Les difficultés vécues par les employés qui doivent s’occuper à la fois de leurs jeunes enfants et de leurs parents vieillissants forcent les employeurs à revoir leurs accommodements pour faciliter la conciliation travail-famille.
De plus en plus de Canadiens âgés de 45 à 64 ans doivent s’occuper à la fois de leurs enfants et de leurs parents vieillissants. Selon un sondage réalisé en 2014 pour le compte de BMO Nesbitt Burns, 55 % de ces personnes issues de la « génération sandwich » prennent soin de leurs enfants ou de parents, ou des deux. Cette situation engendre non seulement des dépenses supplémentaires, mais aussi un stress quotidien qui a des répercussions sur leur travail.
En 2002, Statistique Canada indiquait que 15 % des personnes de la génération sandwich avaient dû réduire leurs heures de travail, 20 % avaient dû modifier leur horaire et 10 % avaient subi une perte de revenu. Les employeurs doivent donc faire face à de nouveaux défis en matière de conciliation travail-famille.
Connaître les besoins
Avant d’envisager des solutions adaptées aux besoins de la génération sandwich, il importe de bien connaître la population de l’entreprise. « La solution n’est pas universelle », prévient Marie-Claude Girard Jauvin, présidente de Consilia, cabinet-conseil en conciliation travail-famille. « L’employeur doit poser un diagnostic pour comprendre quels sont les défis et les besoins de sa main-d’œuvre. Beaucoup de facteurs, comme la situation du conjoint ou de la conjointe, l’âge des enfants ou le lieu de résidence des parents, peuvent influencer le degré de défi vécu par chaque personne. »
Morneau Shepell prône l’établissement d’un indicateur de la santé globale de l’entreprise. Pour ce faire, les employeurs peuvent utiliser un questionnaire adressé aux employés et ciblant leur santé mentale, leur santé financière, leur engagement au travail et leur productivité. « Cela permet à l’employeur d’avoir un portrait global de l’ensemble de ses employés et de commencer à réfléchir sur les types d’avantages sociaux qu’il pourrait mettre en place », indique Sylvain Authier, vice-président, région du Québec et de l’Atlantique à Morneau Shepell. « Cela a permis à des organisations d’offrir l’orthopédagogie dans leurs programmes après avoir constaté qu’il s’agissait d’un besoin important chez leurs employés. »
Attention, toutefois, à ne pas prendre des décisions à long terme. « Les profils d’employés changent avec le temps, prévient Marie-Claude Girard Jauvin. Les employeurs ont souvent l’impression, lorsqu’ils entreprennent une démarche, qu’elle va être valable pendant 15 ans. C’est faux ! Les besoins en conciliation travail-famille sont très évolutifs. »
Miser sur la flexibilité
Les obligations personnelles des employés qui doivent s’occuper de leurs enfants et d’un parent vieillissant créent un stress et une pression émotionnelle qui ont des répercussions sur leur travail. « Ils ont tellement de personnes à charge sur leurs épaules qu’ils doivent s’absenter pour répondre à toutes les demandes qui leur sont adressées, explique Mme Girard Jauvin. Cela cause beaucoup d’anxiété et un sentiment d’insatisfaction au travail et dans leur vie personnelle. »
Outre l’épuisement et l’absentéisme, une étude de l’Université Carleton réalisée en 2012 rapporte que les hommes de la génération sandwich sont deux fois plus susceptibles de refuser une promotion à cause des difficultés liées à la conciliation travail-vie personnelle. Ce même rapport recommande aux employeurs d’agir s’ils veulent demeurer concurrentiels, notamment en proposant des horaires plus souples.
À part le télétravail, de nombreuses mesures permettent aux employés de trouver un équilibre travail-famille. « Cela peut être des plages horaires flexibles le matin ou en fin de journée ou la transformation d’un poste à temps plein en deux postes à temps partiel », mentionne Marie-Claude Girard Jauvin.
Au Mouvement Desjardins, les employés peuvent répartir leurs heures de travail de différentes façons. « Nous avons des semaines comprimées de 35 heures en 4 jours ou de 70 heures en 9 jours », explique Carole Southière, directrice principale, Stratégies et pratiques en acquisition de talents chez Desjardins.
« On tente de plus en plus de travailler avec des objectifs, ajoute Sylvain Authier. L’employeur cible un objectif à atteindre par l’employé à la fin de la semaine. Cela lui donne la liberté de répartir le travail comme il le souhaite dans son horaire. »
Marie-Claude Girard Jauvin mentionne qu’un de ses clients a même décidé de former tous ses employés afin que plus personne n’ait des compétences uniques. « En ayant des compétences universelles, les employés peuvent faire la tâche d’un collègue et le remplacer au besoin. »
Le soutien dans la mire
Toutefois, la nature même de certaines activités ne permet pas d’offrir aux employés un horaire flexible ou la possibilité de faire du télétravail. « Quand la flexibilité n’est pas possible, si la compréhension est présente, c’est déjà beaucoup », souligne Chanelle Cartier, conseillère en régimes d’assurance collective chez Lafond Avantages sociaux et actuariat.
Dans l’étude réalisée par l’Université Carleton en 2011-2012, seulement 8 % des répondants ont dit s’être réellement sentis épaulés par le programme d’aide aux employés (PAE) de leur organisation. Il s’agit là d’« un outil important, tant pour les employés que pour les gestionnaires », souligne toutefois Sylvain Authier.
Chanelle Cartier ajoute que la personne peut ainsi avoir accès à une ligne d’aide juridique ou à une infirmière clinicienne spécialisée en gériatrie qui va donner des informations utiles pour aider ses parents. « Mais il faut que les fonctions de ces programmes soient bien communiquées. Ils sont souvent mal connus des employés », tranche-t-elle.
Carole Southière affirme que le programme d’aide offre toute une gamme de ressources aux employés. « Il permet de trouver des médecins, de l’information pour aider une personne vieillissante ou un programme d’aide psychologique. On ajoute constamment des services en fonction de ce que les employés nous disent et de ce qui se fait ailleurs. »
Pour les individus qui doivent prendre soin de deux générations à la fois, le fardeau des obligations est moins lourd lorsque le soutien de l’entreprise est présent. « Savoir que l’employeur est au courant des défis quotidiens de son employé peut enlever un poids sur les épaules de ce dernier, explique Chanelle Cartier. Il est important d’être appuyé dans sa démarche et de sentir que son employeur est conscient de la situation. C’est beaucoup plus facile à vivre que d’avoir à se battre pour faire en sorte que cela ne paraisse pas. »
Communication et sensibilisation
Sylvain Authier insiste sur la nécessité de sensibiliser et d’éduquer les employés et les gestionnaires sur les difficultés entourant la conciliation travail-famille. « Il faut s’assurer que les employés puissent nommer ce qu’ils vivent et former les gestionnaires pour qu’ils trouvent des moyens d’accommoder les employés », dit-il.
Des préjugés subsistent dans les milieux peu organisés. « On voit une incompréhension dans les entreprises qui gèrent la conciliation travail-famille de façon informelle, au cas par cas, constate Marie-Claude Girard Jauvin. Les gens ne pensent pas que cela peut s’appliquer au fait de devoir prendre soin d’un parent vieillissant. »
Sensibiliser la population aux responsabilités multiples de la génération sandwich permet de lutter contre les préjugés. « Nous souhaitons voir le même soutien envers un employé qui prend soin d’un parent malade qu’envers un employé qui prend soin d’un enfant malade car la situation est la même, précise Chanelle Cartier. Si l’employé se fait regarder de travers par ses collègues parce qu’il arrive 30 minutes en retard, c’est horrible ! Lorsque tout le monde est sensibilisé aux défis vécus par certains employés, on comprend vite que les avantages offerts à l’un ne sont pas offerts pour rien. »
Un défi grandissant
Le vieillissement de la population et l’arrivée tardive du premier enfant ne font qu’accroître le phénomène de la génération sandwich à laquelle les organisations doivent s’adapter. « De plus en plus de gens actifs sur le marché du travail auront à accompagner des parents à travers la maladie ou la perte d’autonomie », confirme Mme Girard Jauvin.
« Les employeurs qui ne s’en soucient pas seront pris avec une pénurie d’employés ou un fort taux d’absentéisme, ajoute Chanelle Cartier. Le 9 à 5 n’est pas adapté à la réalité de tout le monde. Ce sont souvent de petites modifications qui peuvent faire une grande différence. »
Dans le contexte actuel où les employés ne restent plus 25 ans avec le même emploi, les employeurs ont intérêt à miser sur la conciliation travail-famille pour conserver leur main-d’œuvre ou attirer de nouveaux employés, croit Sylvain Authier.
« De toute façon, la majorité des gestionnaires d’entreprise font partie de la génération sandwich, constate-t-il. Eux-mêmes se trouvent souvent très démunis. Dès lors, nous n’avons pas vraiment à les convaincre d’offrir des accommodements à leurs employés. »