Entre les échéances serrées, les restructurations, les conflits interpersonnels, les problèmes familiaux et les soucis financiers, les employés d’aujourd’hui sont stressés, trop stressés. Et les employeurs ne s’y prennent pas toujours de la bonne manière pour les soutenir. Pour identifier quelques pistes de solutions, Pierre-Luc Trudel a rencontré Sonia Lupien, spécialiste en neuroscience et directrice du Centre d’études sur le stress humain de l’Institut universitaire en santé mentale de Montréal.

Avantages : Quel portrait dressez-vous des interventions réalisées dans les entreprises pour réduire le niveau de stress des employés ?
Sonia Lupien : Le gros problème avec le stress au travail, c’est que la plupart des organisations essaient d’en gérer les conséquences plutôt que les causes. Si vous avez un employé diabétique, est-ce que c’est vous qui allez lui injecter son insuline ? Non, vous allez plutôt changer le menu de la cafétéria. Les entreprises tentent souvent des approches qui ne fonctionnent pas. En offrant les services d’un massothérapeute par exemple, le message tacite qu’elles envoient, c’est qu’elles ont tellement stressé leurs employés que maintenant elles leur offrent un massage pour soulager leurs maux de dos.

Quelle approche devrait donc adopter les employeurs ?
Il n’y a aucune méthode universelle pour gérer le stress et il n’y en aura jamais. On parle beaucoup de médecine personnalisée, je crois que l’on devrait commencer à parler de milieux de travail personnalisés. Chaque service d’une organisation présente une cause de stress qui lui est propre. Pour pouvoir mettre en place des plans d’intervention adaptés, il faut donc identifier les sources de stress communes à tous les employés d’un même groupe. Pour ce faire, on doit élaborer un organigramme du stress de l’organisation en se basant sur les quatre caractéristiques qui induisent une réponse de stress à tous les humains : l’impression de Contrôle faible, l’Imprévisibilité, la Nouveauté et la menace à l’Égo (CINÉ). La première chose à faire, c’est donc de demander aux employés ce qui les stresse. Ensuite, on implante les solutions possibles dans chaque service et on évalue leur efficacité.

Entre le Feng shui et le time management, toutes sortes de méthodes un peu « ésotériques » sont offertes aux entreprises souhaitant réduire le stress de leurs employés. Sont-elles réellement efficaces ?
La science du stress humain est très jeune. Il n’existe pas de définition universelle, ce qui a laissé l’espace nécessaire à des « consultants » pour élaborer une multitude d’approches afin de gérer le stress en milieu de travail. Ces gens pensent savoir ce que c’est, le stress, mais je ne suis pas sûre que ce soit vraiment le cas. La notion de stress a d’abord été saisie par les psychologues industriels, qui ont créé le concept de « stresseurs », ou autrement dit, de situations stressantes. Selon leur approche, plus il y a de stresseurs dans votre vie, plus vous allez être stressé. Partant de ce constat, on a élaboré des questionnaires. Mais dans mes recherches, je n’ai jamais trouvé de corrélations entre les résultats de tels questionnaires et les hormones de stress produites par l’individu. Ces questionnaires vont par exemple demander à l’employé s’il a récemment vécu un divorce. Or, un individu pourrait très bien être moins stressé depuis son divorce. Qui sommes-nous, les chercheurs, pour décider de ce qui est stressant pour un individu ? Bref, ce ne sont pas les situations qui sont stressantes, mais les caractéristiques de ces situations-là.

Alors, comment mesurer le stress des employés ?
On ne peut pas faire analyser les hormones de stress de tous les employés, ça coûterait beaucoup trop cher. Mais par contre, on sait qu’il y a quatre caractéristiques d’une situation qui vont faire en sorte que, peu importe qui vous êtes, quel âge vous avez, l’emploi que vous occupez, vous allez produire des hormones de stress. J’en reviens donc à l’approche CINÉ et à l’organigramme du stress. De plus, cette approche est simplifiée, les spécialistes des ressources humaines sont donc tout à fait capables de l’appliquer dans leur organisation.

Quel est le rôle des gestionnaires dans la gestion du stress des employés ? Lire la suite de l’entrevue>>>>