Les réseaux de pharmacies privilégiées sont des solutions de plus en plus considérées pour réduire les coûts des assurances collectives. Satisfaits des économies obtenues, les promoteurs de régime déplorent toutefois que le contexte québécois empêche leur mise en place dans la province.

Depuis une trentaine d’années, l’utilisation des médicaments ne cesse d’augmenter. Selon l’enquête du Commonwealth Fund sur l’expérience de soins de la population de 18 ans et plus, 27 % des Québécois consomment au moins trois médicaments d’ordonnance différents sur une base régulière. Outre cette consommation croissante, les modifications continuelles dans l’éventail des médicaments prescrits, qui se révèlent souvent plus chers, contribuent à faire grimper les coûts des assurances collectives. Inquiet, le secteur tente de développer des solutions afin d’éviter le pire.

Les réseaux de pharmacies privilégiées se retrouvent parmi les stratégies adoptées ces dernières années par plusieurs assureurs pour contrôler le coût des médicaments, notamment les médicaments de spécialité, indiqués pour traiter les maladies chroniques complexes et qui s’avèrent très coûteux (voir encadrés ci-dessous). Ces réseaux offrent aux promoteurs de régime des avantages, notamment financiers, lorsque les participants utilisent les pharmacies du réseau.

La Financière Sun Life, par exemple, a négocié des ententes avec un distributeur pour réduire les coûts des médicaments de spécialité et biologiques. Elle a ainsi pu ajouter un réseau de pharmacies privilégiées à ses régimes, qui sont assortis d’un programme d’autorisation préalable. « Les employeurs demandent aux participants de se procurer leurs médicaments dans une des pharmacies du réseau », explique Sophie Ouellet, vice-présidente régionale, Québec et Est de l’Ontario, développement des affaires, garanties collectives à la Financière Sun Life. « Grâce à celui-ci, nous avons des exemples où les économies par ordonnance sont de 200 $ à 300 $. C’est assez significatif pour que l’adhésion au réseau vaille la peine pour l’employeur et pour l’employé. »

Outre les rabais sur les médicaments, plusieurs assureurs, comme Manuvie et Sun Life, réalisent également des économies en offrant des services aux participants qui permettent d’améliorer la qualité de la gestion des dossiers. En effet, les médicaments de spécialité nécessitent souvent une surveillance et une gestion rigoureuses et doivent parfois être administrés par injection ou par perfusion. Certains réseaux offrent aux participants un accompagnement. « On les contacte directement pour les aviser que leur médicament a été accepté et on les aide à mieux comprendre les ressources disponibles pour eux, comme les programmes de support thérapeutique ou l’aide financière offerte par les fabricants ou les gouvernements », explique Sophie Ouellet.

L’exception québécoise
Même si les dépenses en médicaments prescrits par habitant au Québec sont supérieures à celles du reste du Canada (en 2012, elles étaient estimées à 927 $ par habitant alors qu’elles étaient estimées à 795 $ par habitant au Canada1), les règles en vigueur dans la province empêchent les assureurs d’y offrir les services d’un réseau de fournisseurs privilégiés. Des contraintes légales et politiques font obstacles aux stratégies de contrôle des coûts mises en place par les promoteurs dans les autres provinces.

La Loi sur la pharmacie stipule notamment que les pharmaciens propriétaires ne peuvent prendre aucune entente ayant pour effet de porter atteinte au droit du patient de choisir son pharmacien. « Au Québec, nous ne pouvons pas inciter les participants à aller acheter leurs médicaments à un endroit plus qu’à un autre, confirme Sophie Ouellet. Nous n’avons donc pas pu mettre en place l’intégralité de notre réseau. Seuls les services à valeur ajoutée, c’est-à-dire le volet accompagnement du réseau, sont offerts aux participants du Québec. Les discussions avec les différents intervenants comme l’Association québécoise des pharmaciens propriétaires, l’Ordre des pharmaciens du Québec et le gouvernement se poursuivent pour essayer de trouver des solutions. Nous voulons être en mesure de mettre en place au Québec le volet de notre réseau qui concerne le coût des médicaments. »

La nécessaire transparence des prix
Pour Jean-Guy Gauthier, vice-président assurance collective chez Aon Hewitt, l’établissement de réseaux de pharmacies privilégiées ne pourra se faire au Québec tant qu’il n’y aura pas eu de règlement sur la transparence des prix. « La solution est d’avoir une plus grande transparence en ce qui concerne les prix, dit-il. L’industrie l’a demandée. Cela permettrait une meilleure communication aux participants. Les pharmaciens n’ont aucun problème à compétitionner sur les prix des papiers mouchoirs mais personne ne dit un mot au sujet de leurs honoraires. C’est une des plus grandes failles du système. »

Même s’il admet que les réseaux de fournisseurs privilégiés permettent de réaliser des économies non négligeables, Jean-Guy Gauthier croit que cette solution n’est pas nécessairement la meilleure. « Si les coûts des pharmaciens sont connus, l’effet du libre marché se fera ressentir, explique-t-il. Le participant pourra décider de se procurer ses médicaments auprès du pharmacien le moins cher ou décider de payer plus cher parce qu’il souhaite bénéficier des services d’un pharmacien en particulier. »

Le prix ne doit pas être l’unique considération à avoir, insiste le vice-président de Aon Hewitt. « Il est important que le pharmacien qui donne une prescription à un patient connaisse l’ensemble de son dossier, précise-t-il. Encourager le participant à changer de pharmacie pour des considérations de prix n’est pas nécessairement une solution positive. Si une personne considère que le service offert par son pharmacien est très important pour sa santé et si elle conçoit qu’il y a un prix à payer pour ce service et le paye en toute connaissance de cause, je n’ai aucun problème avec ça ! »

À l’aube de nouveaux changements
De nombreux spécialistes soulignent que les réseaux de pharmacies privilégiées ne sont pas l’unique solution pour réduire les dépenses en médicaments. D’importants changements annoncés récemment pourraient également avoir un impact significatif. Le gouvernement du Québec a notamment sanctionné, le 21 avril dernier, le projet de loi 28 qui prévoit entre autres que les régimes privés au Québec pourront limiter le remboursement des médicaments de marque pour lesquels il existe un générique, au coût le plus bas (soit celui du générique équivalent). Claude Di Stasio, vice-présidente, Affaires québécoises à l’Association canadienne des compagnies d’assurance de personnes croit que ces changements se traduiront par d’importantes économies pour les employeurs et les employés. « Cela peut influer des décisions à venir dans les contrats, indique-t-elle. Nous verrons les effets de cette nouvelle mesure dans environ un an. »

Jean-Guy Gauthier, de Aon Hewitt, est d’avis que le rôle du pharmacien est appelé à évoluer avec l’émergence de nouveaux enjeux et l’ajout de nouveaux services. « Nous pouvons donc prévoir l’apparition de différentes offres, incluant de nouveaux réseaux comme ceux pour la gestion des médicaments de spécialité, mentionne-t-il. Selon nous, il est important pour les promoteurs de rester à l’affut pour intégrer ces nouvelles offres. Dans ce contexte, il peut y avoir un risque à s’allier de façon exclusive à un réseau en particulier », conclut-il.

Les médicaments : 17 % des dépenses totales en santé

Au Canada, les dépenses en médicaments d’ordonnance ont atteint près de 27,7 milliards de dollars en 2012, alors qu’elles représentaient plus de 2,5 milliards de dollars en 1985. Au Québec, il s’agit d’un poste budgétaire en santé qui a crû constamment depuis la fin des années 1990, notamment en raison d’une hausse d’utilisation. Il occupait d’ailleurs près de 17 % des dépenses totales en santé (soit 7,5 milliards de dollars) en 2012.

Source : Les médicaments d’ordonnance : Agir sur les coûts et l’usage au bénéfice du patient et de la pérennité du système, mars 2015, Rapport d’appréciation de la performance du système de santé et de services sociaux.


Les médicaments de spécialité : 24 % des dépenses en médicaments

Les médicaments de spécialité ont transformé les soins prodigués aux patients mais ont également vu le coût moyen par demande de règlement, auparavant inférieur à 50 $, grimper à plus de 1 200 $. Les médicaments de spécialité font l’objet de seulement 1 % des demandes de règlement, mais représentent 24 % de l’ensemble des dépenses en médicaments au Canada.

Source : Express Scripts Canada, Tendances en matière de médicaments, 2014.


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1Source : Les médicaments d’ordonnance : Agir sur les coûts et l’usage au bénéfice du patient et de la pérennité du système, mars 2015, Rapport d’appréciation de la performance du système de santé et de services sociaux.