Les choses vont rondement pour les régimes de retraite à prestations déterminées (PD), qui affichent les ratios de solvabilité les plus élevés en dix ans. Pour les promoteurs, la question se pose : ­est-ce le moment de prendre d’importantes décisions pour l’avenir ?

Les caisses de retraite canadiennes ne se sont jamais mieux portées depuis le début de la crise financière de 2007‑2008. Au 1er juin dernier, leur ratio de solvabilité médian s’établissait à 95,3 %, tandis que 37 % d’entre eux affichaient un excédent de capitalisation, selon une enquête d’Aon ­Hewitt.

« ­Ce sont majoritairement les solides rendements obtenus par les actifs risqués, particulièrement les actions, qui ont contribué à la hausse de la solvabilité des régimes au cours des dernières années », soutient ­Claude ­Lockhead, actuaire et associé principal et chef de l’ équipe ­Retraite de la ­Région de l’Est du ­Canada chez ­Aon ­Hewitt.

L’indice ­MSCI mondial a par exemple enregistré un rendement annualisé de 16 % au cours des cinq dernières années. Quant au marché américain (S&P 500), un dollar investi au plus creux de la crise financière en vaut aujourd’hui quatre.

La règle des trois D

« ­Sachant que la santé financière des régimes a atteint un niveau record en dix ans, et que nous sommes ­peut-être à la fin d’un cycle de marché haussier, c’est le bon moment pour les promoteurs de réfléchir à l’avenir de leur régime. Agir quand ça va bien, c’est toujours plus facile que quand ça va mal », affirme M. Lockhead.

Il conseille aux promoteurs de mettre en place une stratégie qui repose sur trois D : la diversification, le derisking et le dynamisme.

Les caisses de retraite dont les actifs risqués sont encore essentiellement constitués d’actions devraient tout d’abord intégrer de nouvelles catégories d’actif à leurs portefeuilles, de l’immobilier ou de l’infrastructure, par exemple. Les plus réfractaires devraient à tout le moins augmenter la diversification au sein de leurs portefeuilles d’actions et d’obligations, en se tournant entre autres vers les marchés émergents.

Le derisking s’applique davantage aux régimes matures ou fermés aux nouveaux participants. « ­Ces régimes doivent avoir un plan pour réduire graduellement les risques, que ce soit par l’entremise des placements ou de l’achat de rentes », indique ­Claude ­Lockhead.

Finalement, les caisses qui veulent sortir du lot dans un environnement où les rendements s’annoncent plus modestes devront faire preuve d’agilité. « ­Trop de caisses de retraite s’assoient sur leur politique de placement et laissent aller les choses. Dans l’environnement où l’on s’en va, elles auront à réagir rapidement aux mouvements de marché, de taux d’intérêt et de taux de change. Elles doivent être prêtes à passer à l’action pour profiter des occasions et se protéger contre certains risques », souligne l’actuaire.

Plusieurs de ces mesures, comme les changements de politiques de placement, l’ajout de catégories d’actif ou encore l’achat de rentes, sont majeures et ne peuvent pas être appliquées du jour au lendemain. Par contre, certaines mesures de moindre envergure et plus faciles à mettre en place peuvent aussi être envisagées par les promoteurs.

« ­Même si elles ne changeront rien à la situation financière du régime dans l’immédiat, elles aideront à mieux gérer les risques à long terme », explique ­Claude ­Lockhead. Parmi ces « petites » mesures, on peut mentionner l’implantation d’une gestion dynamique du risque de taux de change, une diversification des portefeuilles d’actifs traditionnels ou encore une plus grande diversification parmi les gestionnaires de fonds.

L’obsession de la solvabilité

La hausse du ratio de solvabilité est évidemment une bonne nouvelle pour tout le monde, mais les régimes ouverts ne devraient pas s’en soucier outre mesure, estime ­Pierre-Luc ­Meunier, associé, ­Retraite et épargne chez ­Normandin ­Beaudry.

« À mon avis, les régimes ouverts ont longtemps mis trop d’énergie à faire le suivi de leur solvabilité. Pour les régimes ouverts, le vrai moteur, c’est la capitalisation », ­dit-il. Selon lui, l’adoption de la loi 29 sur le financement des régimes ­PD du secteur privé a d’ailleurs permis de remettre les priorités aux bons endroits, c’­est-à-dire les stratégies de financement basées sur la capitalisation.

« ­Dans les régimes ouverts, ce n’est pas la hausse des degrés de solvabilité qui devrait pousser les promoteurs à poser des gestes. Dans la plupart des cas, ces gestes ont déjà été posés, que ce soit par rapport aux placements, aux prestations ou au financement », ajoute l’actuaire.
La situation est toutefois différente pour les promoteurs de régimes fermés, qui doivent suivre leur niveau de solvabilité de près. « ­Par exemple, pour un régime fermé depuis longtemps qui ne compte presque plus de participants actifs, la hausse de la solvabilité peut être un signal de déclenchement d’un processus de terminaison. Dans le cas de régimes un peu moins matures, on peut aussi parler de stratégies d’immunisation. On veut prendre ces gains de ­solvabilité-là et les emmagasiner », dit ­Pierre-Luc ­Meunier.

Mais dans tous les cas, le degré de solvabilité ne devrait pas être un prétexte pour prendre des décisions importantes sur un coup de tête. ­Celui-ci indique plutôt aux promoteurs le bon moment pour accomplir des gestes concrets selon un plan préétabli.

L’heure des adieux ?

De nombreux promoteurs pourraient vouloir profiter du degré de solvabilité élevé pour mettre fin à leur régime. ­Est-ce une bonne stratégie ?

« ­La solvabilité s’est beaucoup améliorée, mais elle demeure relativement basse dans beaucoup de régimes, tient à préciser ­Richard ­Bourget, associé principal, ­Retraite et épargne chez ­Normandin ­Beaudry. Les moyennes de ratios de solvabilité cachent de grandes disparités. Je présume que les employeurs vont attendre que la solvabilité se rapproche davantage de 100 % avant d’envisager la résiliation. »

La terminaison d’un régime solvable à 80 %, par exemple, coûterait très cher au promoteur, car ­celui-ci devrait immédiatement financer un important déficit. « ­Depuis 2005, les promoteurs ont mis beaucoup d’argent dans les régimes. Je ne pense pas qu’ils aient envie d’en rajouter encore énormément pour y mettre fin », ajoute l’actuaire.

Se préparer pour la prochaine tempête

On l’a vu, les ratios de solvabilité records atteints par les régimes de retraite cette année sont en grande partie attribuables aux excellents rendements boursiers. Mais si on devait faire face à une nouvelle crise financière, l’histoire se ­répéterait-elle ?

« ­La moyenne des régimes s’en sortirait mieux qu’en 2007‑2008, juge ­Claude ­Lockhead. Depuis la crise, les caisses ont diversifié leurs actifs. Cela dit, il y en a encore beaucoup qui sont grandement exposées aux marchés boursiers et qui ont peu de protection face aux mouvements des taux d’intérêt. Une part importante des régimes ne sont pas mieux préparés à une crise qu’il y a 10 ans. »
Problème supplémentaire : les régimes sont bien plus matures qu’il y a 10 ans. « ­Un nouveau choc boursier aurait une plus grande incidence sur les cotisations que lors de la crise de 2007, particulièrement dans les régimes qui ont grossi malgré une masse salariale qui a stagné », ­poursuit-il.

D’ailleurs, la maturité est le risque le plus mal géré et le plus ­sous-estimé dans les régimes de retraite à l’heure actuelle, croit M. Lockhead. « ­Les promoteurs devraient faire le suivi de ce ­risque-là, le mesurer. Cela les amènerait à faire des gestes pour le gérer, l’achat de rentes, par exemple. »

Même s’il est d’avis que la gestion des risques dans les régimes est généralement bien meilleure aujourd’hui qu’elle ne l’était il y a une dizaine d’années, ­Pierre-Luc ­Meunier formule une autre mise en garde. « ­La solvabilité s’est beaucoup améliorée parce que les promoteurs ont injecté énormément d’argent dans les régimes. Mais avec la loi 29, les règles du jeu viennent de changer : les promoteurs ne mettent plus d’argent pour combler les déficits de solvabilité. À l’avenir, on ne pourra donc plus compter sur ce rythme de cotisation élevé pour soutenir une hausse de la solvabilité. »

Avec moins d’argent investi dans les régimes et des rendements boursiers qui risquent d’être mineurs, tous les yeux seront tournés vers les taux d’intérêt. « ­Les régimes qui prévoient que la situation va continuer de s’améliorer parient sur une hausse des taux, explique ­Pierre-Luc ­Meunier. Mais ça prendrait une grosse hausse pour soutenir une croissance des ratios de solvabilité comme celle qu’on a pu connaître dernièrement. »

« ­Sans hausse de taux d’intérêt, il est possible que les niveaux élevés de solvabilité soient éphémères, avance de son côté ­Richard ­Bourget. La prochaine tempête va sûrement faire baisser la solvabilité des régimes… et on ne finance plus la solvabilité. »