Lorsque le marasme hivernal s’est installé plus tôt cette année, Scott Taber s’est envolé vers des climats plus tropicaux, mais il n’a pas laissé le boulot derrière lui.
L’agent de relations publiques a passé deux semaines à travailler sous le soleil de la Floride, profitant d’une initiative de son employeur, la société torontoise Media Profile, qui permet à son personnel de passer une courte période à travailler de n’importe où dans le monde.
Ce genre d’arrangement, que certains surnomment des « tracances », une contraction des mots travail et vacances, n’est pas entièrement nouveau pour les entreprises canadiennes, mais il connaît un regain de popularité auprès des employés et des employeurs depuis le début de la pandémie de COVID-19.
Désormais, certaines entreprises qui voyaient rarement leur personnel saisir l’occasion de partir à l’étranger ou ailleurs au Canada pendant quelques semaines ou quelques mois voient des employés se précipiter pour y participer, tandis que d’autres sociétés offrent de tels programmes pour la première fois.
Une étude menée en décembre auprès de 1000 personnes de la société de réservation de vacances Kayak estime que 27 % des Canadiens employés et 38 % des travailleurs de la génération Z, âgés de 18 à 24 ans, prendront des tracances cette année.
Media Profile permet à ses employés qui travaillent dans l’entreprise depuis au moins six mois de prendre entre deux et quatre semaines pour travailler à distance et leur offre un maximum de 3000 $ pour leurs frais de déplacement ou d’hébergement.
Le programme vise à aider le personnel à conserver un sain équilibre entre le travail et la vie personnelle, et à lui offrir une certaine flexibilité. Dès son annonce en novembre 2021, les travailleurs ont embarqué.
« Immédiatement, le canal de clavardage a explosé. Les gens étaient tellement excités », se souvient M. Taber.
Ce dernier a choisi d’aller à Siesta Key, en Floride, avec sa femme et sa fille, pour se remettre de la lourdeur du quotidien après deux ans de pandémie.
« C’était agréable d’aller quelque part où le soleil brillait et où on pouvait se promener, prendre un café, sans avoir à s’emmitoufler », a-t-il illustré.
Un collègue de M. Taber s’est aventuré à San Diego. Un autre se rendra au Nicaragua.
Des tracances sont également permises chez Thomson Reuters, où le personnel peut travailler de n’importe où au Canada pendant un maximum de huit semaines.
Certains utilisent le programme pour prendre soin d’êtres chers âgés ou malades avec lesquels ils ne vivent pas, tandis que d’autres rendent visite à de la famille qu’ils voient rarement ou se déplacent vers un espace de travail plus pittoresque, a expliqué la directrice des ressources humaines du conglomérat médiatique, Mary Alice Vuicic.
Elle aimerait pouvoir pousser le programme encore plus loin pour permettre au personnel de s’aventurer à l’extérieur du Canada, mais Thomson Reuters doit d’abord se pencher sur les obligations fiscales étrangères et la façon de comptabiliser le temps passé à travailler à l’étranger.
Un avantage pour retenir les talents
Mme Vuicic espère que le programme donnera aux travailleurs la flexibilité qu’ils désirent, mais elle le considère également comme un bon moyen d’attirer les talents dans un marché qui a poussé plusieurs de ses travailleurs à repenser leur carrière ou à réaliser qu’un chèque de paie ne suffisait plus pour conserver un emploi exténuant.
Les travailleurs recherchent maintenant des avantages uniques qui respectent l’équilibre entre le travail et la vie personnelle. En réponse, de nombreuses entreprises proposent des allocations de bien-être, de garderie et de soins aux personnes âgées, des horaires plus flexibles et des vacances supplémentaires.
« Les entreprises qui n’offrent pas l’expérience que les gens recherchent ne seront pas en mesure d’attirer et de retenir les talents », a souligné Mme Vuicic. « Le talent est aux commandes aujourd’hui. »
Le talent fait partie des raisons qui expliquent pourquoi l’entreprise de technologie énergétique EnPowered, établie à Kitchener, en Ontario, autorise désormais des tracances pouvant s’étirer sur un maximum de trois mois.
Des employés se présentent à des réunions depuis le balcon d’une maison de vacances au Costa Rica, et une autre qui avait été invitée à un mariage en Inde a pu prolonger son séjour pour retrouver sa famille.
« Quand j’ai commencé dans les ressources humaines, quelqu’un qui voulait (retourner dans son pays d’origine) pour un mariage devait économiser son temps de vacances pendant une année entière pour pouvoir partir trois ou quatre semaines, (…) alors c’est bien qu’elle n’ait pas eu à faire ça », a souligné la directrice des ressources humaines et de la culture chez EnPowered, Deidre Falkiner.
Mais quelques difficultés peuvent survenir. La femme en Inde, par exemple, se trouvait dans un fuseau horaire complètement différent et se sentait déconnectée de ses collègues. Elle a finalement modifié ses heures pour pouvoir participer aux réunions d’équipe.
D’autres ont soulevé des questions sur les lois sur la confidentialité et la sécurité auxquelles ils peuvent être soumis dans un autre pays, et sur la couverture des soins de santé qu’ils reçoivent à l’étranger, de sorte que l’entreprise doit étudier les lois et les logiciels locaux avant que quiconque ne voyage, et peut limiter le temps de travail à l’étranger à trois mois pour minimiser les situations où les gens pourraient cesser de bénéficier d’une couverture en cas de maladie ou d’accident.
Au fur et à mesure que de nouvelles problématiques se posent, l’entreprise s’ajuste.
« Si on ne choisit pas de continuer d’avoir cette conversation, on n’identifiera jamais la meilleure façon de faire les choses », a noté Mme Falkiner. « Nous allons continuer à apprendre. »