En juin 2015, Finance Montréal a créé un pôle de recherche appliquée afin de contribuer à faire de la métropole québécoise un centre d’expertise en matière de retraite. Déjà forte d’investisseurs de calibre mondial, tels la Caisse de dépôt et placement et Investissements PSP, la ville a-t‑elle tous les atouts pour prétendre au titre de leader ?

Le thème de la retraite est plus que jamais d’actualité au Québec, compte tenu des défis démographiques, du manque de proactivité des travailleurs en la matière et des marchés boursiers et obligataires qui peinent à générer des rendements adéquats. Dans un tel contexte, vouloir se hisser à titre de centre d’expertise de la retraite sur le plan mondial apparaît certes comme un geste rassembleur. Mais, concrètement, quels sont les atouts de Montréal à cet égard ?

« La compétence des ressources humaines et l’intérêt pour la retraite », précise d’entrée de jeu Denis Latulippe, directeur de l’École d’actuariat de l’Université Laval et coordonnateur du Pôle de recherche appliquée sur la retraite (PRAR). « Si un peu partout ailleurs le constat des dernières années tient dans le désengagement des employeurs, notamment avec la migration des régimes à prestations déterminées (PD) vers les régimes à cotisation déterminée (CD), au Québec, on sent que la retraite a sa place au sein des entreprises et du gouvernement. »

Autre atout : « Le fait que nos caisses de retraite sont et doivent être financées, contrairement à plusieurs pays européens adeptes du concept pay as you go, qui mise sur la richesse collective future pour payer les rentes », argue René Beaudry, associé chez Normandin Beaudry. « Le système canadien a créé d’immenses masses de capital, ce qui génère de nombreuses possibilités. »

Le milieu montréalais compte plusieurs grands gestionnaires de calibre mondial, et 250 autres en croissance, fait valoir Mario Albert, directeur général de Finance Montréal. Selon lui, l’industrie bénéficie aussi « du haut niveau de développement de l’infrastructure publique canadienne de la retraite », qui a généré une expertise importante, et de la présence de nombreuses institutions financières et d’assureurs « reconnus pour leur avant-gardisme en termes de développement de produits de rentes et de retraite ».

Derrière le savoir-faire

Concrètement, à quoi doit-on cette expertise en retraite ? Une question, plusieurs réponses. « À la dynamique qui existe entre la formation et l’intégration à l’industrie, en fonction des besoins exprimés », pour Denis Latulippe. « Au nombre élevé d’écoles d’actuariat, à la qualité de leur formation, et à l’implication experte des grandes centrales syndicales et des différents intervenants », qui comptent pour beaucoup, selon René Beaudry. « À la création et la présence d’organismes de grande taille, notamment la Caisse et la Régie des rentes du Québec, qui ont stimulé le marché de la retraite », note pour sa part Mario Albert.
Mario Delisle, associé principal, conseils en gestion de placements chez Aon Hewitt, souligne aussi cet autre point : « Il faut considérer la grande diversification découlant, depuis 15 ans, de l’élimination des limites de contenu étranger dans les portefeuilles de placements. Une nouvelle réalité, qui a exigé de nouvelles catégories d’expertise, à laquelle s’ajoutent la maturation des régimes de retraite et la démographie. »

La question se pose : la réputation dont jouit le Montréal financier est-elle bien fondée ? « Oui. À preuve : plusieurs professionnels montréalais sont sollicités pour occuper des postes importants ailleurs », précise M. Latulippe. Ce que confirme Mario Albert, tout en ajoutant : « Le recours d’autres pays à l’expertise montréalaise atteste également de son autorité. À ce titre, CDPQ Infra, la nouvelle filiale de la Caisse, suscite aussi beaucoup d’intérêt à l’international. »

D’autres facteurs contribuent à cette réputation d’excellence, si l’on en croit Martin Dufresne, vice-président général et directeur général du marché institutionnel chez Fiera Capital. Celui-ci cite à cet effet le taux d’imposition québécois et la qualité de vie métropolitaine. « Le test ultime tient dans les comparatifs avec d’autres systèmes internationaux. Dans la mesure où les systèmes canadien et québécois sont performants, tous ses acteurs bénéficient d’une bonne réputation », révèle Denis Latulippe.

L’inévitable comparaison

Comment Montréal se compare-t-elle à Toronto ? « Avantageusement par la capacité de l’industrie québécoise à réunir tous les acteurs de l’industrie autour d’une même table : experts, syndicats, employeurs, régulateur. Moins avantageusement en matière de concentration d’institutions financières », reconnaît M. Latulippe. Et si Montréal a perdu des sièges sociaux au cours des dernières années, elle compterait encore suffisamment de grands gestionnaires pour être en mesure d’attirer de grandes entreprises ici, croit pour sa part Martin Dufresne.

« En 2012, The Economist a fait référence aux gestionnaires canadiens en les qualifiant de Maple Revolutionaries. L’écosystème actuel met davantage Montréal et Toronto ensemble face au reste du monde, et les méthodes de leurs gestionnaires servent actuellement d’étalons de mesure à l’échelle internationale », rappelle René Beaudry qui nie la nécessité et la validité d’une telle comparaison entre les deux métropoles canadiennes.

Une vision que partage Mario Albert : « Si dans les chiffres Montréal se classe derrière Toronto, ce n’est pas le cas en ce qui concerne l’expertise. Plusieurs grands gestionnaires œuvrant à Toronto ont été formés ici, dont Charles Brindamour, chef de la direction d’Intact Corporation, pour ne nommer que celui-ci. Finance Montréal n’est pas en concurrence avec Toronto. Chacun a ses forces. »

Mario Delisle pose quant à lui le constat suivant : « Toronto a toujours sa Bourse et demeure forte dans le domaine des banques d’investissement, contrairement à Montréal, qui a connu un déclin de ce côté. Le départ de la Bourse de Montréal a réorienté l’industrie vers les produits dérivés, un créneau en croissance. » Il est d’avis que les fusions-acquisitions des firmes de placement, recensées et ressenties partout, ont durement touché Montréal. « Il y a aujourd’hui moins de joueurs et des emplois se perdent », confie M. Delisle.

Opération prestige : qui est dans la mire ?

Les efforts pour hausser le prestige de Montréal en matière de finances ont-ils un effet positif à l’égard des investisseurs institutionnels de l’extérieur ou s’agit-il plutôt d’une stratégie pour convaincre les régimes québécois de bénéficier du marché local ?

« Les besoins financiers des régimes de retraite évoluent. Bien qu’il soit important de convaincre les régimes québécois, il faut aussi viser ceux de l’extérieur pour assurer le développement d’autres marchés, notamment en matière de placements alternatifs », affirme Denis Latulippe. Une opinion partagée par Martin Dufresne et Mario Delisle. Ce dernier précise d’ailleurs sa pensée : « Qu’un gestionnaire débute ou termine sa croissance ici importe peu. L’important, c’est le montant d’actifs sous gestion et le rendement. »

Mario Albert relève l’importance de cette question : « Finance Montréal entend travailler avec l’Institut de la statistique du Québec en 2016 pour répondre à deux questions très importantes dans le contexte actuel : les caisses de retraite québécoises ont-elles plus ou moins recours à des gestionnaires québécois ? Et, à l’inverse, les gestionnaires québécois gèrent-ils plus ou moins de caisses de retraite étrangères ? »

Pérennité : mode d’emploi

Comment s’assurer que Montréal occupe une place importante à long terme ? « Le futur est dans l’innovation et la concertation », prédit Denis Latulippe, pour qui l’établissement de partenariats avec des régimes de retraite étrangers apparaît comme une excellente voie à suivre. « Le maillage et le rayonnement résultants assureront la pérennité de l’industrie québécoise. »

Pour Martin Dufresne, tout passe par la formation : celle des professionnels et des comités de retraite. « Une connaissance optimisée permet toujours de meilleurs choix. Il faut garder en tête que les solutions créatives proposées sont souvent rejetées par les comités qui, s’ils sont souvent intéressés, ne sont pas toujours prêts. »

Le nouveau programme des gestionnaires en émergence du Québec devrait aussi contribuer au développement et au dynamisme du milieu montréalais, dit Mario Albert, qui souligne également que les différents événements d’envergure organisés dans la métropole et la participation à des colloques internationaux permettent aux gestionnaires d’agir à titre d’ambassadeurs du Montréal financier, et « de mettre l’accent sur ce créneau qu’est la retraite ».

Faire rimer excellence avec reconnaissance

Finalement, la formation, étape clé de la voie menant à la reconnaissance, est-elle suffisante au Québec pour prétendre à une expertise de calibre mondial ? « Certainement, répond Denis Latulippe. Montréal possède une masse critique suffisante, notamment sur le plan universitaire, pour former des professionnels et des experts. Ne reste qu’à en faire la promotion à l’échelle mondiale. » Même constat pour Martin Dufresne : « La qualité de formation des jeunes recrues est réellement impressionnante. Formations croisées, doctorats, double baccalauréats, spécialisations : ils sont visiblement prêts pour l’échiquier nord-américain. »

En conclusion, Mario Delisle relève l’importance de l’arrimage existant entre la formation et les besoins exprimés par l’industrie, un contexte qui pourrait être le vecteur premier du rayonnement de Montréal à titre de centre d’expertise mondial de la retraite. « Par exemple, depuis quelques années, on note une intensification de la formation en ingénierie financière, qui vient répondre à une demande croissante pour l’élaboration de stratégies de gestion de risque visant à contrer les effets de la volatilité des marchés. » La différence québécoise se trouve-t-elle dans sa proactivité, dans sa capacité d’adaptation rapide ? Une histoire à suivre…