Le gouvernement fédéral devrait créer une agence pour superviser le déploiement d’un régime national d’assurance médicaments, a recommandé mercredi un comité fédéral d’experts, dans une démarche pour « poser les premières pierres » du programme.

Dans son rapport provisoire, le groupe d’experts recommande aussi que le gouvernement fédéral dresse une liste nationale de médicaments, afin d’assurer une couverture uniforme dans tout le pays, et alloue des fonds pour colliger de meilleures données sur les médicaments d’ordonnance.

Le rapport n’indique toutefois pas si le programme d’assurance médicaments devrait suivre un modèle de payeur unique, sans participation du privé, à la manière du système de santé universel du pays, ou adopter une autre formule.

Eric Hoskins, un ancien ministre ontarien de la Santé, qui préside le comité, a déclaré qu’un « plan détaillé » serait présenté dans un rapport final, au printemps.

« S’il y a un point absolument cohérent parmi tous ceux que nous avons abordés, c’est que trop de gens passent entre les mailles du filet, que le système actuel est inadéquat, qu’il ne répond pas efficacement aux besoins de millions de Canadiens », a-t-il déclaré lors d’une conférence de presse à Toronto pour annoncer les recommandations provisoires.

M. Hoskins a déclaré que le groupe de travail avait passé les derniers mois à analyser les propositions des professionnels de la santé, des intervenants et des patients dans des réunions publiques et des questionnaires en ligne.

Le gouvernement a affirmé qu’il étudiera les propositions du comité en attendant son rapport final.

« Les Canadiens ne devraient pas avoir à choisir entre payer leurs ordonnances et mettre de la nourriture sur la table », a souligné la ministre fédérale de la Santé, Ginette Petitpas Taylor, qualifiant l’assurance médicaments de « pièce manquante » dans le système de santé canadien.

D’ici le scrutin fédéral prévu en octobre, cet enjeu devrait ressurgir en campagne, alors que les néo-démocrates s’engagent à établir un régime public et universel d’assurance médicaments, et que les libéraux devraient faire une promesse similaire.

Réactions mitigées

Le porte-parole néo-démocrate en matière de santé, Don Davies, s’est dit déçu du rapport provisoire, affirmant que le gouvernement avait manqué une bonne occasion de changer réellement les choses. « Le rapport d’aujourd’hui laisse la porte ouverte à un régime privé et disparate, similaire au régime américain, et il ne recommande pas la solution qui serait la meilleure pour les patients: un régime public à payeur unique », a-t-il déploré dans un communiqué.

D’autres intervenants ont toutefois été satisfaits de la démarche du comité. « C’est une bonne première étape vers le déploiement d’un programme universel d’assurance médicaments », a déclaré Melanie Benard, directrice nationale, politiques et défense des droits, à la Coalition canadienne de la santé.

Même son de cloche du côté de la Fédération canadienne des syndicats d’infirmières. « Le rapport provisoire décrit certains des éléments fondamentaux nécessaires à la mise en place d’un programme universel d’assurance médicaments à payeur unique », a affirmé sa présidente, Linda Silas.
« Bien que nous attendions toujours des détails très importants dans le rapport final, il est clair que le comité consultatif de M. Hoskins va dans la bonne direction. »

Moderniser plutôt que remplacer

L’Association canadienne des compagnies d’assurances de personnes (ACCAP) s’est dite satisfaite du rapport provisoire déposé mercredi. « La collaboration entre les gouvernements et les assureurs privés est importante pour assurer l’accès à des médicaments sur ordonnance abordables et la viabilité à long terme des régimes publics et privés », soutient Stephen Frank, président et chef de la direction de l’ACCAP.

L’association insiste sur le fait que le système mis en place doit « protéger les régimes d’assurance maladie auxquels tiennent les Canadiens ». Les régimes d’employeurs, indique l’ACCAP, couvrent des milliers de produits pharmaceutiques, y compris des traitement novateurs, qui en ce moment ne sont pas couverts par les régimes publics, « même les plus généreux d’entre eux ».

Dans le mémoire qu’elle a soumis plus tôt au Conseil consultatif, l’industrie de l’assurance a proposé de dresser une liste nationale de médicaments, d’améliorer la couverture des personnes qui en ont besoin sans affaiblir les avantages déjà offerts par les régimes en milieu de travail et faire en sorte que tous les Canadiens, peu importe qu’ils soient couverts par un régime privé ou public, paient le même bas prix pour leurs médicaments.

Pour y arriver, l’ACCAP suggère de moderniser le Conseil d’examen du prix des médicaments brevetés, comme cela est déjà prévu, et d’augmenter le pouvoir de négociation du marché canadien en permettant aux gouvernements et aux assureurs de négocier ensemble avec les sociétés pharmaceutiques.

La FTQ juge de son côté que le rapport provisoire du Conseil consultatif est un pas dans la bonne direction, mais s’inquiète « qu’il esquive toujours cette option fondamentale » qu’est la mise en place d’un véritable régime d’assurance médicaments public et universel. La semaine dernière, plusieurs syndicats et organismes communautaires du Québec ont fait front commun pour presser Ottawa de créer un tel régime au pays.

Des coûts croissants

Selon l’Institut canadien d’information sur la santé, les médicaments sont la composante des dépenses de santé qui connaît la plus forte croissance. Mais contrairement aux soins hospitaliers et aux visites chez le médecin, les besoins en médicaments de la plupart des Canadiens ne sont pas couverts par l’assurance maladie publique.

D’après le rapport provisoire du comité, les dépenses en médicaments au Canada devraient dépasser les 50 G$ d’ici 2028, alors qu’elles s’établissaient à 34 G$ en 2018. Une analyse effectuée par le directeur parlementaire du budget estimait qu’un régime de couverture étendue coûterait 20 G$ par année au trésor public.

Le ministre de la Santé de la Colombie-Britannique, Adrian Dix, juge que le rapport du comité est encourageant, mais il a prévenu que les provinces pourraient devoir payer une bonne partie de la facture. « Il s’agit d’un autre pas en avant, mais si nous voulons mieux couvrir un plus grand nombre de personnes, il faudra que le gouvernement fédéral intensifie ses efforts », a-t-il fait valoir.
« Au final, le problème sera de savoir si le gouvernement fédéral est prêt ou non à partager les coûts. »