Les gestionnaires de caisse de retraite semblent avoir perdu l’appétit pour les fonds de couverture. Trop chers et sous-performants, disent nombre d’entre eux. Effet de mode ou tendance lourde?
En avril, le New York City Employees’ Retirement System (NYCERS) annonçait son retrait de l’industrie des fonds de couverture. Ce désinvestissement de 1,5 milliard de dollars américains ne se voulait qu’une petite goutte d’eau dans un vaste océan de quelque 3000 G $ US d’actif, mais dans un article du 14 avril, le Financial Times inscrivait la décision de NYCERS dans une tendance lourde amorcée une vingtaine de mois plus tôt. La caisse californienne CALPERS était alors l’un des premiers grands gestionnaires à annoncer extraire les fonds de couverture de ses portefeuilles afin d’abaisser les coûts et d’atténuer la complexité.
La décision a fait échos. Aujourd’hui, les investisseurs institutionnels détiennent 43,1 % de l’actif mondial des fonds de couverture, contre 47 % il y a trois ans, selon les données de Hedge Fund Research, de Chicago, reprises par le Financial Times. L’argument maintes fois avancé : nombre de ces fonds ne livrent plus la marchandise. Depuis le creux boursier d’après-crise de mars 2009, leur rendement est inférieur de 51 points de pourcentage à la performance du S&P 500. Leur rendement moyen a été de -1,1 % en 2015, contre -0,3 % pour le MSCI mondial. Il a été de 2,9 % en 2014, grosso modo la moitié de la performance affichée par le MSCI. Mais leur structure de frais demeure de loin supérieure à celle des investissements traditionnels. D’où la dialectique présente.
Faut-il voir dans ce désaveu une tendance lourde ? Pas vraiment. François Bourdon, chef des Solutions de placements et vice-président, Répartition globale de l’actif et Revenu fixe chez Fiera Capital, précise que les fonds de couverture ou autres fonds alternatifs obtiennent souvent la cote après les moments de crise. « Ils ont bénéficié d’une forte demande en 2010, 2011 et 2012. Ce fut la même chose entre 2004 et 2006. Plusieurs fonds de couverture faisaient alors mieux que le marché boursier », dit-il. En ces lendemains de temps troubles, les gestionnaires veulent moins de volatilité et une approche plus directe. « Ils recherchent donc un parcours moins sinueux et une diversification des sources de rendement moins corrélées avec les catégories d’actif traditionnelles. Les fonds de couverture peuvent alors faire le travail », souligne le spécialiste de Fiera.
Effectivement dix jours plus tard, le quotidien financier britannique revenait sur le thème en s’inspirant cette fois des propos de Pierre Lavallée allant dans le sens opposé de NYCERS. Le directeur général principal et chef mondial, Partenariats de placement de l’Office d’investissement du RPC disait alors des fonds de couverture qu’ils avaient leur place et qu’ils avaient ajouté une valeur notoire aux portefeuilles au fil des ans. « Nous faisons un monitorage minutieux de la performance des gestionnaires externes et apportons les ajustements lorsque requis. Mais nous demeurons engagés face à notre programme de fonds de couverture », a-t-il soutenu, tout en écartant toutes préoccupations concernant les frais de gestion.
Exposition et prime de risque
Christian Robert, vice-président, Solutions d’investissement et investissement guidé par le passif chez Addenda Capital, rappelle que les fonds de couverture ont pour avantage d’offrir une exposition spécifique et une prime de risque sous-jacente. « Ils peuvent même permettre une approche plus chirurgicale en isolant un facteur en particulier », souligne-t-il. Avec plus de 10 000 fonds, cet univers se veut très hétérogène. « L’industrie des fonds de couverture offre toute une panoplie de stratégies différentes », renchérit Mathieu Tanguay, responsable de la Consultation en investissement pour l’Est du Canada chez Mercer. « Vu leur grand nombre et toutes les combinaisons que l’on peut faire, notamment avec des fonds de fonds, le potentiel de stratégies peut être illimité. » Au final, ces potentialités ajoutent à l’optimisation de la relation risque-rendement.
« On a vu avec la crise de 2008 que la partie du portefeuille consacrée à la croissance, généralement concentrée en actions, pouvait souffrir d’un manque de diversification », ajoute le spécialiste de Mercer. « Les fonds de couverture sont généralement moins corrélés, moins volatils mais aussi moins liquides que les actions, parfois aussi peu liquides que l’immobilier ou les infrastructures. »
Reste la structure de frais. Le fameux 2-20, soit 2 % fixe et 20 % de la performance. Ces frais ont quelque peu baissé au fil des ans et peuvent être négociables selon la taille du mandat confié, mais « les fonds de couverture demeurent une des catégories d’actif les plus onéreuses », soutient Mathieu Tanguay.
Pour tous ?
Les fonds de couverture conviennent-ils à tous les investisseurs ? « Oui, selon la tolérance au risque de chacun », répond François Bourdon. Chez Fiera Capital, on propose aux gestionnaires des stratégies très simples, avec peu ou pas de levier, puisant dans les marchés connus. Mathieu Tanguay nuance. Il est affirmatif dans les cas des caisses de grande taille, disposant d’une expertise à l’interne, même si elles sont plus nombreuses à devoir justifier ces temps-ci le maintien de leur positionnement. Mathieu Tanguay fait, ici, un clin d’œil au « risque des manchettes », avec ces fonds de couverture ayant eu plus d’une fois mauvaise presse ces derniers mois. Il ajoute : pour un portefeuille de 3 milliards ou moins, les économies d’échelle permettant d’abaisser les coûts liés aux connaissances, à l’analyse et au suivi deviennent moins évidentes.Et le risque de cette catégorie de fonds peut être mal connu, sous-estimé. « Il peut y avoir beaucoup de levier », fait ressortir le spécialiste de Mercer.
Au demeurant, lorsque l’investissement est guidé par le passif, le fonds de couverture n’est peut-être pas l’outil optimal, insiste Christian Robert. Son collègue Jean-François Pépin, premier vice-président et co-chef de l’investissement chez Addenda, mentionne aussi que les changements réglementaires en cours visant le financement des régimes de retraite, en orientant l’investissement vers le rendement total et la stabilité du rendement pour la partie variable, pourraient modifier les comportements.
De l’éducation
« Nous devons très souvent faire de l’éducation, démystifier cette catégorie d’actif », insiste Mathieu Tanguay. Même son de cloche chez Jean‑François Pépin qui évoque également le besoin d’un certain degré de connaissance préalable à une incursion dans cet univers.
Mercer comme Addenda campent dans un rôle de consultant. Ces cabinets élaborent des structures de portefeuille et des stratégies risque-rendement. Ils couvrent les fonds de couverture et autres fonds dits alternatifs, voire ils empruntent la voie de fonds de fonds, pouvant regrouper entre 10 et 20 stratégies différentes. Mais même le recours à un éventail diversifié de stratégies va faire appel à une certaine expertise interne. « Sans compter que les frais peuvent être plus élevés et qu’il devient plus onéreux de suivre une famille de fonds. Ça complique la vie des plus petites caisses et ça ajoute aux coûts qu’il faut opposer au bénéfice potentiel », insiste Jean-François Pépin.
Avec tous ces comités de retraite sans cesse confrontés à leur responsabilité fiduciaire, le spécialiste d’Addenda croit qu’il devient plus difficile pour les petites et moyennes caisses de retraite de faire appel à ces stratégies alternatives. D’autant que « les petites participations placent le gestionnaire au haut des grilles de frais des fonds de couverture », ajoute son collègue Christian Robert, qui estime que la portion du portefeuille dédiée aux placements alternatifs devrait osciller entre 5 et 10 %.
Produits dérivés et alternatifs
Les fonds de couverture ont donc moins la cote, une baisse de popularité amplifiée par tout ce bruit médiatique autour de ceux qui ont moins bien performé. « Dans cette industrie, tu vis ou tu meurs selon ta performance », illustre François Bourdon.
Cet effet de mode incite à un déplacement vers une utilisation accrue des produits dérivés afin d’obtenir cette exposition particulière ou de couvrir un risque spécifique. « Ces produits sont plus faciles à comprendre et moins complexes », résume Christian Robert, qui prend soin de préciser qu’« évidemment, on ne parle pas ici de ces produits dérivés pointés du doigt lors de la crise de 2008 », des produits structurés et non standardisés pour l’essentiel.
La tendance est également aux placements privés et aux éléments d’actif tangibles tels les infrastructures et les terres agricoles dans l’objectif d’aller chercher des primes de liquidité. « La nouvelle réglementation vient privilégier le rendement accru sur l’investissement de long terme », souligne François Bourdon.
Mathieu Tanguay acquiesce. Il rappelle toutefois que tout est cher présentement. C’est le cas des infrastructures, avec tout ce déplacement de capitaux dont elles bénéficient, mais les besoins sont énormes. C’est aussi le cas de l’immobilier au Canada, ce qui invite les gestionnaires à reluquer vers l’étranger. Notamment au sud de la frontière, avec la nouvelle exonération d’impôt à l’égard des gains tirés de la vente de biens immobiliers situés aux États-Unis par des régimes de retraite non américains. « Les marchés globaux deviennent intéressants », dit-il.