Inquiète que les informations contenues dans les dossiers médicaux de millions de Québécois puissent être utilisées à des fins commerciales, la Commission d’accès à l’information va amorcer une enquête pour faire la lumière sur cette situation et déterminer la légalité de ces pratiques.

La Presse révélait la semaine dernière que des fournisseurs de services de gestion de dossiers médicaux, tels que TELUS Santé, pourraient s’adonner à la vente ou au croisement des données qu’ils renferment.

Des médecins interrogés par le quotidien se plaignent que ces entreprises exploitent le contenu des dossiers médicaux électronique de leurs patients à leur insu. Ils demandent au gouvernement de sévir.

« On entrevoyait seulement les avantages du dossier électronique. Personne n’avait imaginé ces utilisations secondaires », indique le docteur Yves Robert, secrétaire du Collège des médecins.

Les règles en vigueur au Québec interdisent l’extraction de données des dossiers médicaux sans l’accord des patients, même si celles-ci sont rendues anonymes. Or, le logiciel KinLogix de TELUS Santé, utilisé par environ 3000 médecins dans la province, ne se contente pas d’héberger les dossiers médicaux, déplore, le Dr David Hervieux, médecin de famille à Lavaltrie.

En entrevue à La Presse, il a expliqué que le logiciel s’est mis à identifier automatiquement ses patients assurés chez Desjardins. Quand il tentait de leur prescrire un médicament, le logiciel suggérait des médicaments de rechange si l’ordonnance lui semblait trop coûteuse.

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« Moi aussi, j’ai le souci que les médicaments coûtent moins cher! Mais c’est inacceptable de procéder par en dessous, avec des robots électroniques qui fouillent dans les dossiers de mes patients pour croiser des données », a soutenu au quotidien le Dr Hervieux.

Des pratiques conformes, dit TELUS

Contacté par La Presse, TELUS Santé affirme qu’elle ne vend pas les données ou métadonnées de ses clients, et que l’information est rendue disponible au médecin seulement, et pas à l’assureur.

« Ce qu’on fait avec nos dossiers électroniques est totalement conforme aux grandes orientations disant que le médecin doit prescrire le meilleur médicament au meilleur prix. Pour ça, il doit avoir la bonne information au bon moment », dit le Dr Michel Hébert, directeur médical chez TELUS Santé.

Cette façon de faire, que l’entreprise utilise avec plusieurs assureurs, aurait même avantage à être implantée dans le régime public d’assurance médicaments, poursuit-il. TELUS Santé n’a toutefois pas voulu révéler à La Presse les sommes qu’elle facturait aux compagnies d’assurance pour ce service.

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Desjardins Assurance avait pour sa part écrit en 2016 au Dr David Hervieux que ce type de solution permettait de mieux gérer les coûts des médicaments et « qu’il en va de la viabilité des régimes d’assurances collectives offerts aux employés ».

Les médecins, eux, jugent qu’il s’agit là d’une ingérence dans leur liberté professionnelle.

En septembre dernier, l’Ontario a interdit aux fournisseurs comme TELUS Santé d’insérer dans leurs logiciels des messages incitant les médecins à prescrire des médicaments précis.

Des données jamais vraiment anonymes

Dans le contexte actuel de données massives, mêmes des informations anonymes peuvent assez aisément mener à l’identification d’une personne, préviennent des experts interrogés par La Presse.

« Il suffit de croiser les informations de trois ou quatre banques de données pour parvenir à identifier des individus précis », dit Bryn Williams-Jones, professeur en charge des programmes de bioéthique à l’Université de Montréal.

Selon lui, l’utilisation de telles données par l’État pourrait être acceptable, tant que cela est fait de manière transparente et pour le bien commun. Par contre il est beaucoup plus réfractaire à l’utilisation de ces mêmes données par des entreprises.

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