Avec toujours plus de personnel à superviser et de moins en moins de ressources pour remplir leurs objectifs, les gestionnaires souffrent davantage de détresse psychologique que leurs employés, ce qui pèse lourd sur la productivité des entreprises. Comment les aider?

« Avant, les gestionnaires étaient considérés privilégiés. Ils occupaient des postes prestigieux et bénéficiaient de conditions de travail enviables, mentionne Marie-Hélène Gilbert, professeure agrégée au Département de management de l’Université Laval. Mais aujourd’hui, leur travail est de plus en plus dévalorisé. Plusieurs les voient comme des bureaucrates inutiles. »

Lors de la conférence Santé psychologique Les Affaires, le mois dernier, la professeure a identifié plusieurs facteurs de risque qui minent la santé mentale des gestionnaires : insécurité d’emploi, horaires de travail difficiles, empiètement du travail sur la vie personnelle, ambiguïté des rôles, latitude décisionnelle limitée et manque de reconnaissance, entre autres.

« Les gestionnaires ne peuvent plus se déconnecter du travail. Aujourd’hui, leurs employés leur envoient constamment des messages textes, et ils s’attendent à une réponse quasi instantanée. On observe aussi un sentiment d’isolement social à mesure qu’un employé grimpe dans la hiérarchie », ajoute Marie-Hélène Gilbert.

Selon différentes études, de 20 à 49 % des gestionnaires souffrent de détresse élevée, soit une proportion plus élevée que dans la population générale. Ils sont en outre plus nombreux à rapporter des problèmes de sommeil et des troubles musculosquelettiques. Les gestionnaires se montrent aussi plus réticents à parler de leur santé mentale : 65 % d’entre eux avouent cacher leurs émotions.

« Il s’agit d’une population vulnérable avec des facteurs de risque spécifiques. Les organisations doivent agir, car elles ont de plus en plus de difficulté à recruter des cadres. Les employés ne sont plus intéressés par les postes de direction », soutient Mme Gilbert.

Un cercle vertueux de santé organisationnelle

La santé psychologique des gestionnaires est intimement liée à la santé de leurs employés et de l’organisation dans son ensemble. En effet, les gestionnaires stressés ont de la difficulté à prendre des décisions et sont plus susceptibles d’adopter un style de gestion abusif.

À l’inverse, les gestionnaires plus sereins sont plus aptes à gérer les conflits de travail dans leur équipe, ce qui favorise grandement la santé mentale, le bien-être et la productivité des employés. C’est ce que Marie-Hélène Gilbert qualifie de « cercle vertueux de santé organisationnelle ».

Les principaux facteurs qui favorisent la santé mentale des gestionnaires sont le sentiment d’efficacité et de compétence au travail, la qualité de la relation avec les collègues et avec le supérieur immédiat, ainsi que l’autonomie.

La professeure a mené une étude de cas auprès de 75 gestionnaires d’un établissement de santé pour documenter les différentes ressources à leur disposition, mais aussi les contraintes auxquelles ils sont confrontés.

La plupart des gestionnaires ont mentionné être imputable d’autant de résultats qu’auparavant, mais avec un budget réduit. Cette pression constante crée chez eux un sentiment d’échec, voire d’imposture. Ils ont aussi indiqué avoir de la difficulté à faire de la discipline et à gérer les conflits de leurs employés.

L’étude a permis de constater que les gestionnaires utilisaient peu les ressources à leur disposition, mêmes s’ils les connaissaient. Par exemple, le recours au télétravail pour faciliter la conciliation travail-famille est limité chez les gestionnaires, parce que ceux-ci se sentent jugés par leurs employés et les autres gestionnaires lorsqu’ils travaillent de la maison.

De la même façon, les programmes de codéveloppement mis sur pied dans le milieu de travail couvert par l’étude sont boudés par les gestionnaires. La culture de compétition entre les cadres de l’organisation fait en sorte qu’il y est mal vu de partager ses échecs.

« Ce que l’on constate, c’est qu’il existe chez les gestionnaires des contraintes importantes à l’utilisation des ressources offertes pour favoriser la santé psychologique. Les organisations doivent se pencher sur ces contraintes et développer des solutions adaptées pour les gestionnaires. Il faut se préoccuper de la santé psychologique des employés, mais aussi de celle des gestionnaires.», soutient Marie-Hélène Gilbert.

La professeure juge également qu’il y a une limite à vouloir accroître le niveau de résilience des gestionnaires et des employés. « On ne peut pas mettre toute la responsabilité de la santé mentale sur les épaules des individus. Les organisations doivent agir elles aussi, et non se déresponsabiliser. »