La dernière année a été contrastée pour les régimes de retraite. D’un côté, ils ont enregistré leurs pires rendements depuis la crise financière de 2008, mais de l’autre, ils ont bénéficié de la plus rapide hausse des taux d’intérêt en plusieurs décennies. La baisse de leur passif a plus que compensé les pertes de leur actif.

Bref, les caisses de retraite canadiennes ont débuté 2023 avec un ratio de solvabilité plus élevé qu’à la même période l’an dernier. Une amélioration de leur situation financière qui provient en bonne partie d’un « coup de chance » : un resserrement historique des politiques monétaires des banques centrales.

Les promoteurs de régime sont bien conscients que ce contexte favorable pour leur passif ne se représentera pas de sitôt. D’autre part, les mauvais rendements de 2022 ont ravivé les inquiétudes liées à la volatilité des marchés boursiers. Il n’est donc pas surprenant de constater l’engouement toujours bien senti pour les placements privés. Mais les caisses de retraite ­sont-elles vraiment toujours conscientes de tous les risques associés à ces actifs ? ­Peut-être pas, préviennent certains analystes, qui craignent que la lune de miel soit maintenant terminée.

Selon une récente étude de l’Equable ­Institute, un organisme à but non lucratif américain d’information sur les régimes de retraite, les actifs privés pourraient encaisser de lourdes pertes cette année. Car contrairement aux titres boursiers, dont la valeur est mise à jour quasiment en temps réel, il peut s’écouler plusieurs mois avant que la réelle évaluation des placements privés ne parvienne aux investisseurs. Résultat : des régimes de retraite ont pu investir dans des titres surévalués l’an dernier, s’inquiète l’organisme. Les chiffres de 2023 vont intégrer ces pertes.

Pour attirer de nouveaux investisseurs, les gestionnaires de placements privés auraient aussi tendance à parfois gonfler la valeur de leurs actifs. Et comme il n’existe pas de cadre de référence transparent pour évaluer la réelle valeur des titres sur les marchés privés, les caisses de retraite nagent souvent en plein brouillard. Certains investisseurs institutionnels racontent avoir déjà obtenu deux évaluations différentes pour la même entreprise.

La faible fréquence d’évaluation et le caractère parfois subjectif de la valeur des placements privés aurait aussi pour effet de masquer leur réelle volatilité, comparativement à celle des marchés boursiers, qui fait quotidiennement les manchettes. Après tout, ce qu’on ne sait pas ne fait pas mal. En tout cas pour le moment. Parce que d’autres analystes s’inquiètent d’une crise du ­capital-investissement aux ­États-Unis.

En 2021, une étude de J.P. Morgan concluait que les rendements des placements privés avaient légèrement surclassé ceux des marchés boursiers, mais ajoutait qu’il était loin d’être clair que ce rendement supplémentaire en valait le risque considérant l’illiquidité de ces placements, leur opacité et l’impossibilité d’en connaître la véritable valeur.

La société d’analyse ­Prequin s’inquiète elle aussi d’une baisse marquée du rendement dans les placements privés, et d’une augmentation de leur coût et de leur niveau de risque. Profitant de taux d’intérêt historiquement bas au cours de la dernière décennie, les sociétés de ­capital-investissement se sont endettées dans des proportions records pour réorganiser les entreprises qu’elles achètent. Les prochaines années ne seront pas aussi favorables.

Même le président de la ­Security and ­Exchange ­Commission, le régulateur américain des marchés financiers, s’est inquiété de la situation dans un discours l’an dernier. Gary ­Gensler craint notamment que les caisses de retraite « ne disposent pas de toutes les informations cohérentes et comparables dont elles ont besoin pour prendre des décisions d’investissement éclairées » dans l’univers des placements privés.

Une telle crise du ­capital-investissement ­pourrait-elle également se profiler au ­Canada ? ­Les grandes caisses de retraite canadiennes ont certes la réputation d’être beaucoup plus disciplinées et rigoureuses dans leurs décisions de placement que leurs homologues américaines. Cela dit, leur forte exposition aux placements privés peut tout de même soulever des questions. Ces actifs constituent environ 20 % du portefeuille global de la ­Caisse de dépôt et placement du ­Québec, 23 % de celui du ­Régime de retraite des enseignantes et des enseignants de l’Ontario et 32 % de celui d’Investissements ­RPC.

Mais dans la mesure où ces placements sont gérés avec diligence et ont pour objectif de diversifier les stratégies d’investissement plutôt que de seulement fuir la volatilité boursière, ils ont certainement leur place dans les portefeuilles institutionnels. D’autant que pour relever les défis auxquels nos sociétés sont confrontées, nous aurons besoin de ces entreprises à capital fermé actives dans des secteurs d’avenir comme l’énergie propre et les technologies médicales. Si les caisses de retraite n’investissent plus dans ces entreprises, qui pourra les remplacer ?


• Ce texte a été publié dans l’édition de mars 2023 du magazine Avantages.
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