Confrontés à une démographie et des marchés financiers défavorables, les jeunes travailleurs doivent bien souvent se contenter de régimes de retraite moins généreux que ceux de leurs prédécesseurs. Mais la grogne commence à monter.

Tout ce que les jeunes demandent, « c’est d’être traités de la même manière que les employés plus âgés, de pouvoir bénéficier des mêmes régimes de retraite », lance Nolywé Delannon, présidente de Force Jeunesse. L’organisme, voué à la défense des conditions de travail des jeunes travailleurs, a vu le jour en 1998, alors que le Québec était en plein cœur d’un débat sur les disparités de traitement dans les milieux de travail. Également appelées « clauses orphelin », celles-ci permettent à un employeur d’accorder des conditions de travail moindres à un employé sur le seul critère de sa date d’embauche.

Le gouvernement a finalement légiféré en 2001, interdisant de telles clauses pour les salaires, les vacances, les congés de maladie et une foule d’autres dispositions. Mais elles sont encore aujourd’hui légales, et plus présentes que jamais, dans les régimes de retraite.

Un débat qui renaît de ses cendres

Devant la grogne des syndicats et de groupes d’intérêt comme Force Jeunesse, le gouvernement du Québec a annoncé en décembre dernier la mise sur pied d’un groupe de travail visant à étudier l’application des clauses de disparité de traitement dans les régimes de retraite. Le député libéral André Fortin, qui préside le groupe, explique que celui-ci a pour mandat « de comprendre ce qui se passe dans les régimes à l’heure actuelle » et de formuler des recommandations au gouvernement. « Les répercussions financières d’une éventuelle législation sur les régimes de retraite fera partie de l’analyse », assure-t-il.

Le groupe, qui a déjà débuté ses travaux, est constitué de représentants du ministère des Finances, du ministère du Travail, de l’Emploi et de la Solidarité sociale ainsi que de Retraite Québec. Des rencontres auront aussi lieu avec divers intervenants, notamment des syndicats. Aucun échéancier précis n’a été établi pour le moment.

Cette démarche mènera-t-elle à une loi interdisant les clauses discriminatoires dans les régimes de retraite ? André Sasseville, avocat spécialisé en droit du travail au cabinet Langlois, en doute fortement. « Je ne crois pas que le gouvernement ait l’intention de légiférer sur le sujet. Après avoir démontré une certaine ouverture sur la question, il l’a remise aux calendes grecques à la fin de l’année dernière en lançant une stratégie jeunesse très générale.»

Selon lui, interdire la cohabitation de plus d’un régime de retraite au sein d’une même organisation, un régime à prestations déterminées (PD) pour les travailleurs plus âgés et un régime à cotisation déterminée (CD) pour les nouveaux employés risque d’entraîner un déclin encore plus rapide des régimes PD, aux prises avec d’importants enjeux de financement.

«Une telle loi pourrait avoir des effets pervers et mettre en danger les bénéfices des employés plus âgés », renchérit
 Claudia Gagné, professeure adjointe au Département de mathématiques et de statistique de l’Université de Montréal. « Ce serait très étonnant que les employeurs choisissent de réintégrer tous leurs jeunes employés dans leurs régimes PD déficitaires.»

Si Québec décidait tout de même d’aller de l’avant en interdisant les clauses discriminatoires, Mme Gagné estime que la nouvelle loi devrait donner de la flexibilité aux promoteurs. « Le gouvernement devrait proposer des solutions. Par exemple, permettre aux employeurs d’améliorer leur régime CD de façon à ce qu’il atteigne un degré de remplacement de revenu de retraite équivalent à celui de leur régime PD. Si la loi est trop stricte, les promoteurs seront tentés de tout simplement éliminer leur régime PD.»

Discrimination systémique

Pour Force Jeunesse, les disparités de traitement sont « fondamentalement défavorables aux jeunes » et il est du devoir du gouvernement de les interdire. Pour autant, Nolywé Delannon insiste sur le fait que son organisme ne milite pas forcément en faveur de davantage de régimes PD pour les jeunes.

« Nous sommes bien conscients que les régimes PD sont en perte de vitesse et que la tendance ne s’inversera pas, dit-elle. On demande tout simplement l’équité avec les travailleurs plus âgés. Cela dit, plusieurs régimes PD se portent très bien et les employeurs décident quand même de les fermer aux nouveaux employés. Les enjeux ne sont pas seulement financiers, ils sont aussi idéologiques. » L’organisme, souligne Mme Delannon, ne prétend pas être en mesure de fournir des solutions concrètes, mais juge tout de même que des régimes CD et PD ne pourront jamais être considérés comme équivalents.

Dans leur croisade vers une plus grande équité intergénérationnelle, les groupes de jeunes peuvent compter sur l’appui des syndicats, particulièrement de la Fédération des travailleurs du Québec (FTQ). « Les clauses de disparité de traitement créent de la discrimination systémique », affirme sans détour Serge Cadieux, secrétaire général de la FTQ.

Il balaie du revers de la main les arguments voulant qu’interdire les clauses de disparité de traitement aurait pour effet de clouer le cercueil des régimes PD. « On a réglé le problème de financement des régimes PD avec la loi 29. Les promoteurs n’ont plus à payer les déficits de solvabilité », dit Serge Cadieux. Comme la majorité des régimes ne sont pas solvables, il en coûterait également très cher aux employeurs de les fermer, ajoute-t-il.

Mais tout comme Force Jeunesse, la FTQ assure que son cheval de bataille n’est pas de réclamer davantage de régimes PD. L’objectif est plutôt d’atteindre l’équité intergénérationnelle. Car si celle-ci est déficiente, les employeurs s’exposent à d’importants risques de désengagement des employés et, par le fait même, à de grandes difficultés d’attraction et de rétention des talents, croit M. Cadieux.

«Les jeunes préfèrent les régimes CD»

Le discours est diamétralement opposé au Conseil du patronat du Québec (CPQ), qui s’oppose farouchement à l’interdiction des clauses discriminatoires dans les régimes de retraite. Selon un sondage réalisé par l’organisme auprès des employeurs québécois, si une telle loi entrait en vigueur, la presque totalité des entreprises de la province couperaient des emplois, déménageraient à l’extérieur de la province ou fermeraient leurs portes.

« Le gouvernement n’a pas à s’immiscer rétroactivement dans les décisions des entreprises », soutient le président-directeur général du CPQ, Yves-Thomas Dorval, qui ajoute que, dans un contexte de pénurie de main-d’œuvre, une telle loi est inutile puisque les entreprises qui n’offrent pas de bonnes conditions de travail à leurs employés « se tirent dans le pied ».

Il soutient par ailleurs que les régimes PD ne sont pas une panacée. « Il ne faut pas diaboliser les régimes CD. Les jeunes les préfèrent généralement aux régimes PD car ils sont beaucoup plus flexibles. Les carrières au sein d’une même entreprise ne sont plus aussi longues qu’avant, les régimes CD sont mieux adaptés aux nouvelles réalités du monde du travail.»

Et de toute façon, les jeunes employés sont plus préoccupés par les questions de conciliation travail-famille que de retraite, juge Yves-Thomas Dorval.

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