L’assouplissement des règles d’immobilisation des fonds de revenu viager et des sommes détenues dans les régimes de retraite à cotisation déterminée offrant des prestations variables change la donne pour les épargnants. Pour les employeurs, ce dégel met encore plus en lumière l’importance d’accompagner les travailleurs dans la préparation de la retraite.

Depuis le 1er janvier 2025, les règles d’immobilisation des fonds de revenu viager (FRV) laissent une plus grande part à la flexibilité. Le gouvernement du ­Québec a aboli, pour les personnes âgées de 55 ans et plus, le plafond relatif aux retraits des sommes détenues dans les ­FRV ainsi que les montants détenus dans les régimes à cotisation déterminée (CD) qui permettent directement le paiement de prestations variables. Québec entend ainsi encourager les travailleurs à reporter le versement des prestations du ­Régime de rentes du ­Québec (RRQ). Les règles ont également été assouplies pour les personnes de moins de 55 ans, mais un plafond pour les retraits demeure néanmoins en place.

La modification réglementaire interdit aussi de transférer directement des sommes d’un FRV ou d’un régime ­CD offrant des prestations variables vers un ­REER, un ­FERR ou un RVER. La suppression du plafond de retrait rendait de toute façon une telle disposition inutile.

« ­Le ­Québec, qui était la province la plus restrictive en matière de désimmobilisation, est maintenant l’une des plus flexibles. C’est un changement majeur pour l’industrie », souligne ­Yashar Zarrabian, vice-président régional, régimes collectifs de retraite à ­Sun ­Life.

L’impact direct de cet assouplissement est d’offrir davantage de flexibilité pour retirer le montant souhaité à partir de l’âge de 55 ans. « C’est une avancée positive qui simplifie les plans de décaissement à la retraite », considère ­Stefan Kolovic, planificateur financier et directeur relations clients, éducation financière à ­Solertia. « ­Nous percevions auparavant une frustration chez certaines personnes. L’ancien format du ­FRV ne leur donnait pas de contrôle réel sur leur argent. Elles pouvaient percevoir de petites sommes, mais restaient soumises à un rythme de décaissement imposé qui ne correspondait pas forcément à leurs projets de vie, ­précise-t-il. Avec ce changement, elles reprennent le contrôle sur leurs fonds dans leur globalité. »

Avant 2025, un ­FRV de 200 000 $ permettait seulement un retrait annuel d’environ 15 000 $, ce qui obligeait plusieurs épargnants à demander la pension de la ­Sécurité de la vieillesse ou la rente du ­RRQ dès le départ à la retraite, illustre ­Dany Lacoste, actuaire, planificateur financier et conseiller principal, retraite et épargne chez Normandin ­Beaudry. « ­Grâce à cette nouvelle flexibilité, les retraités peuvent reporter leurs rentes gouvernementales, ce qui leur permet de bénéficier d’un revenu plus élevé à long terme », ­souligne-t-il, en rappelant le facteur d’ajustement qui réduit ou accroît le montant des rentes gouvernementales selon l’âge de réception du premier paiement.

Planifier un décaissement plus flexible

Le plafond prévu par les règles d’immobilisation, qui existait avant le 1er janvier 2025, était certes contraignant, mais il empêchait de dilapider les sommes détenues. « ­La limite de retrait maximum protégeait les retraités contre le risque de longévité en garantissant un certain niveau d’épargne jusqu’à un âge avancé. Ce type de protection est réduit avec la suppression du retrait maximum », dit Dany Lacoste. Cependant, ­celui-ci observe que l’impôt est dissuasif en cas de retraits excessifs puisque le retraité pourrait s’exposer à un taux marginal d’imposition allant jusqu’à 53,31 % s’il retire un montant important en une seule fois.

Toutefois, la facture fiscale n’est qu’une composante du plan global de décaissement que devrait considérer un futur retraité. Et c’est là que les employeurs ont un rôle à jouer, même s’ils ne sont pas directement touchés par le changement réglementaire.

C’est que cet assouplissement accroît encore un peu plus la flexibilité dont disposent les travailleurs dans le décaissement de leurs revenus de retraite… et le besoin pour eux d’être accompagnés dans cette planification. « ­Plus de flexibilité signifie plus de responsabilités, fait valoir ­Yashar ­Zarrabian. La phase de décaissement est relativement complexe pour un participant, alors que l’accumulation est plus simple. »

« Le Québec, qui était la province la plus restrictive en matière de désimmobilisation, est maintenant l’une des plus flexibles. C’est un changement majeur pour l’industrie. »

 – Yashar Zarrabian, Sun Life

Le décaissement devient un sujet central, notamment dans les régimes à cotisation déterminée qui arrivent à maturité. Jusqu’à récemment, les retraités avaient généralement une combinaison de régimes à prestations déterminées et de régimes ­CD. Mais dans les années à venir, de plus en plus de retraités n’auront connu que des régimes ­CD. « L’industrie s’est toujours concentrée sur la phase d’accumulation, mais le décaissement devient aujourd’hui la priorité. Cette phase nécessite du soutien », martèle ­Yashar ­Zarrabian.

Ce soutien est aussi essentiel dans le cadre du rôle joué par les promoteurs de régimes, rappelle Dany Lacoste. « ­La ligne directrice n° 3 de l’Association canadienne des organismes de contrôle des régimes de retraite recommande aux promoteurs de régimes de communiquer clairement avec leurs participants pour s’assurer qu’ils comprennent les règles et les avantages du régime », ­rappelle-t-il.

D’ailleurs, le gouvernement du ­Québec a rappelé que les promoteurs de régimes ont le devoir d’informer les participants au sujet du changement des règles d’immobilisation.

« Nous percevions auparavant une frustration chez certaines personnes. L’ancien format du FRV ne leur donnait pas de contrôle réel sur leur argent. Elles pouvaient percevoir de petites sommes, mais restaient soumises à un rythme de décaissement imposé qui ne correspondait pas forcément à leurs projets de vie. »

 – Stefan Kolovic, Solertia

De leur côté, les institutions financières sont tenues d’informer les participants de ces nouvelles règles en vertu d’une obligation légale, rappelle Dany Lacoste. « ­Elles doivent désormais fournir aux personnes de 55 ans et plus une estimation de revenu viager, indiquant le meilleur montant estimatif qu’elles devraient retirer. Auparavant, elles mentionnaient seulement les montants minimum et maximum. » ­Cette estimation peut reposer soit sur les propres hypothèses de l’institution financière, soit sur une projection couvrant une période allant de l’âge actuel du travailleur jusqu’à l’âge de 95 ans.

Un soutien nécessaire
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Au-delà du simple changement réglementaire, les employeurs doivent veiller à ce que les participants disposent des appuis nécessaires à une prise de décision éclairée dans leur planification de retraite. « ­La différence entre une personne accompagnée et une autre qui ne l’est pas est flagrante, notamment en termes d’anxiété financière », constate Stefan Kolovic.

« ­La gestion du décaissement à la retraite repose sur un accompagnement professionnel. Avec ou sans le changement de règle, une personne qui gère seule son décaissement pourrait rencontrer des difficultés, rappelle le planificateur financier. L’approche idéale consiste à intégrer ces services aux régimes de retraite, en incluant un volet éducatif, ce qui permet un financement plus naturel de ces services. »

« ­En tant que fiduciaire, il est important pour l’employeur de sensibiliser et d’encourager les employés à utiliser les services mis à leur disposition par leur fournisseur », ajoute Yashar Zarrabian, mentionnant que la communication, l’éducation et la planification deviennent encore plus importantes. Il est essentiel de sensibiliser les participants à la bonne gestion de leur argent pour éviter de manquer de liquidités et s’assurer que leurs économies couvrent toute leur espérance de vie, ­soutient-il.

« La limite de retrait maximum protégeait les retraités contre le risque de longévité en garantissant un certain niveau d’épargne jusqu’à un âge avancé. Ce type de protection est réduit avec la suppression du retrait maximum. »

 – Dany Lacoste, Normandin Beaudry

L’accès à des conseils et des services financiers s’inscrit dans une tendance plus marquée depuis quelques années. « ­De nombreuses personnes font une gestion plus autonome de leurs finances depuis la pandémie. C’est notamment le cas des plus jeunes, ce qui est positif, note ­Stefan ­Kolovic. On le voit dans l’investissement boursier. Mais l’optimisation fiscale reste un domaine plus complexe et moins accessible que le marché boursier. Le besoin d’accompagnement demeure crucial. Sans conseil, certaines erreurs peuvent être irréversibles. »


• Ce texte a été publié dans l’édition d’avril-mai 2025 du magazine Avantages.
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