Les caisses de retraite québécoises sont-elles plus audacieuses que les caisses canadiennes?
Nous avons posé la question à huit gestionnaires de portefeuille établis au Québec, afin de connaître leur perception à l’égard des caisses de retraite québécoises.
D’entrée de jeu, Louis Fortin, président-directeur général d’Amundi Canada, anciennement Crédit agricole Asset Management, souligne que la distinction se voit maintenant dav«antage par la taille des caisses de retraite plutôt que leur localisation géographique. « Grâce à leur équipe de gestion interne, les grandes caisses vont employer des stratégies de rendement/risque plus sophistiquées qui leur sont propres, alors que les caisses de moindre envergure préféreront être plus standard », dit-il.
« Par le passé, les caisses de retraite québécoises étaient plus ouvertes face aux nouvelles stratégies alternatives », ajoute-t-il. « Je pense notamment à l’utilisation des produits dérivés qui était plus fréquente, possiblement à cause de la proximité de la Bourse de Montréal, qui se spécialise dans ce genre de produits.»
Benoît Durocher, président et chef de la direction d’Addenda Capital, continue : « Les caisses de moins grande envergure vont travailler davantage avec leurs conseillers pour les aider dans leur prise de décision. La structure du régime aura également une incidence sur les stratégies employées et la répartition d’actifs », mentionne-t-il. « La maturité de la caisse par exemple est un facteur important et ce, peu importe la localisation de la caisse. »
Denis Durand, associé chez Jarislowsky Fraser, estime toutefois que les caisses de retraite québécoises, surtout du secteur public, ont été attirées plus tôt par les investissements à l’étranger. Il cite en exemple les caisses de retraite des universités québécoises qui, même si elles se rétractent un peu dernièrement, ont toujours été très à l’avant-garde en ce qui concerne l’utilisation de produits dérivés et de produits structurés.
M. Durand voit néanmoins un endroit où les caisses québécoises se démarquent de celles du reste du pays : « Les caisses du Québec accordent davantage d’importance aux principes de gouvernance que les caisses canadiennes, américaines ou mêmes britanniques. S’il y a un élément distinctif, c’est celui-là », insiste-t-il.
L’influence de la Caisse de dépôt
Michel Di Grégorio, président et chef de la direction chez Lombard Odier, nuance un peu les propos tenus par les autres gestionnaires de portefeuille. « De façon générale, les caisses de retraite canadiennes sont ouvertes d’esprit et font preuve de beaucoup d’innovation », observe-t-il. « Cependant, les gestionnaires de caisses au Québec sont peut-être un peu plus curieux face à la nouveauté, alors que les gestionnaires de caisses canadiens attendent que les nouveaux produits ou les nouvelles stratégies soient davantage établis avant de s’en intéresser réellement. »
Tout comme M. Fortin, Richard Guay, président principal, Placements, chez Montrusco Bolton, croit que les différences dans les pratiques sont davantage liées aux ressources internes de la caisse. « Si elles possèdent plus d’expertise à l’interne, elles ont tendance à être plus audacieuses », dit-il.
Il continue en disant que la Caisse de dépôt et placement du Québec exerce une influence importante sur les grandes caisses pour certaines stratégies d’investissement. « Parfois, c’est bon, d’autres fois c’est moins bon. Pensons simplement aux papiers commerciaux adossés sur les actifs. Depuis, la notion de gestion de risque est devenue un incontournable, mais ce n’est pas pire ici qu’ailleurs », explique M. Guay.
Sylvain Brosseau, président et chef de l’exploitation chez Fiera Capital, croit pour sa part que la Caisse de dépôt influence davantage les caisses de petite et moyenne taille. « Ces dernières ont moins de ressources à l’interne et s’en remettent souvent à leurs conseillers pour obtenir un avis indépendant et pour mieux comprendre. Ils aiment également regarder ce que font les grandes caisses et, par le fait même, la Caisse de dépôt et placement. »
M. Brosseau soutient aussi que les caisses québécoises étaient traditionnellement plus ouvertes et plus rapides à adopter de nouvelles stratégies de placement, mais que cela est de moins en moins le cas. « Depuis un an, les caisses de retraite, peu importe leur localisation, affichent un intérêt certain pour investir directement dans les stratégies alternatives. Par le passé, cette tendance aurait été réservée surtout aux caisses québécoises. »
Plus novatrices
M. Peter Lindley, président de State Street Canada, croit encore que les grandes caisses québécoises sont davantage portées vers l’innovation en matière d’investissement. « Les caisses de retraite de l’Est du pays sont plus ouvertes à l’implantation de stratégies telles que les stratégies d’investissements guidés par le passif. »
Roger Renaud, président d’Investissements Standard Life, amène un autre son de cloche fort intéressant : « Contrairement au reste du pays, les caisses de retraite québécoises sont représentées par un comité de retraite et non par l’employeur lui-même. Cela distingue donc la prise de décisions quant à la répartition d’actifs ou encore aux stratégies employées. »
Il poursuit en soulignant : « De par leur rôle fiduciaire, les comités de retraite font souvent appel à l’expertise de conseillers pour s’assurer de prendre les bonnes décisions. Ce savoir-faire force également l’émergence de nouvelles idées contribuant ainsi à aller vers l’innovation.»
Alors, à la lueur des commentaires des gestionnaires de portefeuille, les caisses de retraite québécoises tendent à perdre peu à peu leur réputation d’innovateur, mais le haut degré d’expertise autant chez les gestionnaires de caisses que chez les conseillers et les gestionnaires de portefeuille contribuent à l’émergence d’idées novatrices. Et pour cela, le Québec n’a rien à envier au reste du pays.