Pendant qu’ils surveillent la santé mentale des employés, les gestionnaires ont tendance à oublier la leur, même s’ils subissent un stress souvent plus élevé. Comment remédier à la situation?

Les études sur le stress au travail se sont essentiellement intéressées aux employés, comme si les gestionnaires étaient immunisés contre la pression. Un récent sondage a pourtant révélé que ces derniers sont plus à risque de souffrir de dépression que les membres de leurs équipes.

En effet, les données publiées par le ­Centre pour la santé mentale en milieu de travail de la ­Great-West indiquent que 44 % des gestionnaires ont déclaré avoir souffert de dépression, comparativement à 37 % des employés. Le même sondage révèle également que les gestionnaires ne se sentent pas assez soutenus. Les mesures à mettre en place pour réduire leur stress sont encore peu connues et peu utilisées, mais le sujet préoccupe de plus en plus les milieux.

Un cadre sur cinq souffre de détresse

Le stress est une réaction normale de l’organisme qui n’est pas toujours néfaste. « ­Il devient problématique lorsque les exigences d’une situation dépassent les capacités de l’individu », explique ­Salima ­Hamouche, chercheuse à l’Université de ­Montréal. Les résultats préliminaires de l’enquête qu’elle a menée dans le cadre de son doctorat à l’École de relations industrielles révèlent que 19,5 % des cadres ont déclaré souffrir de détresse psychologique et 20,5 % ont admis avoir une consommation d’alcool qui pourrait entraîner une dépendance.

Parmi les gestionnaires plus à risque de vivre des problèmes de santé liés au stress, on retrouve les jeunes et les femmes.

« ­Ceux qui sont plus âgés font face à moins de stress que les jeunes cadres, confirme ­Salima ­Hamouche, car ils ont beaucoup d’expérience et ont fait face à plusieurs situations stressantes comparativement aux jeunes. Aussi, les jeunes cadres doivent souvent gérer une autre sphère de leur vie qui concerne la conciliation ­travail-vie personnelle puisqu’ils ont des enfants plus jeunes. Il faut également prendre en considération le genre, car les jeunes femmes cadres sont plus à risque de stress que les hommes cadres plus âgés. »

« Le gestionnaire est pris entre son supérieur, qui exige toujours plus et les employés, qui le sollicitent. »

– Jacques Grisé, Ordre des administrateurs agréés du Québec

Le « culte de l’urgence »

Les principaux facteurs de stress au travail identifiés chez les employés affectent aussi les gestionnaires. « ­Le premier facteur, c’est le manque de contrôle face à une situation », indique ­Jacques ­Grisé, président sortant de l’Ordre des administrateurs agréés du ­Québec et collaborateur spécial au ­Collège des administrateurs de sociétés (CAS) de l’Université ­Laval. « ­Aussi, tout ce qui est lié à la nouveauté, au changement, à la prise de risque génère du stress. Enfin, lorsqu’une personne se sent menacée psychologiquement ou physiquement, le stress augmente en conséquence. »

Par ailleurs, les gestionnaires sont exposés à des facteurs de stress spécifiques liés à leurs fonctions, comme la gestion des conflits en milieu de travail. Jacques ­Grisé rappelle aussi que les attentes envers les gestionnaires viennent à la fois des supérieurs et des employés. « ­Le gestionnaire est pris entre son supérieur, qui exige toujours plus et les employés, qui le sollicitent de plus en plus », ­dit-il.

Salima ­Hamouche a observé elle aussi une aggravation de la situation, qu’elle attribue à l’évolution de l’environnement organisationnel. « ­Les changements économiques et technologiques des dernières décennies ont entraîné le culte de l’urgence, qui s’accompagne d’exigences extrêmement élevées adressées aux gestionnaires et qui augmentent le niveau de stress, ­indique-t-elle. Avec les nouvelles technologies, on voit aussi que la frontière entre la vie professionnelle et la vie personnelle est de plus en plus floue. Le cadre doit être disponible en permanence, joignable en tout temps, même la fin de semaine et pendant les vacances. Certains ont deux téléphones à gérer, sans compter leur image et celle de l’organisation à protéger dans les médias sociaux. Cela augmente le niveau de stress et également le niveau d’information à gérer. »

« Si le cadre demande de l’aide à cause d’un stress ou d’un problème d’ordre psychologique, c’est comme s’il faisait aveu de sa faiblesse. »

– Salima Hamouche, Université de ­Montréal

Un problème ­sous-estimé

Si les études portant sur le stress des employés sont nombreuses, celles qui s’intéressent au stress des gestionnaires s’avèrent plus rares. « ­On lit très peu d’articles portant sur les conséquences du stress des gestionnaires comparativement aux ­non-cadres », confirme ­Salima ­Hamouche. Sans doute ­est-ce lié au fait que le stress est inhérent à l’emploi de cadre. « ­Les entreprises recherchent des personnes capables de faire face à un niveau élevé de stress. Cela fait partie des exigences de l’emploi », affirme ­la chercheuse. Dès lors, « on a tendance à penser que les gestionnaires sont des gens qui sont capables de gérer toutes les situations », explique ­

Diane ­Miller-Bourdon, consultante en santé organisationnelle à la ­Great-West. Pourtant, même le plus résilient des gestionnaires peut se retrouver en situation de déséquilibre. « C’est un peu utopique de penser que tous les gestionnaires ont en tout temps la capacité de gérer le stress ! » ­tranche-t-elle.

Certains soulèvent aussi la présence d’un déni au sujet du stress des gestionnaires. « C’est comme si on ne reconnaît pas cette problématique chez cette population, comme s’ils étaient immunisés contre tout problème d’ordre psychologique, explique ­Salima ­Hamouche. Cela donne une image idyllique du cadre et ne facilite pas l’expression des émotions ou la demande d’aide. Si le cadre demande de l’aide à cause d’un stress ressenti au travail ou d’un problème d’ordre psychologique, c’est comme s’il faisait aveu de sa faiblesse face aux autres. »

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