Face au fléau des troubles de santé mentale en milieu de travail, qui ne montre aucun signe d’essoufflement, les grands employeurs misent de plus en plus sur la collecte et l’analyse de données pour orienter leurs interventions là où les besoins sont les plus criants.

Chaque trimestre depuis 2010, ­Bell fait le suivi de plus de 90 indicateurs pour évaluer le niveau de santé psychologique de son personnel et déceler les tendances émergentes. « ­Nous nous appuyons sur des données quantitatives et qualitatives pour nous assurer que nos initiatives de santé et ­mieux-être répondent aux besoins des employés et aux objectifs de l’entreprise », a expliqué ­Emmanuelle ­Bezeau, gestionnaire principale, ­Santé mentale et ­bien-être au travail, chez ­Bell, lors d’un webinaire organisé par ­Global-Watch au mois de mars.

Afin de faciliter l’analyse des différents indicateurs, un tableau de bord regroupe les données en quatre grandes catégories : l’invalidité de courte durée, l’invalidité de longue durée, le taux d’utilisation des avantages sociaux et des programmes de soutien en santé mentale par les employés ainsi que le niveau d’engagement du personnel.

Seulement

20%
des organisations recueillent des renseignements sur l’utilisation des avantages sociaux par groupes démographiques

À peine

30 %
des organisations demandent à leurs employés ce qui devrait être inclus dans les initiatives de santé mentale et de mieux-être

40 %
des employeurs n’ont jamais évalué l’efficacité de leurs programmes de santé mentale et de mieux-être

Source : ­Desjardins Assurances

Pour recueillir les commentaires de ses employés, le géant des télécommunications a recours non seulement à de nombreux sondages portant sur des activités précises, comme les formations en santé mentale et les campagnes de sensibilisation, mais aussi à un grand sondage annuel sur l’engagement du personnel. « ­Les résultats obtenus nous permettent d’obtenir un score global, l’indice de santé mentale, qui est analysé à l’échelle de l’entreprise, des différents services et des équipes, indique ­Mme Bezeau. Des plans d’action sur mesure sont ensuite élaborés pour saisir les opportunités d’amélioration dans les différentes équipes. »

L’un des principaux objectifs de la récolte de toutes ces données est de mettre en œuvre des actions concrètes pour offrir un meilleur soutien aux employés. Un exemple récent ? ­Le lancement d’un nouveau programme de pharmacogénétique sans frais pour les employés en congé d’invalidité causé par un trouble de santé mentale. « ­On peut ainsi aider les employés à trouver plus rapidement le bon médicament au bon dosage pour eux et donc mieux les accompagner dans leur parcours d’invalidité », note ­Mme ­Bezeau. Ce ­projet-pilote ayant permis de générer un haut rendement du capital investi, l’entreprise a élargi le programme à l’ensemble des employés visés.

Bell a aussi entrepris d’analyser plus finement les facteurs liés aux invalidités de courte durée, tels que l’équilibre ­travail-vie personnelle, les exigences de travail ou la relation avec le gestionnaire. Pour cette évaluation, les employés d’un même service sont invités à répondre à une enquête de façon anonyme. Si les résultats obtenus sont jugés inquiétants, un rapport contenant recommandations et plan d’action est produit.

«Le fait d’être branchés en continu sur les préoccupations des travailleurs nous a permis de faire évoluer beaucoup de choses et de réagir rapidement en situation de crise. »

 – Lucie Houle, Banque Nationale

L’entreprise s’appuie sur une équipe centrale pour élaborer et mettre en place ses différentes mesures consacrées à la santé mentale. Cette équipe travaille en collaboration avec d’autres du service des ressources humaines, celle de la gestion des invalidités entre autres.

C’est ainsi que, depuis 2010, ­Bell a tenu au ­Canada 1 700 événements consacrés à la santé pour ses salariés, des ateliers de gestion du stress aux conférences sur la nutrition, en passant par les séances de méditation. « ­On veut éduquer et faire participer les employés, éviter la stigmatisation et créer un environnement inclusif », résume ­Mme Bezeau.

En plus des soins de santé virtuels, incluant les soins psychologiques, l’entreprise a ajouté à ses protections l’accès à la thérapie ­cognitivo-comportementale et éliminé le plafond de remboursement pour les services de soutien en santé mentale, autant pour les employés que pour les membres de leur famille.

Tous les gestionnaires de la société doivent par ailleurs suivre une formation obligatoire sur la santé mentale en milieu de travail élaborée en partenariat avec l’Université ­Queen’s et ­LifeWorks (aujourd’hui ­Telus ­Santé).

employee rating

«Les résultats obtenus nous permettent d’obtenir un score global, l’indice de santé mentale, qui est analysé à l’échelle de l’entreprise, des différents services et des équipes. »

 – Emmanuelle Bezeau, Bell

Identifier ses forces et ses faiblesses

La ­Banque ­Nationale a elle aussi recours à de nombreuses données internes pour orienter ses actions liées au soutien en santé mentale. Dans le but de normaliser les conversations sur la santé et le ­mieux-être en milieu de travail, la banque a mis en place pendant la pandémie une « boucle de rétroaction » constituée de différents canaux de communication (sondages, applications mobiles, réseau social d’entreprise, plateforme de partage, etc.).

« ­Nous avons vu pendant la pandémie une opportunité de mettre en place une stratégie de santé et ­mieux-être plus efficace, davantage centrée sur la réalité du terrain », soutient ­Lucie ­Houle, ­vice-présidente, ­Culture et ­Talent, secteur Expérience ­Employé, à la ­Banque Nationale.

Pendant la pandémie, cette boucle de rétroaction générait plus de 3 000 commentaires par semaine, des données qui ont permis de mesurer la qualité de l’environnement de travail, le moral des employés, le niveau de stress ou encore la perception du soutien offert par les gestionnaires. « ­Le fait d’être branchés en continu sur les préoccupations des travailleurs nous a permis de faire évoluer beaucoup de choses et de réagir rapidement en situation de crise », affirme Mme Houle.

Il a par exemple été constaté que les employés ne connaissaient pas bien l’offre de leur employeur en matière de santé et ­mieux-être. « ­Nous avons donc apporté des ajustements au contenu et à la fréquence de nos communications pour obtenir davantage de visibilité », relate ­Mme ­Houle.

Les données récoltées plus récemment permettent de constater que le stress financier affecte de plus en plus les employés, aux prises avec une forte augmentation du coût de la vie. La Banque Nationale entend donc bonifier le volet financier de son programme de ­bien-être, tout en y ajoutant un volet social pour adopter une approche plus globale.

Malgré tous les efforts consentis au cours des dernières années, la santé mentale demeure la principale raison de consultation au programme d’aide aux employés et une cause majeure d’invalidité. La banque veut donc aller plus loin dans la collecte de données de façon à connaître l’état actuel de la santé mentale des différents groupes au sein de l’entreprise et à détecter les signes ­avant-coureurs de difficultés plus importantes. En juin dernier, elle a lancé un indice de santé mentale qui couvre de nombreux aspects comme la santé psychologique, l’anxiété, la dépression, l’optimisme, l’isolement, le risque financier et l’épuisement.

L’exercice a mis en évidence les forces de l’organisation en matière de soutien en santé mentale, telles que la communication aux employés, la mobilisation des gestionnaires et le sentiment d’autonomie.

Une offre mieux structurée

À l’image de ­Bell et de la ­Banque ­Nationale, ­Hydro-Québec cherche à utiliser au mieux les données à sa disposition pour améliorer le soutien en santé mentale qu’elle offre à ses employés.

La société d’État a notamment entrepris de recenser tous les programmes et mesures déjà déployés dans l’organisation en lien avec la santé et le ­mieux-être. « ­Ce qu’on veut, c’est mettre en place une stratégie globale, une approche plus structurée qu’une multitude d’initiatives un peu éparpillées », mentionne ­Justine ­Granger, cheffe du ­Centre d’excellence en santé globale à Hydro-Québec.

L’objectif principal est d’implanter un programme de prévention des facteurs de risques psychosociaux qui mettrait à contribution les différentes parties prenantes de l’organisation et qui aurait comme finalité d’intégrer la santé psychologique dans les décisions d’affaires. « ­On s’inspire de ce qui existe déjà et qui fonctionne bien dans l’organisation pour la santé et sécurité au travail, mais en tenant compte des particularités des risques psychologiques », précise ­Mme ­Granger.

Quatre principes directeurs ont été adoptés : l’importance de la responsabilité partagée, l’engagement et la mobilisation, la prise en charge par le milieu et une approche adaptée aux différents corps de métier et équipes que compte Hydro-Québec.

« ­On veut amener les gens à être conscients de leur propre responsabilité dans les actions qu’ils peuvent poser pour favoriser un meilleur environnement de travail », explique ­Mme ­Granger. De notre côté, on cherche à obtenir des indicateurs représentatifs de la situation sur le terrain avec les données à notre disposition. Nous menons un ­projet-pilote actuellement pour tester différentes approches afin de mieux tirer parti de nos données. »


• Ce texte a été publié dans l’édition de mai 2024 du magazine Avantages.
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