Effet insoupçonné de la pandémie et du télétravail qui s’est alors généralisé : les dispositions anti-briseurs de grève du Code du travail pourraient bien avoir ainsi perdu de leur mordant, être moins efficaces.

Ces dispositions anti-briseurs de grève interdisent à un employeur d’avoir recours à des travailleurs de remplacement pour effectuer le travail des employés, lors d’une grève ou d’un lock-out. C’est le gouvernement de René Lévesque qui avait fait adopter ces dispositions en 1977, à la suite de plusieurs conflits de travail houleux.

Or, depuis les lock-out au Journal de Québec et au Journal de Montréal, le tribunal a statué que les salariés dont les textes étaient publiés dans ces quotidiens, mais qui ne travaillaient pas « dans l’établissement » de l’employeur, ne pouvaient être considérés comme des scabs.

Cette notion « dans l’établissement » de l’employeur devient donc importante dans un contexte où le télétravail s’est généralisé, à cause de la pandémie de la COVID-19.

« Absurde comme résultat »

Qu’arriverait-il aujourd’hui en cas de grève et de télétravail ?

« Ça me préoccupe. Les dispositions anti-briseurs de grève, elles risquent de perdre leurs dents si cette interprétation (des tribunaux de l’époque) est reprise », a opiné en entrevue avec La Presse Canadienne Gilles Trudeau, professeur en droit du travail à la Faculté de droit de l’Université de Montréal.

« On est pris avec une notion anachronique, celle de l’établissement » de l’employeur, souligne le professeur Trudeau.

Avec le télétravail aujourd’hui, « en cas de grève, je ne sais pas comment ce serait reçu par les tribunaux. C’est tellement absurde comme résultat ! C’est tellement contraire à l’esprit de la loi ! » opine le professeur en droit du travail.

« Il faut corriger le tir »

En entrevue, le président de la FTQ, Daniel Boyer, a estimé qu’« il faut corriger le tir », surtout avec le télétravail qui s’est généralisé. « Le télétravail a multiplié les endroits où on travaille hors de l’établissement » de l’employeur.

« On veut que ce soit amendé en fonction des nouvelles réalités. On ne veut pas plus que ce qui était à l’époque ; on veut ce qui avait été convenu », précise le président de la plus grande centrale syndicale du Québec.

« S’il n’y avait pas ça, ce serait facile pour les employeurs, dans le cadre d’un rapport de forces qui s’exerce à une table de négociations, de dire “moi je vous mets en lock-out et je vais embaucher d’autre monde”. Écoutez : il y a quelque chose qui n’a pas de bon sens là ! Ça ne peut pas marcher comme ça. Ça ne marche pas comme ça depuis 40 ans au Québec. Il faut adapter ça. Sinon, on vient défaire ce qu’on a fait de bien il y a 40 ans », plaide M. Boyer.

Le président de la centrale de 600 000 membres fait valoir que les dispositions anti-scabs ont eu pour effet de réduire les tensions près des piquets de grève.

« Ça évite que des conflits s’enveniment et soient très longs. Ça égalise le rapport de forces. C’est une des raisons pour lesquelles il y a une paix industrielle au Québec », affirme-t-il.