La pertinence de diversifier son portefeuille obligataire à l’international reste à démontrer. Rarement l’ajout d’un risque de change vaudra le coût dans cette catégorie d’actif, ­dit-on. 2018 pourrait ­peut-être faire partie des exceptions.

La diversification internationale des portefeuilles obligataires ne fait pas consensus.

« C’est un gros pari sur la monnaie, qui peut effacer le rendement en trois mois ou moins. » ­Jean-Paul ­Giacometti, ­vice-président et gestionnaire de portefeuille à ­Corporation gestion de placements ­Claret persiste et signe. « À moins d’avoir besoin de revenus dans une autre monnaie, avec un taux de coupon de 2, 3 ou 4 %, ça ne vaut pas le coup alors que du côté des actions, il peut y avoir compensation », les cours pouvant bénéficier d’une dévaluation de la devise.

Michel ­Pelletier est du même avis. Le ­vice-président et gestionnaire principal à ­Gestion de placements ­Eterna ajoute que la décision de recourir à la diversification internationale dépend du type et de la taille du portefeuille. « Ça s’adresse très souvent à un portefeuille spécialisé ou disposant des ressources pour faire de la couverture de risque. Les risques de crédit peuvent être couverts par des swaps ou des positions courtes (short) sur des indices, mais ce n’est pas tout le monde qui peut le faire. Aussi, pourquoi ajouter des risques de change qu’on ne couvre pas dans le portefeuille obligataire alors qu’on en a probablement déjà dans le portefeuille en actions? »

« La partie obligataire a pour objectif d’apporter une certaine stabilité au portefeuille. Pourquoi en accroître la variabilité en y ajoutant une composante risque? »

Richard Beaulieu, Addenda Capital

À ­Addenda ­Capital, on ramène également l’enjeu de cette diversification internationale à un pari sur la devise. « ­On voit surtout des arbitrages impliquant les obligations à haut rendement américaines et canadiennes. Autrement, avec des obligations étrangères, il faut justifier le risque additionnel par un rendement accru, ce qui n’est pas toujours évident. D’autant qu’en revenu fixe, la sensibilité aux fluctuations de la devise est plus élevée », souligne ­Christian ­Robert, ­vice-président, ­Solutions d’investissement et investissement guidé par le passif. Son collègue ­Richard ­Beaulieu, ­vice-président et économiste principal, de renchérir : « ­La partie obligataire a pour objectif d’apporter une certaine stabilité au portefeuille. Pourquoi en accroître la variabilité en y ajoutant une composante risque ? » ­demande-t-il, précisant qu’une ­variabilité-type, généralement plus élevée en euro ou en d’autres devises qu’au ­Canada et aux ­États-Unis, peut être de l’ordre de 8 à 10 %.

Pas dénuée d’intérêt

Cela dit, dans l’univers des titres à revenu fixe, la diversification internationale n’est pas dénuée d’intérêt selon les circonstances, les cycles économiques et la conjoncture. On pense aux périodes de crise financière, avec le gel des liquidités qui s’ensuit, comme ce fut le cas avec le bond des écarts de taux à la fin de 2008. La crise de la dette souveraine dans la zone euro, qui a également fait exploser les écarts de taux, est une autre illustration d’occasions ponctuelles. La crise argentine aussi, avec ses défauts de paiement à répétition, ou le déclin économique de ­Détroit au cours des années 1930 puis sa faillite en 2013. Or, « si vous pariez sur les pays en défaut, vous serez payé 10 ou 30 ans plus tard, avec une monnaie dévaluée », prévient toutefois ­Jean-Paul ­Giacometti. Et il s’agit, ici, d’occasions se présentant dans des situations extrêmes ne répondant pas toujours aux restrictions ou contraintes auxquelles les caisses de retraite peuvent être soumises.
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Au-delà de ces occasions de nature plus ponctuelle, voire spéculative, il y aura davantage de possibilités et d’émetteurs sur le marché plus vaste des crédits. L’investisseur jouera également le jeu des écarts plus élevés apparaissant sur les obligations de sociétés ou de pays émergents alors que la variabilité se ressemble et le risque de crédit est quasi nul dans les pays matures. Mais la logique demeure. « C’est le rendement absolu qui importe. Le taux en absolu doit être plus élevé que le risque encouru », souligne ­Christian ­Robert. Et pour lui, les marchés émergents vont s’apparenter à une obligation à haut rendement mais sans la prime de risque substantielle accolée aux premiers.

« Même pour le bêta, l’évolution du marché reste influencée par la composante devise. »

– Michel Pelletier, Gestion de placements Eterna

Plus on s’éloigne des économies dites matures, plus il faut une équipe se proposant de générer l’alpha.
« Ça prend des spécialistes capables de bien évaluer les risques : de change, souverains, d’écart de crédit, de liquidité… », précise ­Michel ­Pelletier, qui ajoute que « même pour le bêta, l’évolution du marché reste influencée par la composante devise ». ­En dehors du dollar américain, c’est une réalité d’autant plus exacerbée que tous ces placements n’ont pas nécessairement accès à des contrats de couverture ni à bon prix. Et que nombre des marchés émergents présentent encore ce qu’on appelle des inefficiences structurelles et institutionnelles.

Peu ou pas présentes

Richard ­Beaulieu n’a pas de statistique officielle, mais il ne fait pas de doute à ses yeux que les obligations étrangères sont peu ou pas présentes dans la moyenne des portefeuilles. Gilles ­Lavoie, conseiller principal au cabinet ­Mercer, observe pour sa part que certains gestionnaires peuvent consacrer jusqu’à 10 % de leur portefeuille à revenu fixe aux obligations étrangères. « J’ai des clients qui vont jusqu’à 20 %, mais c’est rare. C’est souvent le
lot de caisses de retraite de plus grande taille ou d’institutionnels plus pointus, qui investissent dans un grand nombre de stratégies de placement dans un objectif de diversification. Ils recherchent un rendement additionnel dans un contexte de contrôle des risques. »

Le cas échéant, les plus petites caisses vont plutôt s’exposer aux obligations étrangères de manière indirecte, par une approche de gestion tactique dite « ­Core ­Plus », traduit par « base plus » en français. On parle, ici, de fonds de gestion se concentrant sur les titres de dettes ou à revenu fixe de première qualité auxquels se greffent des titres de dette à haut rendement ou d’émetteurs issus des pays émergents, selon un objectif spécifique.

En revenu fixe, l’objectif d’un « base plus » consiste à s’en remettre à un univers de placements élargi afin d’ajouter au potentiel de rendement sans compromettre la qualité de crédit générale et en conservant le profil de risque établi pour un portefeuille d’obligations de qualité.

D’autres avenues recherchées

« ­Les rendements obligataires ont diminué de manière importante. Aussi, ce ne sera pas toujours du 10 % ou plus dans les actions. Avec un rendement espéré plus faible, avec un appariement ­actif-passif moins rigide dans le contexte de la hausse des taux attendue, les administrateurs recherchent aujourd’hui d’autres avenues. » ­Gilles ­Lavoie constate ainsi qu’un administrateur de caisse de retraite voudra réduire cette année son exposition au risque des actions. Il pourrait regarder du côté des obligations étrangères offrant un rendement plus élevé et une corrélation plus faible. « ­Les administrateurs sont à l’aise avec les obligations et elles composent un marché plus liquide. » ­La mécanique est simple, reposant sur une actualisation des flux monétaires, et son coût est moins élevé que celui des fonds non traditionnels. Les obligations étrangères seront généralement intégrées au portefeuille croissance puisqu’ils remplissent un besoin de diversification et non d’appariement ­actif-passif.

« Il vaut mieux s’en remettre à un panier diversifié en recourant à une gestion active. Comme on le fait avec des actions mondiales. »

– Gilles Lavoie, Mercer

Les obligations à haut rendement américaines et les dettes privées européennes auront alors généralement la cote. Ailleurs, on met l’accent à l’étranger sur la dette gouvernementale des pays souverains, moins sur le crédit des sociétés. Mais de manière optimale, « il vaut mieux s’en remettre à un panier diversifié en recourant à une gestion active. Comme on le fait avec des actions mondiales, poursuit le spécialiste de ­Mercer. Comme pour les actions, l’exposition aux obligations de pays émergents est mise souvent en place à travers des mandats d’obligations mondiales. »

L’Amérique du ­Nord attire

Mais paradoxalement, c’est présentement l’Amérique du ­Nord qui attire les investisseurs institutionnels. La structure des taux d’intérêt en termes absolus est plus élevée ici que dans les autres marchés matures. « ­Les ­Européens et les ­Asiatiques sont très actifs sur nos marchés », soutient ­Richard ­Beaulieu. Dans la conjoncture actuelle de hausse des taux d’intérêt en ­Amérique du ­Nord, les obligations mondiales ont une durée plus courte que les obligations canadiennes, mais la dynamique de taux est appelée à changer, notamment en ­Europe. « ­Tactiquement, il n’y a pas d’avantage ou de gain relatif. Au demeurant, pourquoi ne pas plutôt jouer sur la durée du portefeuille canadien? » souligne ­Christian ­Robert.