Après plus de deux ans de pandémie au cours de laquelle la réduction des contacts sociaux motivait la plupart des décisions, il est plutôt normal que le télétravail ait volé la vedette à toutes les autres considérations en matière d’organisation du travail. Mais alors que le tant attendu retour à la normale est enfin arrivé, les employeurs doivent maintenant aborder la flexibilité du travail de façon beaucoup plus holistique.

Après tout, 60 % des emplois au pays ne peuvent pas être exercés à distance, selon ­Statistique ­Canada. S’ils continuent à se focaliser uniquement sur le télétravail, les employeurs priveront donc la majorité des travailleurs canadiens de la nouvelle ère de flexibilité qui s’amorce.

Et même lorsqu’il est praticable, le télétravail n’est pas forcément gage de flexibilité à lui seul. Une récente étude de l’Université de l’Utah conclut par exemple que les noctambules, ces individus dont le rythme circadien les pousse à se coucher et à se lever plus tard, ont énormément de mal à s’adapter aux horaires de 9 à 5 que leur impose la société. Leur santé physique et mentale en paie le prix. Ils sont 30 % plus susceptibles de souffrir d’hypertension que les ­couche-tôt et ont 1,6 fois plus de risque de développer un diabète de type 2.

Bref, ce n’est pas en forçant ces travailleurs à être devant leur ordinateur à 8 h tous les jours, qu’ils soient à la maison ou au bureau, qu’on leur permet de jouir de la flexibilité dont ils auraient vraiment besoin. Dans leur cas, leur permettre de suivre un horaire de travail décalé plus tard dans la journée est bien plus pertinent. Dans la mesure où leur poste le permet, évidemment. Cet exemple peut paraître anecdotique, mais il met en lumière la nécessité pour les employeurs de réellement cerner les besoins de l’ensemble de leurs salariés en ce qui concerne la souplesse des conditions de travail.

Un sondage de ­LifeWorks mené en janvier dernier confirme d’ailleurs que les travailleurs sont à la recherche de flexibilité au sens large du terme. Si le fait de pouvoir choisir leur lieu de travail demeure primordial pour 24 % des employés sondés, c’est plutôt la liberté de déterminer leurs heures de travail qui rallie le plus de travailleurs (26 %). S’ajoute un autre 16 % de répondants qui privilégient le fait de pouvoir choisir leurs journées de travail.

Le constat semble assez clair : lorsqu’il est question de flexibilité au travail, le « quand » semble primer sur le « où » pour la plupart des employés. Bien qu’il puisse aujourd’hui sembler un peu audacieux, le concept ­d’­horaires personnalisés gagne du terrain. Les employés sont ainsi libres de travailler au moment de la journée qui leur convient le mieux, voire de travailler un nombre d’heures variable d’une semaine à l’autre.

Des entreprises vont même plus loin et abolissent le concept de nombre d’heures travaillées par semaine en se basant uniquement sur les résultats pour évaluer le rendement des employés.

Dans les entreprises où il est impossible de modeler à ce point les heures de travail, notamment dans les usines ou les commerces, d’autres avenues, comme les postes partagés et l’adaptation des quarts de travail, peuvent être envisagées. Et pour favoriser la rétention des travailleurs en fin de carrière, les options de retraite progressive sont devenues incontournables.

S’assurer que tous se sentent à l’aise de profiter de ces avantages représente un défi supplémentaire pour les employeurs. Un sondage ­Léger publié l’automne dernier a montré que, dans plus du tiers des entreprises québécoises, les mesures de conciliation ­travail-famille sont largement plus utilisées par les femmes que les hommes. Pourquoi ? ­Les hommes ont peur de se sentir jugés par leurs collègues et leur supérieur, contrairement aux femmes, pour qui il est aujourd’hui bien vu de se prévaloir de ces mesures.

Mais attention tout de même de ne pas pousser le bouchon trop loin : la flexibilité a ses limites, et un minimum d’encadrement est parfois de rigueur pour préserver la cohésion au sein des organisations et la santé des employés. Selon un récent sondage de ­Robert ­Half, les trois quarts des employés qui disent avoir maintenant la liberté d’établir leurs propres horaires travaillent plus d’heures par semaine qu’auparavant.

Or, on sait que la multiplication des heures de travail représente un risque important qui pèse sur la santé physique et mentale des employés. Poussée à l’extrême, la flexibilité empêche en outre les travailleurs de se déconnecter de leur emploi, même pendant leurs vacances.

Si les employeurs se doivent aujourd’hui de lâcher du lest, ils ont néanmoins la responsabilité de ne pas abandonner leurs employés à leur sort au nom de la flexibilité.


• Ce texte a été publié dans l’édition de mai-juin 2022 du magazine Avantages.
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