L’Organisation mondiale de la santé (OMS) considère le diabète comme l’épidémie du 21e siècle. Un Canadien sur quatre en est atteint et les coûts engendrés par la maladie incitent des employeurs à agir.

« Le nombre de diabétiques augmente de façon fulgurante », prévient Sylvie Lauzon, présidente-directrice générale de Diabète Québec. En 2020, un Canadien sur trois sera atteint si rien n’est fait pour renverser la tendance, annonce l’organisme. Ces statistiques sont alarmantes pour le système de santé québécois, mais aussi pour les employeurs puisque 15 % des travailleurs de 50 à 64 ans sont diabétiques.

Des complications coûteuses

En troisième position parmi les maladies chroniques les plus fréquentes au Québec, après l’arthrite et les rhumatismes, puis le cancer, le diabète engendre des dépenses non négligeables pour les employeurs. Déjà en 2010, Telus Santé révélait qu’il s’agissait de la quatrième condition de santé la plus coûteuse en assurance médicaments, avec des dépenses qui représentaient 6,6 % du coût total des médicaments. « Pour la Financière Sun Life, au Canada, cela représente près de 7 % du volume des réclamations et 8,4 % des sommes totales des réclamations remboursées », indique Geneviève Jutras, conseillère principale aux relations publiques. « Un travailleur atteint de diabète coûte à l’employeur environ 2 500 $ de plus par année qu’un employé qui n’est pas atteint d’une maladie », ajoute Pierre Marion, directeur de marché à Croix Bleue Medavie.

Deux conditions expliquent ces coûts liés au diabète : le non-diagnostic et la non-adhésion aux traitements. « Le fait d’être diabétique n’est pas un problème, rappelle Sylvie Lauzon. Mais on estime que près d’un million de Canadiens seraient atteints de la maladie sans le savoir. » Et lorsqu’elle est diagnostiquée tard, la maladie risque d’avoir provoqué des dommages irrémédiables qui nécessiteront des traitements supplémentaires. Selon la Clinique universitaire de nutrition de la Faculté de médecine de l’Université de Montréal, « au moment du diagnostic du diabète, plus de 60 % des sujets montrent déjà au moins une complication médicale qui s’y rattache ».

La rétinopathie, les maladies cardiovasculaires, la neuropathie et la néphropathie sont parmi les complications les plus courantes. « Cela peut être long avant que ces problèmes n’apparaissent et, entre temps, la personne diabétique risque de ne pas se sentir bien et de s’absenter du travail », explique Sylvie Lauzon. De plus, les complications représentent plus de 80 % des coûts associés au diabète.

Respecter le traitement

La non-adhésion aux traitements, chez les diabétiques, engendre aussi de nombreuses complications irrémédiables et coûteuses. « Les problèmes d’adhésion ne sont pas rares puisque les gens ne sentent pas leur diabète, à moins d’être en hypoglycémie ou en hyperglycémie », explique Georges‑Étienne Gagnon, pharmacien à Saint-Jérôme. « Quand on leur dit de prendre une pilule trois fois par jour, ils n’en voient pas toujours la nécessité. Tous les jours, nous devons discuter avec nos patients diabétiques pour leur rappeler l’importance de la prise des médicaments. Les dommages liés au diabète sont permanents ! »

La mauvaise observance des traitements de longue durée pour les maladies chroniques est un problème récurrent dans le monde entier. Près de 16 % des travailleurs québécois de 50 à 64 ans atteints d’une maladie chronique prennent une dose de médicaments moindre que ce qui leur a été prescrit et 5,4 % prennent plus que ce qui leur a été prescrit. « Les diabétiques ont plusieurs médicaments à prendre, rappelle Sylvie Lauzon. Ils doivent souvent prendre un médicament pour le cholestérol, un médicament pour la haute pression et un autre pour gérer le diabète. La non-adhésion est un problème fréquent puisqu’il s’agit d’une maladie silencieuse. »

Le rôle de l’employeur

La prévention des maladies chroniques relève-t-elle de la responsabilité de l’employeur ? « C’est la première question à se poser », souligne Denis Gobeille, conseiller et vice-président de Deontologie.ca. « Pour l’instant, les employeurs ne croient pas que cela relève de leur responsabilité ou regardent cela avec un œil critique. Pourtant, tous les coûts dans l’entreprise sont directement liés à la santé des employés. Les congés de maladie sont le principal coût de santé d’une compagnie. »

La directrice générale de Diabète Québec constate que les employeurs manquent d’information sur les conséquences du diabète. « Beaucoup d’organisations ne réalisent pas l’ampleur du problème et considèrent que c’est une maladie parmi tant d’autres, dit Sylvie Lauzon. Ils ignorent que c’est une maladie qui peut être dévastatrice et dangereuse. »

Même s’ils sont encore peu nombreux à agir, plusieurs employeurs et compagnies d’assurances collectives se sont engagés dans des programmes pour prévenir la maladie, la dépister, ou offrir un service d’accompagnement. « La santé des employés fait partie des responsabilités des employeurs, croit Pierre Marion. Ils doivent développer des outils pour permettre à leurs employés de se prendre en main et d’améliorer leur état de santé. »

Dépister, prévenir, accompagner

Depuis plusieurs années, Diabète Québec propose des journées de dépistage aux entreprises. « Certaines organisations nous appellent chaque année, d’autres le font selon leurs besoins, et à chaque fois nous trouvons des personnes diabétiques qui ignoraient leur état de santé, mentionne Sylvie Lauzon. Malheureusement, seulement une vingtaine d’entreprises font appel à nos services régulièrement ! »

Par ailleurs, plus de la moitié des cas de diabète de type 2 pourraient être prévenus, ou leur apparition pourrait être retardée, grâce à un régime alimentaire plus sain et une activité physique plus soutenue2. « La principale cause du diabète est la sédentarité et une mauvaise alimentation, rappelle M. Gobeille. Peut-on faire en sorte qu’il y ait une nourriture adéquate à la cafétéria ? A-t-on des structures en place pour favoriser l’activité physique dans son organisation ? Y-a-t-il de l’information diffusée sur l’impact du diabète sur la santé ? », se demande-t-il.

Proposer aux travailleurs des services de promotion de saines habitudes de vie afin de prévenir le diabète semble en effet faire de plus en plus partie de l’offre en assurance collective. « Une étude récente de l’Association canadienne du diabète a révélé que les personnes qui présentaient un risque d’être atteintes du diabète de type 2 avaient réduit leur risque de 58 % en faisant modérément de l’exercice pendant 30 minutes par jour et en perdant entre 5 et 7 % de leur poids corporel », indique Geneviève Jutras.

Une stratégie pourrait commencer par une évaluation des facteurs de risque de diabète dans l’organisation. Ensuite, on peut envisager la mise en place de cliniques de dépistage et de mesures de promotion de la santé auprès des individus concernés. Par ailleurs, il est important de faire la promotion de saines habitudes de vie auprès de l’ensemble du personnel. « Il est fortement souhaitable d’obtenir le soutien de la direction et de trouver des champions internes qui peuvent faire passer le message », ajoute Mme Jutras.

Il s’avère également intéressant d’accompagner les employés diabétiques en vue d’obtenir de meilleurs taux d’adhésion aux traitements. « Si nous aidons les employés à observer la thérapie prescrite, on prévient la détérioration de leur état de santé et tous les coûts qui les accompagnent liés au présentéisme, à l’absentéisme, à l’invalidité et à l’augmentation de la prise de médicaments, explique Pierre Marion. L’adhésion aux traitements est un problème important, souvent lié à un manque d’information et d’accompagnement. »

Quel retour sur l’investissement ?

Ni la Financière Sun Life, ni Croix Bleue Medavie n’ont pu mesurer, à ce jour, l’impact de la mise en place de leurs programmes de prévention du diabète dans les milieux de travail. « La mise en place de notre programme a nécessité un investissement important, admet Pierre Marion. Toutefois, si on attend d’avoir des résultats précis des retours sur l’investissement, nous ne ferons jamais rien. Il faut aller de l’avant. Il est rare que l’on se trompe en investissant dans la prévention ! »

Avec le vieillissement de la population active, l’augmentation des maladies chroniques et la hausse des coûts en assurance médicaments, les employeurs réalisent de plus en plus l’importance d’agir en amont. « L’employeur est-il obligé d’agir seulement s’il a un retour sur l’investissement ?, se demande Denis Gobeille. Ne peut-il pas agir parce que socialement il y croit ? Beaucoup le font ! »