Quand les banques centrales parlent d’une « new normal » de taux d’intérêt plus faibles sur une longue période, on a l’impression d’être confronté à un concept qui vient de s’installer. Or, force est de constater que cela fait déjà un bon moment que les caisses de retraite et d’autres investisseurs doivent composer avec de faibles rendements sur les obligations. La question se pose : si la nouvelle norme ne date pas d’hier, les régimes de retraite ont-ils fini par l’accepter ?

« Les facteurs qui nous ont amenés à la situation actuelle sont beaucoup mieux compris qu’il y a quelques années », observe Marc Rouleau, vice-président et directeur à Gestion de placements TD. Si l’on regarde l’historique des taux à long terme, ajoute-t-il, ce sont davantage des taux assez faibles qui constituent la norme. Ceux des années 1970, 1980 et 1990 auront été plutôt l’exception. « Aujourd’hui, on accepte que le contexte soit plus compliqué que prévu. »

Michael Quigley, vice-président, gestion institutionnelle à Gestion de placements Phillips, Hager & North, estime que les investisseurs en sont venus à la conclusion que « cela coûtait trop cher » d’attendre une hausse de taux qui n’arrivait pas. « Depuis deux ans, on voit un changement d’approche et la question est devenue qu’est-ce qu’on peut faire de plus et de mieux dans les circonstances, plutôt que d’attendre. »

On ne peut pas faire abstraction du contexte global, souligne Luc de la Durantaye, directeur général, répartition de l’actif et gestion des devises à Gestion d’actifs CIBC, mettant l’accent sur la capacité de générer de l’activité économique et ainsi le rendement des entreprises. « On parle souvent de la démographie, du vieillissement de la population, mais il est également question de la productivité des économies qui elle aussi est faible. »

Différents éléments font en sorte que les gens ressentent un plus grand besoin d’épargner, ce qui met une pression à la baisse sur la consommation, ajoute M. de la Durantaye. « L’économie est ainsi plus faible et les entreprises investissent moins. Dans ce contexte, les investisseurs se demandent quoi faire pour obtenir des rendements plus élevés et la solution est d’accepter plus de risque. »

Rendements et risques
Nombreuses sont les caisses de retraite québécoises à avoir adopté des stratégies d’ajustement progressif de la répartition des actifs, souvent décrites avec l’expression anglaise glide path. Il s’agit d’établir un cadre de référence qui désigne des niveaux de taux ou les délais qui déclenchent des modifications au portefeuille.

« En matière de conception du portefeuille à revenu fixe, on ne vit plus vraiment une situation de choisir un titre et de ne plus y toucher. Si on ne fait pas attention, on risque des pertes, dit Marc Rouleau. En quelque sorte, on revient au concept de base de ces titres-là, soit la protection ou la conservation du capital. »

Inapproprié, toutefois, de trop simplifier : il faut de la souplesse et des révisions régulières. « Pour un même budget de risque, on n’appliquera pas toujours la même stratégie en matière de revenu fixe, même si l’objectif demeure de s’assurer un rendement raisonnable », dit-il.

Par exemple, on devrait se questionner sur la pertinence d’un portefeuille à revenu fixe qui est 100 % liquide et se pencher sur les différentes options. « Il faut se demander quels sont les leviers qui permettent de chercher du rendement à un niveau de risque acceptable [pour le régime] », ajoute M. Rouleau.

Luc de la Durantaye souligne l’importance d’un portefeuille diversifié et les occasions dans les marchés internationaux. « Dans le cas de plusieurs pays émergents, il y a des devises sous-évaluées et des taux d’intérêt plus élevés que ce qu’on observe dans des économies développées, dit-il. Ces pays ont également plus de marge de manœuvre en matière de politiques monétaires et fiscales, ce qui entraîne des opportunités sur le plan des actions et des obligations. »

Un portefeuille sans exposition aux marchés émergents serait mal construit, estime le gestionnaire. « On pourrait réduire légèrement la répartition en actions américaines pour aller prendre du risque dans ces pays où se trouvent des actions attrayantes en matière de valorisation ainsi que des obligations corporatives et à haut rendement intéressantes. »

Les placements moins liquides semblent eux aussi gagner des adeptes dans la recherche de rendement. « Il y a une vague importante vers les hypothèques commerciales, la dette privée et les infrastructures, par exemple, observe Michael Quigley. Certains investisseurs dans la dette privée ont fait mieux que ceux qui sont restés dans les stratégies du type core plus. »

Et des taux négatifs ?
Peu importe la stratégie escomptée, la discussion se centre sur l’équilibre entre les risques et les rendements attendus. Ainsi, compte tenu des mouvements des marchés de devises, un volet d’obligations mondiales peut amener beaucoup de rendements, mais expose le portefeuille à une volatilité accrue. Toute caisse de retraite doit se demander si elle dispose de l’expertise nécessaire pour gérer un tel placement ou s’il est plus avisé de faire affaire avec un gestionnaire externe.

Une autre conséquence de la mondialisation est l’exposition à des taux négatifs dans d’autres marchés, dont l’Europe. Bien que le consensus ne semble pas prévoir leur arrivée au Canada pour l’instant, les taux négatifs ailleurs risquent de « garder les nôtres plus bas plus longtemps », affirme Michael Quigley. « C’est quand même difficile pour le passif, dit-il. Plusieurs caisses québécoises ont des participants à l’étranger. Ce n’est pas facile, mais à date elles ont trouvé la façon de faire [avec ces taux négatifs]. »

Le fait que les régimes de retraite de la province aient recours à une démarche de plus en plus raffinée en matière de placements laisse présager qu’ils sauront faire face aux nouvelles éventualités. « Les caisses comprennent bien le défi d’obtenir du rendement et accordent maintenant plus de temps à comprendre les composants de leur passif, dit Marc Rouleau. Elles réalisent qu’il existe un grand éventail d’outils et savent qu’il ne faut pas aveuglement fermer la porte à certains produits ou solutions d’investissements au moment d’examiner la meilleure façon de s’attaquer aux défis qui touchent leur passif. »

Somme toute, dans un contexte où les taux d’intérêt sont lower for longer, il est clair qu’il n’existe pas une seule solution pour l’élaboration de portefeuilles.