Introduites dans les régimes de retraite québécois il y a maintenant 15 ans, les dispositions relatives à la retraite progressive ­pourraient-elles aider les entreprises dans le présent contexte de pénurie de ­main-d’œuvre ?

Rappelons que la retraite progressive vise à permettre à un employeur de s’entendre avec son employé pour demeurer à l’emploi de l’organisation plus longtemps tout en recevant une portion (maximum 60 %) de sa rente de retraite. La retraite progressive est possible pour les participants à compter de 60 ans, ou de 55 ans s’ils sont admissibles à une retraite sans réduction de la rente.

Lorsqu’elle a été mise en place, plusieurs intervenants espéraient qu’elle permettrait aux employeurs de retenir leurs employés expérimentés, qui préféraient souvent prendre leur retraite dès qu’ils étaient admissibles à une retraite sans réduction et aller travailler chez un compétiteur. On y voyait aussi une occasion de faciliter le transfert d’expertise à la relève.

Historiquement, la retraite progressive n’a pas eu l’effet positif espéré par certains. Cela est possiblement dû aux conditions et contraintes qui y sont liées :

  • ­Le régime de retraite doit être à prestations déterminées
  • ­Le participant doit compter un nombre important d’années de participation
  • ­La possibilité de conclure une entente individuelle incluant ou non une réduction du temps de travail

Les deux premières conditions limitent grandement l’application de la retraite progressive. En effet, en général, seules certaines grandes entreprises du secteur privé et celles du secteur public offrent toujours des régimes à prestations déterminées. De plus, les employés qui font toute leur carrière au sein de la même entreprise sont moins nombreux qu’auparavant.

Quant à la possibilité de conclure une entente, elle est notamment limitée par la difficulté à concilier la discrétion sur laquelle l’employeur souhaiterait compter pour tenir compte de ses enjeux de ressources humaines et l’égalité des chances, qui représente un des principes fondamentaux des mouvements syndicaux. Conséquemment, les retraites progressives ont plus souvent visé des postes non syndiqués que des postes d’employés syndiqués.

D’ailleurs, lors d’une récente conversation avec un représentant syndical d’un régime où la retraite progressive est prévue, nous avons pu constater combien il est complexe de concilier la flexibilité recherchée par les employeurs et les attentes des employés envers un tel programme. La retraite progressive, bien que représentant un outil intéressant quand les conditions sont remplies, ne sera pas la solution miracle à la pénurie de ­main-d’œuvre.

À ce propos, le représentant syndical avec lequel nous avons discuté nous faisait remarquer qu’un des principaux défis actuels est plutôt de fidéliser ses employés au cours des premières années de carrière. Ainsi, il est de plus en plus fréquent pour les employeurs de revoir les conditions initiales, tels le salaire à l’embauche, l’échelle de progression des salaires, mais également les conditions générales d’emploi, et ce, afin d’assurer leur compétitivité. Par la suite, les employeurs devront identifier les ficelles à tirer pour améliorer la rétention dans un contexte d’emploi de plus en plus concurrentiel où les employeurs ont tendance à s’arracher les ressources.

Les différentes structures familiales modernes qui s’éloignent de la structure traditionnelle et le changement d’attitude concernant les congés parentaux ne sont que deux exemples d’évolution dont les employeurs devront tenir compte afin de pouvoir se maintenir parmi les employeurs recherchés par les meilleurs talents.

De la même façon, pour les employés expérimentés, ­au-delà de la rémunération supplémentaire que permet d’offrir la retraite progressive, il sera important de déterminer les autres avantages (pas nécessairement financiers) qui permettront d’inciter ­ceux-ci à demeurer en poste quelques années de plus.

En résumé, une bonne utilisation de la retraite progressive (et d’autres avantages) pourrait assurer une transition plus graduelle vers la retraite tout en favorisant une gestion plus saine de la pénurie de ­main-d’œuvre à laquelle les employeurs sont déjà confrontés. En revanche, ces derniers devront s’assurer de mettre en place les conditions nécessaires à la rétention des employés tout au long de leur carrière.


• Ce texte a été publié dans l’édition de juin 2023 du magazine Avantages.
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