
Après avoir bondi en 2014, le marché canadien des fusions et acquisitions devrait continuer sur sa lancée dans les prochains mois, notamment grâce à la chute des prix du pétrole et de la faiblesse du huard. Selon une analyse de KPMG réalisée à partir de données recueillies par Thomson Reuters, la valeur totale des transactions a atteint un sommet de 157 milliards de dollars l’année dernière. Il s’agit d’une hausse de 21 % par rapport à 2013, malgré une légère diminution (0,6 %) du nombre de transactions conclues. KPMG constate qu’une plus grande place sera faite aux acquisitions comme « éléments clés des stratégies de croissance ». Pour atteindre cet objectif, le rôle des avantages sociaux dans la rétention des effectifs est certes important. Mais est-ce qu’on en tient suffisamment compte dans la transaction ?
« L’assurance collective, les régimes de retraite et la rémunération des effectifs sont des incontournables dans une fusion ou une acquisition », observe France Despatie, conseillère principale chez Mercer. « On regarde souvent l’impact financier, ce qu’on peut facilement déterminer. Toutefois, les raisons faisant qu’une transaction ne produise pas la valeur escomptée relèvent souvent d’éléments culturels, dont l’intégration des effectifs, l’engagement des employés et la rétention des leaders. »
On peine à calculer l’incidence de l’intégration culturelle sur une fusion ou une acquisition (lire texte), souvent parce que les ressources humaines s’impliquent trop tard dans le processus. « Dès qu’une entreprise commence à avoir l’intention d’acheter ou de vendre une autre compagnie, l’analyse des avantages sociaux est très importante, car ces derniers peuvent impliquer des coûts pour l’acheteur », affirme Danny Boutin, associé au sein de la pratique Retraite au bureau de Montréal d’Aon Hewitt. « Celui-ci doit s’assurer d’être au courant de tout ce qu’il achète, des obligations qu’il peut y avoir. Il s’agit de connaître dès que possible les régimes d’avantages sociaux du vendeur pour décider si on va les fusionner avec les régimes existants de l’acheteur ou peut-être maintenir les différentes plateformes. »
Même son de cloche pour Alain Robillard, membre du partenariat chez Mercer. « Les équipes de ressources humaines peuvent être impliquées dès l’étape de diligence raisonnable, dit-il. Il est question d’outiller l’équipe en préparant des grilles d’analyses et en déterminant les informations dont on a besoin pour que le processus aille vite. » Pour que les ressources humaines participent dès le début du processus, il faut qu’elles arrivent à justifier la valeur de leur présence, ajoute Mme Despatie. « Il faut être capable de refléter les analyses en termes financiers, soit en valeur monétaire ou peut-être en taux de roulement qui a un impact financier, dit-elle. Si tu ne donnes pas de chiffres, tu n’as pas de crédibilité. Il faut faire l’effort pour avoir une conversation sur les chiffres. »
Rassembler les ingrédients
De quelles informations a-t-on besoin sur le plan des avantages sociaux ? La réponse peut souvent dépendre du type de transaction : un achat d’actifs, où on acquiert une portion de l’entreprise, ou un achat d’actions, soit l’acquisition de l’ensemble de l’organisation. Or, en règle générale, on doit s’informer le plus possible pour obtenir un maximum de renseignements. « La vérification diligente nous fait découvrir des éléments particuliers comme, par exemple, des avantages sociaux post-retraite qu’on n’aurait pas comptabilisés. Cela crée une charge additionnelle ayant une incidence sur le coût de la transaction », explique Jacques Hébert, vice-président au sein de la pratique Assurance collective au bureau de Montréal d’Aon Hewitt. « Il peut exister certains contrats d’emploi incluant des promesses de protection d’assurance après la retraite, dit-il. Il faut scruter attentivement tous les documents pour éviter de mauvaises surprises. »
Du côté des régimes de retraite, il faut obtenir toutes les données par rapport aux participants et retraités, ainsi que les rapports actuariels et comptables pour avoir une description précise de l’état du régime et l’impact financier. Les informations nécessaires portant sur les régimes ne se limitent pas aux documents légaux. « Il est aussi intéressant de voir les communications faites aux employés, par exemple. Elles donnent beaucoup d’informations qui peuvent engendrer des obligations additionnelles, note Danny Boutin. De plus, si le régime était en déficit, il importerait de considérer qui en assumera la responsabilité. Le déficit peut être comblé directement dans le régime ou se faire à travers un ajustement du prix d’achat. » Il conviendrait aussi d’envisager une situation dans laquelle une compagnie vise à en acheter une autre qui offre un régime à prestations déterminées (PD) à ses employés. « Si l’acheteur ne veut pas de régime PD, il voudrait peut-être fermer celui-ci, explique Alain Robillard. Mais il faut examiner la convention collective, le cas échéant, à cet égard. Il y a aussi toute la question des syndicats. »
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Mélanger ou non ?
Il faut faire attention aux congédiements déguisés, poursuit M. Robillard : « Si on change la nature d’un contrat de travail, on peut s’exposer aux poursuites. » La décision de modifier les avantages d’une cohorte de nouveaux employés a certes des conséquences pour ces derniers, ainsi que potentiellement sur les employés existants. Il peut exister des ententes pour le maintien des régimes d’avantages sociaux pendant une certaine période après la vente, mais il ne s’agit pas nécessairement de garder les protections identiques. « Lorsque l’acheteur a un régime d’assurance collective flexible, comme c’est souvent le cas dans les grandes entreprises, l’harmonisation des assurances s’avère plus facile, observe Jacques Hébert. Même si le partage des coûts diffère d’une compagnie à l’autre, l’employeur peut travailler sur les crédits offerts à l’employé nouveau qui est intégré de façon à lui permettre de maintenir un coût total équivalent à celui dont il bénéficiait auparavant. »
Bien qu’il constitue un objectif logique à long terme pour la plupart des entreprises, dans un souci de cohérence et d’équité entre employés, il n’est pas nécessaire de se précipiter dans l’harmonisation des avantages sociaux. « Il n’y a pas de réponse unique à l’intégration des couvertures; ça dépendra de la philosophie de l’employeur et si les employés des différentes organisations seront appelés à travailler ensemble », explique Danny Boutin. Certaines entreprises auraient peut-être intérêt à garder les couvertures de l’entreprise acquise en raison de coûts ou de compétivité locale. Cela pourrait être le cas, par exemple, lors de l’achat d’une usine qui fabrique d’autres produits que la maison-mère. Même si on décide d’harmoniser les avantages sociaux, il peut toutefois être intéressant de profiter de toute la période établie pour maintenir des couvertures afin de déterminer la meilleure façon de procéder. « Il est intéressant de se donner le temps d’harmoniser ses avantages sociaux pour permettre à l’employé de vivre un cycle de gestion de performance, de connaître des possibilités de cheminement de carrière, de vivre sa nouvelle compagnie dans son ensemble, explique France Despatie. La nouvelle expérience s’avère positive et il n’aura peut-être pas le même sentiment de perte [d’avantages sociaux] parce qu’on a commencé le changement de culture d’entreprise. L’harmonisation est importante, mais il est intéressant d’y procéder à un moment où les employés sont moins inquiets. »
Présenter les résultats
Il est clair que les fusions et acquisitions peuvent constituer des sources de grands soucis chez les employés, autant pour ceux de l’acheteur que ceux du vendeur. Un élément clé est donc de bien communiquer pour les informer et les rassurer. « Les bonnes communications créent l’idée d’une compagnie qui prend soin de ses employés, affirme Jacques Hébert. Si tout se fait à la fin du processus, ces derniers peuvent se faire une mauvaise impression. Une stratégie de communications ouvertes tout au long de l’intégration des organisations facilite le développement d’un sentiment d’engagement. »
Le fait que l’intégration s’étale sur une certaine période souligne le besoin d’informations en continue, plutôt qu’uniquement lors de moments clés comme l’annonce de l’entente. France Despatie constate que les communications sont de plus en plus axées sur « l’expérience au travail » plutôt que sur les informations pures et dures. « L’employé n’a pas nécessairement besoin de tous les petits détails; il veut savoir qui va être son boss et si ses collègues changeront », dit-elle. On aurait donc tendance à présenter un organigramme qui explique les implications de la transaction pour l’employé. « Les mauvaises communications risquent de générer des rumeurs et des incertitudes, poursuit Mme Despatie. Il ne s’agit pas seulement d’informer du changement, mais d’exposer l’impact que cela va avoir sur sa vie quotidienne au travail. »
La première réaction d’une majorité de travailleurs à l’égard d’une fusion ou d’une acquisition serait de savoir s’ils ont toujours une job. Ensuite, ils commenceront à se demander ce qui va arriver avec leur rémunération et leurs avantages sociaux. La question ultime est : ai-je envie de travailler dans cette nouvelle organisation ? On sait que la guerre des talents est de plus en plus féroce; la compagnie acquisitrice doit alors conserver les meilleurs éléments de toute organisation qu’elle achète. Il est donc important de penser aux ressources humaines le plus tôt possible dans la transaction, afin de déterminer la meilleure recette pour éviter qu’elles s’en aillent.