusieurs études montrent que les causes de ces rechutes sont à chercher dans l’interaction entre l’individu et son environnement de travail.

Sur l’ensemble des absences pour maladie, de 35 à 45 % sont dues à un trouble de santé mentale courant, comme un trouble dépressif, anxieux, un trouble de l’adaptation ou de l’épuisement professionnel, ­poursuit-il. Depuis la pandémie, cette part a même augmenté jusqu’à 60 % selon les secteurs d’activité, précise-t-il.

« ­Le retour au travail est un succès si la personne se maintient dans l’organisation où elle était avant son invalidité sans rechuter pour une période d’au moins six mois », décrit ­Alessia ­Negrini, chercheuse en santé psychologique au travail à l’Institut de recherche ­Robert-Sauvé en santé et en sécurité du travail. « ­Cela peut être réalisé avec des accommodements ou en proposant un poste différent au travailleur. »

Ces adaptations sont prescrites par le médecin en fonction de la nature des limitations qui s’appliquent à l’employé. Mais quelles que soient ces adaptations, c’est la communication entre les acteurs du retour au travail qui déterminera la réussite du retour au travail.

Les conditions gagnantes s’établissent dès le début de l’absence en invalidité. L’objectif de l’ensemble des acteurs doit viser à ce que cette absence ne se transforme pas en une rupture entre l’employé et son milieu de travail.

Maintenir le contact

Le premier geste à poser sera donc, de la part du gestionnaire de premier niveau, de prendre des nouvelles de l’employé absent. Une pause au tout début de l’invalidité, lors de la phase aiguë des soins, doit toutefois être respectée. « ­Le superviseur immédiat a un rôle central, car il connaît l’employé, ­celui-ci peut se fier à lui », rappelle ­Bernard ­Blais, directeur clinique à ­Solutions ­Mieux-être ­LifeWorks.

Le superviseur doit tenir un discours de soutien auprès de son travailleur en congé d’invalidité. « ­On doit lui exprimer qu’il fait partie de notre groupe, qu’on comprend qu’il doit prendre du temps pour récupérer, qu’on est déjà en processus pour s’adapter à sa situation, qu’on garde le contact, qu’il peut nous appeler quand il veut… ­Pourquoi ne pas lui proposer de venir passer un moment lors de la soirée du party de ­Noël ? ­Mais uniquement s’il le souhaite », illustre ­Yves de ­Repentigny, conseiller principal en soutien organisationnel à ­BCH ­Consultants.

Une lésion psychologique coûte en moyenne 120 000 $ à la ­CNESST pour un employé âgé de 45 ans et plus. En cas de rechute, le coût grimpe à 222 000 $.

Source : CNESST

«Ne soyez pas dans le jugement; rassurez l’employé sur le lien que vous aviez avec lui avant l’invalidité et que vous aurez encore. Comme gestionnaire de première ligne, vous êtes son point de contact. Vous avez un lien de confiance qu’il faut maintenir. »

 – Olivier Pagé, Croix Bleue Medavie

Quand il s’agit d’un trouble de santé mentale, des précautions s’imposent, recommande ­Olivier ­Pagé, directeur des opérations, gestion des régimes collectifs d’invalidité à ­Croix ­Bleue ­Medavie. « ­Ne soyez pas dans le jugement ; rassurez l’employé sur le lien que vous aviez avec lui avant l’invalidité et que vous aurez encore. Comme gestionnaire de première ligne, vous êtes son point de contact. Vous avez un lien de confiance qu’il faut maintenir. »

À l’issue de ce premier appel, le gestionnaire de premier niveau devrait garder le lien avec l’employé tout au long de l’invalidité, en convenant d’une fréquence et en lui laissant le choix du moyen de communication (appels téléphoniques, ­textos, courriels), recommande ­Suzanne ­Paiement, associée, santé chez Normandin Beaudry. « ­Ces contacts permettront d’éviter toute difficulté, en préparant l’employé et le milieu de travail au retour, et en créant un climat de bienveillance. »

Du point de vue juridique, rien ne s’oppose à ces communications. « ­Conserver une relation saine facilitera la réintégration », soutient ­Me ­William ­Gagné, avocat au sein du groupe de droit du travail et de l’emploi chez ­Langlois ­Avocats.

Cette prise de contact n’est que la première pierre du plan de retour au travail, qui doit être élaboré durant la période d’invalidité. Cette première phase témoigne du ton « créatif et respectueux » qui doit régner sur le travail de collaboration entre tous les acteurs, souligne ­Olivier ­Pagé.

C’est que le plan de retour au travail devra être mené dans une collaboration transparente entre l’employé ­lui-même, son superviseur immédiat, le service des ressources humaines, l’assureur, son médecin traitant, son médecin spécialiste ou ses intervenants médicaux, par exemple les ergothérapeutes, les physiothérapeutes, etc.

Au sein du milieu de travail, il est essentiel de « mettre en place des stratégies de communication efficaces pour écouter les membres de l’équipe de travail tout en respectant la confidentialité de l’état de santé de l’employé absent », recommande Alessia ­Negrini. La cause de l’invalidité n’a pas à être mentionnée. « ­Dans une culture organisationnelle saine, le message envoyé est qu’on fait preuve de flexibilité et d’ouverture pour que, quelle que soit la personne qui sera en invalidité un jour, elle pourra être certaine qu’elle sera aidée », poursuit la chercheuse.

L’ensemble du processus de retour au travail doit s’appuyer sur des procédures claires, envoyant à chacun le message qu’il a un rôle à jouer, soutient ­Marc ­Corbière, dont l’équipe de recherche a publié une bande dessinée décrivant les bonnes pratiques en la matière (voir encadré à la page 10). Ces pratiques s’appuient toutes sur la collaboration et la communication, même si elles doivent différer selon la situation de chaque employé en invalidité. « ­La recette du retour au travail est standardisée, mais les stratégies d’adaptation sont personnalisées », résume ­Olivier ­Pagé.

De une à deux semaines avant le grand jour du retour au travail, il est bon que le superviseur immédiat appelle l’employé absent pour parler des modalités concrètes. Cela peut être l’occasion de lui demander s’il souhaite divulguer les raisons de son absence, suggère ­Bernard ­Blais. « ­Cela lui permet de réfléchir à cette question avant de revenir, plutôt que passer les premières journées à se demander si on va le questionner. Beaucoup de jeunes employés sont à l’aise d’en parler, contrairement aux générations précédentes. » ­Il est évident que le choix de l’employé devra être respecté, quel qu’il soit.

La loi codifie les devoirs de l’employeur

Les dispositions de la Loi modernisant le régime de santé et de sécurité du travail en matière de retour au travail sont entrées en vigueur le 6 octobre 2022.

Dans cette nouvelle législation, l’obligation d’accommodements raisonnables découle de la Charte des droits et libertés de la personne du Québec, à la suite de la décision de la Cour suprême dans l’arrêt Caron, précise Me William Gagné, de Langlois Avocats.

La loi impose à l’employeur une obligation de collaborer proactivement avec la Commission des normes, de l’équité, de la santé et de la sécurité du travail (CNESST) pour favoriser le retour au travail. Cette obligation permet à la CNESST d’exiger de l’employeur de lui fournir toutes sortes de renseignements nécessaires pour déterminer la capacité de travail de l’employé. Ces renseignements peuvent être des évaluations de poste, des rapports d’ergonomie, des descriptions détaillées de postes ou d’emplois, les exigences physiques de ces emplois, l’adaptabilité du poste…

Et si l’employeur prétend ne pas être en mesure de fournir un emploi convenable, ni d’accommoder l’employé, il devra faire la preuve qu’accommoder le travailleur constitue une contrainte excessive sur le plan matériel ou financier. La jurisprudence prévoyait cela, mais la loi vient codifier le fait que le fardeau est surtout sur les épaules de l’employeur, souligne Me William Gagné. Et si l’employeur fait défaut de respecter ses obligations, il est passible d’une amende administrative de la part de la CNESST.

La loi prévoit également une réintégration progressive dans l’emploi, en termes de charge de travail ou de nombre d’heures par semaine. L’employeur ou l’employé peut bénéficier d’un soutien financier durant un maximum de huit semaines, par un remboursement des heures non travaillées à l’employeur, ou par le versement d’une indemnité de remplacement du revenu au travailleur.


Préparer un retour réaliste

L’idée qu’au retour de l’employé tout reviendra comme avant est illusoire. « ­Après une absence, qu’elle soit de deux semaines ou de trois mois, le travailleur peut se demander comment il va être accueilli et ce qu’on va penser de lui, prévient ­Yves de ­Repentigny. La marche est haute pour le milieu de travail, avec des risques d’incompréhension et de stigmatisation devant le temps nécessaire à la réadaptation de l’employé absent. »

Les collègues risquent de se rappeler l’employé en invalidité comme celui qui avait moins de patience, ou était irritable peu avant son absence. « ­Quand on quitte pour des raisons de santé mentale, on peut avoir des capacités temporairement diminuées durant la période précédant l’invalidité, observe ­Bernard ­Blais. Cela peut générer des craintes avant le retour, autant pour l’employé ­lui-même que dans son équipe. »

Dès le premier jour du retour au travail, un exercice de suivi doit être entamé. « ­Quand la personne revient, ce n’est pas parce elle est guérie, insiste ­Marc ­Corbière. La guérison complète, ça n’existe pas, en santé mentale comme en santé physique. Il y a toujours des symptômes résiduels. Pourtant, les collègues pourraient penser qu’elle est à 120 % parce qu’elle sera guérie et qu’elle va rattraper le temps perdu. Cela crée des attentes non réalistes. »

La pénurie de ­main-d’œuvre augmente le risque d’aller trop vite, avertit ­Bernard ­Blais. « C’est un piège, car on risque l’échec du retour au travail, donc un nouveau retrait. À moyen terme, il est plus payant de prendre le temps d’une réinsertion bien faite. »

À l’inverse, quand il est possible, « le télétravail peut permettre de limiter la durée de l’invalidité s’il y a des limitations physiques et que l’employé peut travailler à distance, constate ­Suzanne ­Paiement. Le télétravail devient une porte d’entrée pour le retour au travail. » ­Quand l’origine de l’invalidité est liée à la santé mentale, l’analyse doit cependant être relativisée, ­ajoute-t-elle, afin de tenir compte d’effets possiblement négatifs liés à l’isolement.

Le superviseur immédiat doit là aussi prévoir des fréquences de rencontre avec l’employé pour faire le point sur son retour. Cela évite que le travailleur ait à demander ­lui-même ces rencontres, souligne ­Bernard ­Blais. Cela participe à normaliser son retour, et à lui éviter de l’inquiétude.

«Après une absence, qu’elle soit de deux semaines ou de trois mois, le travailleur peut se demander comment il va être accueilli et ce qu’on va penser de lui. La marche est haute pour le milieu de travail, avec des risques d’incompréhension et de stigmatisation devant le temps nécessaire à la réadaptation de l’employé absent. »

 – Yves de Repentigny, BCH Consultants 

Une telle pratique contribue également à entretenir un esprit de prévention. « ­On communique à l’ensemble des employés que, s’ils sont absents, on aura organisé et personnalisé les choses en fonction de ce qui leur est nécessaire pour leur permettre de reprendre leurs tâches », avance ­Yves de ­Repentigny. Cette étape est d’autant plus importante que « l’absence entraîne une déprogrammation des habiletés sociales » de l’employé, augmentant le besoin d’être soutenu pour se réadapter à son milieu de travail, ajoute le consultant.

L’ensemble des étapes du retour au travail est facilité quand l’organisation possède une culture d’ouverture, de communication et de tolérance, relève ­Bernard ­Blais. « ­Les organisations qui disposent d’une telle culture ont fort probablement moins d’invalidités liées à la santé mentale. Et les retours au travail se passent mieux. »

Pour aller plus loin 

Une bande dessinée sur le retour au travail, conçue par le ­Centre d’étude et de recherche en santé mentale & travail :
bit.ly/3OrsO2k

L’ABC du retour au travail selon l’Institut de recherche ­Robert-Sauvé en santé et en sécurité du travail :
bit.ly/3Euxb83

L’aménagement des conditions de travail pour les travailleurs âgés de 45 ans et plus : bit.ly/3Gz39CW

«Quand la personne revient, ce n’est pas parce qu’elle est guérie. La guérison complète, ça n’existe pas, en santé mentale comme en santé physique. Il y a toujours des symptômes résiduels. Pourtant, les collègues pourraient penser qu’elle est à 120 % parce qu’elle sera guérie et qu’elle va rattraper le temps perdu. Cela crée des attentes non réalistes. »

 – Marc Corbière, Fondation de l’Institut universitaire en santé mentale de Montréal


• Ce texte a été publié dans l’édition de décembre 2022 du magazine Avantages.
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