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Parmi les antécédents aux problèmes de santé mentale au travail, la surcharge de travail, le manque de latitude décisionnelle, l’ambiguïté des rôles, les horaires de travail, la précarité de l’emploi ou encore la conciliation difficile entre le travail et la famille sont les éléments les plus souvent cités par les chercheurs comme causes d’apparition de troubles de santé mentale chez les employés. Les chercheurs ont toutefois identifié de nouveaux éléments qui influenceraient la santé mentale des individus. Il s’agit notamment des perceptions de justice organisationnelle.

Rares sont les études qui se sont intéressées à l’influence des perceptions de justice organisationnelle sur les émotions et la santé mentale des employés. Les recherches sur la justice organisationnelle se sont essentiellement intéressées aux effets de la perception de justice au travail sur le comportement des employés en ce qui a trait à l’absentéisme, aux départs volontaires et aux comportements contre-productifs.

Néanmoins, dans une méta-analyse effectuée en 2001, Colquitt et d’autres chercheurs remarquent que les travaux reliant directement les perceptions de justice organisationnelle aux comportements et attitudes au travail n’expliquent qu’un faible pourcentage de la variance de ces variables(attitudes et comportements). C’est dans ce sens qu’ils recommandent en 2005 d’introduire des variables médiatrices et modératrices dans l’étude des effets de la justice organisationnelle sur les comportements et attitudes au travail.

En nous basant sur ces constats, nous avons évalué, à des fins exploratoires, le rôle du soutien psychologique dans la relation entre la justice organisationnelle et la santé mentale au travail, afin d’élargir les connaissances sur la santé mentale au travail. Cette problématique est très pertinente étant donné son impact sur l’efficacité organisationnelle.

Nous avons donc synthétisé les modèles théoriques(modèle du stress, modèle antécédents-conséquences)portant sur la santé mentale au travail. Par la suite, nous nous sommes intéressé aux théories de la justice organisationnelle. Notre revue de la littérature nous a permis de faire le pont entre les écrits portant sur le stress au travail et ceux portant sur l’équité organisationnelle. La conceptualisation de la justice selon Moorman(1991)et le modèle de Cropanzano et Byrne(2001)nous ont semblé pertinents à l’étude des effets directs et indirects de la justice organisationnelle sur la santé mentale.

Afin de vérifier nos hypothèses de recherches théoriques, nous nous sommes basé sur les résultats d’une étude empirique intitulée «Diagnostic des difficultés perçues par le personnel d’un pénitencier» et dirigée par les chercheurs du Centre de Recherche Interdisciplinaire sur le Travail, l’Efficacité Organisationnelle et la Santé(CRITEOS). L’ensemble des employés du pénitencier a été invité à répondre au questionnaire, y compris les membres de la direction. Au moment de l’étude, à l’automne 2005, le pénitencier comptait 398 employés; 249 ont répondu à la fois à la première et à la deuxième phase du questionnaire.

Comme les taux de détresse psychologique du personnel de la fonction publique sont très élevés et qu’une grande partie des études portant sur la santé mentale des employés de la fonction publique s’intéressent au personnel du secteur de la santé et de l’éducation nationale, nous avons jugé le milieu carcéral comme un terrain de recherche innovateur et approprié.

Notre démarche de recherche était quantitative. Le questionnaire se basait sur des échelles de mesures publiées dans des revues scientifiques. Nous avons retenu les sections du questionnaire relatives aux variables de notre modèle de recherche soit la justice distributive; procédurale et interactionnelle; le soutien psychologique des coéquipiers; la détresse psychologique et le bien-être psychologique. Les données recueillies ont fait l’objet de différentes analyses statistiques. L’objectif principal était de tester la validité de notre modèle théorique(voir figure ci-dessus).

Figure 1 – Modèle de recherche

Source : Salek(2006)

Les résultats de notre étude nous ont permis de répondre à notre question de recherche principale. En effet, dans notre échantillon, il existerait une relation directe entre la justice organisationnelle(distributive et interactionnelle)et la détresse psychologique d’une part, et une relation directe entre la justice distributive et le bien-être psychologique d’autre part. Toutefois, nos résultats confirment également l’existence d’une relation indirecte entre la justice organisationnelle et la santé mentale. Ainsi, nos résultats suggèrent que le soutien psychologique des coéquipiers joue un rôle de médiateur partiel dans la relation entre la justice organisationnelle et la santé mentale.

Si la justice distributive et interactionnelle sont significativement reliées à la détresse psychologique ou au bien-être psychologique, la justice procédurale ne semble pas avoir d’effet sur la santé mentale des employés du pénitencier. Nos résultats vont ainsi à l’encontre des dernières études menées par les chercheurs dans ce domaine. En effet, nos résultats soulignent la prédominance de la justice interactionnelle sur la justice procédurale dans l’explication de la détresse psychologique des employés du pénitencier étudié.

Ces résultats sont en lien avec ceux de l’étude de Moliner(2005)portant sur la relation entre la justice organisationnelle et l’épuisement professionnel. Être traité avec respect et dignité par son supérieur hiérarchique signale implicitement la valeur et le statut de l’individu au sein de l’équipe de travail et favorise le développement de l’estime de soi. Les employés qui se sentent soutenus par leurs supérieurs auront moins tendance à ressentir de la détresse psychologique.

Les résultats de cette recherche contribuent à la théorie et à la pratique du management. D’une part, les résultats de cette étude apportent des précisions importantes sur la nature de la relation entre les dimensions de la justice organisationnelle et celles de la santé mentale. Ils indiquent l’importance de considérer des variables médiatrices dans l’étude des effets de la justice organisationnelle. D’autre part, les résultats du présent mémoire apportent des nuances importantes en ce qui concerne la gestion en contexte de gel des salaires.

Dans un tel contexte, les gestionnaires devront adapter le système d’allocations des ressources en favorisant l’octroi de ressources organisationnelles non matérielles, telles que du pouvoir d’action, des responsabilités ou toute autre forme de récompenses compensatoires. Au-delà, de la distribution des ressources, la justice interactionnelle(superviseur)et le soutien psychologique des coéquipiers devront également être considérés. Ces éléments pourront s’avérer des leviers importants pour pallier l’injustice distributive ressentie dans un tel contexte et améliorer la santé et le bien-être des employés de la fonction publique.