Le gouvernement fédéral s’apprête à bonifier les prestations de maladie pour étendre la période de prestations de 15 à 26 semaines. Cette bonification améliorera grandement le filet social pour de nombreux ­Canadiens qui n’ont pas d’assurance invalidité. ­Au-delà du prolongement des prestations, le gouvernement doit se questionner à savoir si la bonification de ce programme atteint réellement l’objectif de soutenir les travailleurs canadiens aux prises avec une maladie, tout en favorisant une économie forte.

Voici quelques aspects auxquels le gouvernement devra porter attention.

Les médecins ­sont-ils les mieux placés pour gérer l’invalidité ?

Actuellement, les médecins sont la pierre angulaire sur laquelle repose le programme de prestations de maladie de l’­assurance emploi. Pour avoir droit aux prestations, le prestataire doit fournir un certificat médical attestant de la durée de l’incapacité à travailler.

Or, l’accès à un médecin est parfois compliqué, ce qui retarde le début des prestations ou pourrait faire en sorte que la période d’absence indiquée par le médecin soit prolongée de manière à éviter une deuxième consultation. Parfois, il arrive aussi que le ­rendez-vous avec le médecin pour une maladie de courte durée soit obtenu après que les symptômes se sont estompés ; il en résulte que le billet médical est délivré sur la présomption de la bonne foi du patient.

De plus, le médecin se retrouve dans un rapport biaisé avec son patient du fait de sa relation professionnelle avec ce dernier. Il n’a pas de comptes à rendre à ­Emploi et Développement social ­Canada (EDSC) ni à l’employeur. Il n’est pas responsable de ses recommandations d’arrêt de travail et il n’a pas d’incitatif financier à ramener rapidement son patient au travail. Les médecins sont formés pour soigner des personnes. Ils n’ont pas comme mandat premier de gérer l’invalidité ni de remplir des demandes de congé de maladie.

Si la gestion par les médecins pose problème, ­est-ce qu’EDSC devrait jouer un rôle plus grand ? ­Un billet médical ­est-il requis pour les maladies de très courte durée ? Est-ce que d’autres approches seraient envisageables ?

Emploi et ­Développement social ­Canada ­a-t-il les outils pour gérer les coûts à long terme de ce programme ?

La gestion des cas uniquement fondée sur le billet médical pose un problème de fond pour ­EDSC dans la mesure où aucune gestion proactive de la durée de l’invalidité n’est faite.

La hausse observée, au cours des dernières années, des demandes de prestations et de leur durée devrait forcer le questionnement d’EDSC. Le gouvernement ­est-il en train de bonifier un programme sur lequel il a peu de contrôle ?

La gestion de l’invalidité par les assureurs ne se limite donc pas au seul billet du médecin et à un diagnostic. L’admissibilité d’un assuré aux prestations tient aussi compte de la nature de son travail et de ses tâches ainsi que de ses capacités fonctionnelles. Les gestionnaires de cas, qui doivent rendre des comptes, sont en contact régulier avec l’assuré et l’employeur pour soutenir la personne en invalidité et déterminer, dès que possible, un plan de retour au travail. Par exemple, un retour au travail pourrait être entrepris dès que les limitations fonctionnelles permettent au travailleur de réaliser une grande partie de ses tâches, avec possiblement une adaptation de ­celles-ci, de son poste ou de son horaire. Au besoin, les assureurs utilisent les services de professionnels en réadaptation qui rencontrent l’employé et l’employeur afin de favoriser un tel retour.

EDSC doit comprendre que la gestion des maladies va ­au-delà des mesures administratives et d’un programme d’indemnisation. Pour les cas particuliers de nature psychologique, qui constituent actuellement une grande proportion des absences, il faut davantage qu’un régime de paiement de prestations. Il faut surtout accompagner les demandeurs avec des services de soutien offerts par des intervenants formés pour cette tâche. Une collaboration entre l’intervenant d’EDSC, le médecin, l’employeur, un spécialiste en réadaptation et la personne malade est essentielle pour prendre en charge la situation de manière holistique et favoriser un retour au travail, souvent graduel. La pire situation est malheureusement de payer une personne à ne rien faire plutôt que de s’activer à son rétablissement avec le soutien d’intervenants qualifiés.

Les mesures mises en place par les assureurs devraient être considérées par ­EDSC s’il veut assurer une gestion rigoureuse du programme, favoriser un retour rapide au travail et maintenir le coût des prestations à un niveau acceptable pour les contribuables et les entreprises canadiennes. C’est un virage important qui exige davantage que la prolongation des prestations à 26 semaines.Les employeurs ­devraient-ils être responsables de leur expérience de réclamations ?

Plusieurs invalidités ont un lien avec le milieu de travail. Les employeurs qui ont des pratiques exemplaires pour éviter le harcèlement, qui font la promotion de la santé et du ­mieux-être, qui favorisent l’équité, la diversité et l’inclusion ont généralement un taux plus faible d’absentéisme.

Ainsi, au ­Québec, la récente modernisation de la ­Loi sur la santé et la sécurité du travail (LSST) inclut une obligation pour les employeurs d’assurer non seulement la santé et la sécurité physique, mais aussi psychologique des travailleurs. Elle a aussi identifié les risques psychosociaux du travail comme un élément qui devra être évalué et pour lequel les employeurs devront prendre des mesures. On reconnaît alors un lien entre certaines pratiques de gestion et la santé des employés.

Le retour progressif, nécessaire dans la majorité des cas, implique une collaboration entre l’employeur et son travailleur afin que cette étape se déroule de manière respectueuse et sécuritaire. Actuellement, les employeurs qui s’appuient sur l’­assurance emploi n’ont aucun incitatif financier à avoir de telles mesures ni à en mettre en place. Cela a parfois comme conséquences que l’employeur ne collabore pas à un tel retour, ce qui peut prolonger la durée de l’absence.

«La hausse observée, au cours des dernières années, des demandes de prestations et de leur durée devrait forcer le questionnement d’Emploi et Développement social Canada. Le gouvernement est-il en train de bonifier un programme sur lequel il a peu de contrôle ? »

L’autre conséquence de ne pas tenir compte de l’expérience de réclamations des employeurs est que le programme d’­assurance emploi est sujet à de l’antisélection. L’antisélection arrive lorsqu’un employeur a une expérience négative en assurance invalidité de courte durée et choisit de mettre fin à son régime d’assurance afin de bénéficier du régime de prestations de maladie de l’­assurance emploi. À l’inverse, un employeur qui a une très bonne expérience en invalidité va plutôt opter pour un régime assuré.

La plupart des organismes provinciaux et territoriaux assurant les travailleurs en cas d’accident ou maladie professionnels ont des mécanismes incitatifs. Un employeur qui compte peu de lésions professionnelles dans ses effectifs et qui gère bien les coûts attribuables aux employés victimes d’une telle lésion aura un taux inférieur à celui d’un employeur qui ne se soucie pas de la prévention ni de la gestion des lésions professionnelles. De tels mécanismes ont entraîné une baisse des taux de cotisation des employeurs qui déploient des mesures efficaces de prévention et de gestion des lésions professionnelles.

EDSC devrait considérer l’implantation de telles mesures incitatives. La solution est loin d’être simple si ­EDSC ne veut pas créer une structure trop complexe qu’il ne sera pas en mesure de gérer, sachant que ses systèmes technologiques sont actuellement désuets. Par ailleurs, les mécanismes incitatifs doivent être bien réfléchis si on ne veut pas avoir comme conséquences, entre autres, d’inciter la discrimination à l’embauche de travailleurs plus âgés ou présentant des problèmes de santé, ou causer la fin d’emploi pour cause d’invalidité (directement ou indirectement). Toutefois, la prise en compte des prestations payées est une approche implantée et acceptée depuis longtemps dans les régimes d’assurance privés qui devrait inspirer ­EDSC.

Dans sa réforme des prestations d’assurance maladie de l’assurance emploi, le gouvernement devra réfléchir plus loin que de simplement ajouter des semaines de prestations. Les ­Canadiens ont besoin d’un meilleur filet de protection, mais pas d’un système qui ne se contente que de verser des prestations. Ils s’attendent à être traités avec compassion et soutien. Si ­EDSC n’est pas capable d’offrir un tel appui aux travailleurs malades et de mettre en place des mesures favorisant la présence au travail, pourquoi ne pas impartir la gestion de l’invalidité de courte durée aux assureurs, qui ont déjà la structure pour offrir ce service ?


• Ce texte a été publié dans l’édition de mars 2022 du magazine Avantages.
Vous pouvez également consulter l’ensemble du numéro sur notre site web
.