Le recrutement et la fidélisation de la main-d’œuvre constituent un défi pour toutes les organisations, sans égard à leur taille ou domaine d’activité. Le vieillissement de la population canadienne met davantage de pression sur une situation déjà difficile. Afin de mieux connaître la stratégie de ­Via ­Rail pour faire face à ces enjeux, ­Simeon ­Goldstein s’est entretenu avec ­Yves Desjardins-Siciliano, président et chef de la direction de la société d’État.

Avantages : ­En quoi la situation de ­Via ­Rail ­représente-t-elle un cas particulier ?

Yves ­Desjardins-Siciliano : ­Depuis plusieurs années maintenant, et pour les deux à trois prochaines, nous vivons une transition générationnelle. Plus de la moitié de la ­main-d’œuvre partira à la retraite, donc nous sommes très actifs dans le recrutement. L’an dernier, sur un bassin d’environ 2 700 employés, nous avons embauché plus de 500 personnes et, depuis trois ans, l’âge moyen des travailleurs a visiblement baissé de façon considérable.

Dans un deuxième temps, il faut comprendre que la réalité de l’organisation a beaucoup évolué. Depuis le milieu des années 1990, il y avait eu une décroissance : dans un tel contexte, les employés étaient moins optimistes et plus inquiets. Ils se demandaient si la prochaine annonce serait pour couper des services. Il est certes plus difficile de demander aux gens d’être innovateurs s’ils craignent pour leur poste de façon constante. Or, depuis trois ans maintenant, nous avons renoué avec la croissance. Pour avoir rapidement des gens avec des réflexes créatifs pour gérer cette nouvelle ère, il faut recruter.

Miser sur le recrutement, cela veut dire quoi concrètement ?

Nous nous sommes dit que, tant qu’à embaucher, ­assurons-nous de favoriser le changement culturel qui doit s’effectuer à ­Via ­Rail. Alors que la croissance qu’on connaît peut être attribuée en grande partie au contexte social actuel (transport durable et collectif, connectivité des gens qui veulent être branchés aux médias sociaux, etc.), il faut profiter du recrutement pour se mettre dans cette ­mentalité-là. ­Amenons-en de la créativité et une nouvelle énergie pour progresser ! ­Dans les faits, cela se décline en trois axes : la diversité du genre, l’inclusion des communautés culturelles ainsi qu’une implication auprès des ­Forces armées canadiennes.

L’un de vos objectifs est que la moitié des gestionnaires à ­Via ­Rail soient des femmes.
Où en ­êtes-vous rendus ?

Aujourd’hui, plus de 30 % de nos gestionnaires sont des femmes et, ­au-delà de nos programmes de mentorat et de partage pour le personnel féminin, j’ai pris cet engagement personnel de recruter des femmes dans des postes de gestion. Comme on dit, leadership starts at the top : c’­est-à-dire que pour avoir une ­main-d’œuvre diversifiée et équilibrée, il faut qu’il en soit ainsi à la haute direction. Au comité de gestion, il y a trois femmes et cinq hommes, alors qu’il n’y en avait qu’une quand je suis devenu président. La valeur qu’apportent les femmes se distingue de celle de leurs collègues masculins et cela donne une image positive à l’organisation.

On pourrait avoir l’impression que vous parlez davantage d’objectifs d’ordre politique que d’affaires. Qu’en ­dites-vous ?

Si on parle de diversité, c’est clair qu’on veut une ­main-d’œuvre qui ressemble au pays, les différentes origines et cultures, dont les ­Premières ­Nations, religions et groupes d’âge. Et, bien sûr, on offre le service dans les deux langues officielles. On est une société d’État dont l’actionnaire est le gouvernement fédéral. Mais plus vous avez des objectifs de politique publique, plus vous dépassez les objectifs d’affaires. On peut se donner des objectifs financiers – et les atteindre – ainsi que réaliser des buts sociaux.

Votre lien avec les ­Forces armées s’inscrit alors dans le même ordre d’idées ?

Au-delà de l’histoire commune des ­Forces et du service de train de passagers, nous croyons fermement que les personnes faisant partie des ­Forces armées ont à cœur d’offrir des services à leurs concitoyens et qu’ils possèdent des qualités qui correspondent à notre réalité, comme la discipline ou la ponctualité. En plus, ils ont des connaissances et expertises applicables : par exemple, un mécanicien diesel pour un char d’assaut peut très bien s’occuper d’un moteur de locomotive.

Nous avons donc une cible de 10 % de notre recrutement chez le personnel des ­Forces armées ou les réservistes ; on était à 9 % en 2016, donc on va dans la bonne direction. De l’autre côté, on pense que c’est important de permettre à nos employés de s’impliquer dans les ­Forces, dans le plus grand intérêt de la communauté, sans avoir à sacrifier des éléments de leur rémunération, comme leurs vacances.

Parlons davantage de rémunération. Comment ­voyez-vous le rôle des régimes de retraite ?

Via ­Rail offre des régimes de retraite à ses employés. Comme d’autres, ces régimes sont en pleine transformation afin d’essayer de réduire le fardeau qu’ils représentent pour les contribuables. Mais aussi pour mieux refléter la réalité des travailleurs d’aujourd’hui. De moins en moins font carrière au sein d’une seule organisation ; certains pourront connaître sept « carrières » au cours de leur vie professionnelle. Ainsi, le régime traditionnel à prestations déterminées s’avère moins intéressant.

La qualité et l’environnement de travail priment : avoir l’impression de contribuer à quelque chose, recevoir une rémunération raisonnable ainsi qu’être reconnu pour les accomplissements exceptionnels. Et, évidemment, il est question d’avoir une bonne qualité de vie et de trouver l’équilibre entre vie privée et vie professionnelle.

On peut imaginer que dans une organisation comme ­Via ­Rail les pratiques typiques de l’équilibre ­travail-famille, comme le télétravail, ne s’appliquent pas à bon nombre d’employés. Que ­faites-vous à ce titre ?

Il est vrai que pour la majorité de notre effectif, dans les trains ou dans les centres de maintenance, par exemple, le télétravail n’est pas une option. Nous sommes en train d’examiner les différentes façons d’améliorer l’équilibre ­travail-famille, quoique les horaires sont déjà assez flexibles. Dans les bureaux, on a implanté des projets pilotes sur le télétravail.

Qu’en ­est-il de la formation ?

Nous avons une école de leadership et voulons continuer d’investir dans les autres formations, par exemple des programmes d’apprentis, ainsi que de développement des gestionnaires. Il est important de garder l’entreprise intéressante, même pour un employé qui est ici depuis une dizaine d’années.

Il y a des affectations afin que les personnes puissent se déplacer dans l’entreprise pour découvrir de nouveaux défis et acquérir de nouvelles compétences. Il ne faut jamais que s’installe la routine : aujourd’hui, les travailleurs sont toujours à la recherche de nouvelles opportunités. Si vous ne les offrez pas chez vous, ils chercheront ailleurs.

Un moteur du recrutement est en effet le départ prévu de nombreux travailleurs dans les prochaines années. Avec le phénomène du ­baby-boom, cela touche la vaste majorité des entreprises. ­

Avez-vous des stratégies pour y faire face ?

Il est important pour les employés de savoir apprivoiser la retraite. Pour quelqu’un qui travaille pendant 30 ans, il n’est pas naturel de quitter son emploi du jour au lendemain. Il y a toutes sortes de dépendances sociales autour du milieu de travail.

C’est pour cette raison que nous avons mis en place un programme de transition pour permettre aux travailleurs de « prendre leur retraite » et revenir travailler à temps partiel – trois jours par semaine la première année et deux l’année suivante. Ainsi, l’employé est en mesure de mieux savoir comment il va remplir son horaire à la retraite. Pour nous, c’est doublement gagnant : nos employés ne partent pas sans plan d’avenir et on ne perd pas leur expertise du jour au lendemain. Cela nous coûte moins cher pour garder l’expertise historique.

Quelles sont les prochaines étapes ?

Nous continuerons nos efforts et les mesurerons pour nous assurer d’atteindre nos objectifs. Comme entreprise, nous sommes conscients que la croissance de notre achalandage, de la satisfaction des clients et ultimement de nos revenus est strictement liée à une chose : la mobilisation de nos employés. On nous choisit pour la relation avec notre personnel. Quand je regarde les sondages sur la mobilisation, je suis confiant, car nous nous retrouvons parmi les meilleures organisations gouvernementales.

La mobilisation s’est améliorée dans les dernières années pour s’établir à 71 % en 2016 : j’aimerais faire passer le pourcentage de personnes démobilisées sous la barre du 10 % tout en mobilisant l’autre 90 %. Il faut avoir une stratégie de ressources humaines – recrutement, formation et gestion d’équipe – qui s’inscrit dans une stratégie commerciale pour faire réussir l’organisation.