Le 23 novembre 2022, la ­Chambre des communes a adopté à l’unanimité le controversé projet de loi ­C-228 modifiant la ­Loi sur la faillite et l’insolvabilité (LFI) et la ­Loi sur les arrangements avec les créanciers des compagnies (LACC). Ce projet de loi vise à assurer le paiement en priorité du passif non capitalisé et du déficit de solvabilité d’un régime de retraite à prestations déterminées (PD) en cas d’insolvabilité du promoteur.

Le projet de loi est maintenant à l’étude au ­Sénat, où certaines modifications pourraient encore être effectuées, mais compte tenu du consensus politique actuel, il est fort probable que les principes directeurs du projet soient maintenus.

Les principales mesures controversées du projet de loi se résument comme suit :

  • une transaction ou un arrangement sous la ­LACC devrait prévoir le paiement du déficit d’un régime ­PD avant que la cour puisse l’approuver ;
  • en cas de faillite, le montant nécessaire pour éliminer tout déficit dans le régime ­PD à la date de faillite bénéficierait d’une « superpriorité » et prendrait donc rang avant la créance de tout autre créancier garanti ou ordinaire (sauf quelques exceptions).

L’objectif du projet de loi ­C-228 est d’améliorer la sécurité des prestations, ce qui en est un louable. Le projet de loi entraînera toutefois des conséquences indésirables pour les promoteurs de régimes ­PD et leurs employés.

Une conséquence immédiate du projet de loi pour certains promoteurs sera la diminution de la disponibilité du crédit ou une augmentation de leur coût de crédit. Les prêteurs évalueront le déficit du régime ­PD comme une créance qui prend rang avant la leur et ils réduiront vraisemblablement le crédit disponible ou ils exigeront un taux d’intérêt plus élevé en raison du risque accru. Cette réaction des prêteurs rendra l’offre de régimes ­PD encore moins attrayante. Il est raisonnable de penser que les entreprises vont prioriser l’accessibilité au crédit plutôt que le maintien de régimes ­PD, ce qui stimulera davantage la fermeture et la terminaison des régimes ­PD dans le secteur privé.

La portée du projet de loi ­C-228 est également trop étendue en ce sens que la loi entraînera un financement accéléré d’un déficit dans des cas où cela n’est pas justifié. Par exemple, une entreprise insolvable peut maintenir un régime ­PD malgré son insolvabilité ou un acheteur solvable peut prendre en charge le régime. Dans ces ­cas-là, la sécurité des prestations n’est pas nécessairement compromise et il n’est pas justifié d’écarter les règles normales de financement. Le financement accéléré du déficit devrait être limité aux cas où un régime ­PD est terminé. L’organisme de réglementation applicable pourrait toujours ordonner la terminaison du régime et faire naître la superpriorité si un régime ­PD n’est plus viable.

La rédaction ambiguë du projet de loi nous laisse aussi croire que le déficit d’un régime ­PD sous compétence provinciale sera déterminé en fonction des règles de financement fédérales lorsque le promoteur demande la protection de la ­LACC ou de la ­LFI. Ce résultat serait fort inapproprié, particulièrement dans le cas de régimes qui sont assujettis à des règles de financement moins rigides (comme au ­Québec, où le financement sur base de solvabilité n’est plus obligatoire). L’application des règles fédérales pour déterminer le déficit durant une procédure d’insolvabilité serait non seulement un affront au choix politique délibéré des provinces en matière de financement des régimes, mais soulève aussi des doutes quant à la validité constitutionnelle du projet de loi.

Il existe une série de solutions qui permettraient d’améliorer la sécurité des prestations tout en évitant plusieurs conséquences négatives d’une superpriorité. Il serait par exemple préférable d’adopter un programme modelé sur le régime québécois, qui permet à un participant retraité de demander qu’une rente lui soit servie par ­Retraite ­Québec pendant dix ans suivant une procédure d’insolvabilité plutôt que de cristalliser sa perte immédiatement en faisant assurer la rente. Le régime québécois a déjà fait ses preuves et une version bonifiée serait un outil efficace pour limiter les pertes d’un participant découlant d’une insolvabilité.

Il est à espérer que le ­Sénat prendra le temps d’étudier attentivement le projet de loi ­C-228 et procédera aux modifications nécessaires afin de rectifier le tir pendant qu’il est encore temps.


• Ce texte a été publié dans l’édition de mars 2023 du magazine Avantages.
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