Claude Lockhead et Bianka Allard. Photo : Martin Laprise.

Pour souligner son 30e anniversaire, Avantages a invité des vétérans de l’industrie de la retraite et des avantages sociaux à discuter des enjeux de leur profession avec des jeunes recrues de leur entreprise. Les premiers ont 30 ans de carrière, les seconds, 30ans… de vie. Malgré leur différence d’âge, partagent-ils la même vision de leur travail? Pierre-Luc Trudel les a sondés.

Ce mois-ci, Claude Lockhead, associé exécutif, retraite à Aon, s’est lancé dans une longue discussion avec Bianka Allard, conseillère adjointe principale, retraite. Au menu : déclin des régimes à prestations déterminées, constats d’échec, lueur d’espoir… et messages textes.

Claude a commencé sa carrière à l’âge d’or des régimes à prestations déterminées (PD). Bianka, elle, alors qu’ils étaient déjà sous respirateur artificiel. Aujourd’hui, ils doivent travailler de concert pour conseiller leurs clients dans un environnement qui se complexifie sans cesse.

Claude : Quand j’ai commencé dans l’industrie il y a plus de 30 ans, l’approche des employeurs en matière de régimes de retraite était beaucoup plus paternaliste. Au fil du temps, on a transféré les responsabilités aux employés avec les régimes à cotisation déterminée (CD) dans le secteur privé. Le travail de consultation s’est aussi complexifié. Du point de vue des placements, on investissait presque uniquement en obligations et en actions canadiennes. J’avais des clients qui détenaient 1 % d’actions étrangères, et c’était des actions américaines! Puis les lois ont changé pour permettre une plus grande répartition en titres étrangers et les taux d’intérêt ont baissé, ce qui a complètement transformé les stratégies d’investissement.

Bianka : Je pense que le plus grand défi en consultation aujourd’hui, c’est de sortir des sentiers battus. Avec la disparition des régimes PD, il va falloir trouver d’autres solutions. Les jeunes de mon âge sont conscients qu’il y a un problème avec la retraite, mais ne savent pas comment le résoudre. Les promoteurs ne savent pas toujours comment les aider non plus. Les régimes PD coûtent trop cher, et les régimes CD ne répondent pas aux besoins des participants. On va devoir trouver quelque chose qui va mieux fonctionner. Autant j’ai choisi l’actuariat pour son cadre très structuré, autant la profession requiert de plus en plus de créativité.

Claude : La complexité vient aussi du fait qu’il y a beaucoup plus de gouvernance et de surveillance qu’auparavant. Les gens ont la volonté d’être davantage structurés. Ils sont également moins patients. Ils s’attendent à ce qu’on leur réponde quasi instantanément aujourd’hui.

Bianka : Il faut dire que moi aussi quand je pose une question à un client, je m’attends à une réponse rapide. Peut-être que notre génération aurait intérêt à aiguiser un peu sa patience. Heureusement, on ne travaille plus avec les lettres! D’ailleurs, je vois une différence dans la façon de communiquer entre les générations. Les baby-boomers comme Claude viennent nous voir à notre bureau pour nous demander si on a deux minutes à leur accorder. Les Y, on va plutôt leur envoyer un courriel du genre « Quand tu auras deux minutes, tu me le diras ».

Claude : C’est vrai. Ils nous envoient des textos pour nous demander s’ils peuvent nous appeler. Ben oui, appelle-moi!

« Autant j’ai choisi l’actuariat pour son cadre très structuré, autant la profession requiert de plus en plus de créativité. »

Bianka Allard

Bianka semble une fière représentante de sa génération dans ses échanges de messages textes avec Claude, mais plus jeune, elle se considérait comme un mouton noir. Disons que sa personnalité la prédestinait à une carrière d’actuaire.

Bianka : J’ai toujours aimé planifier les choses, ça fait partie de ma personnalité. Je me rappelle que dans un cours à l’université, un prof avait demandé qui dans la salle avait une assurance vie. Je suis la seule qui a levé la main! Déjà, quand j’ai eu mes premiers emplois étudiants, je mettais de l’argent de côté pour l’achat d’une maison et la retraite. Mes amis, eux, planifiaient comment ils allaient dépenser leur prochaine paie!

Claude : S’il y a une chose qui ne semble pas avoir changé, c’est ça! J’aimais être dans un cadre structuré et je cherchais un domaine où je pourrais appliquer les mathématiques. Je me suis spécialisé en retraite parce que ça va plus loin que l’actuariat et les chiffres, il y a aussi des aspects financiers et légaux.

Bianka : Dans mes cours d’orientation au secondaire, deux choix de carrière ressortaient : bibliothécaire ou actuaire! Travailler en consultation, c’est le meilleur des deux mondes, parce qu’il y a un volet technique et un volet social. Je passe la moitié de ma semaine devant mon ordinateur à faire des calculs, puis l’autre moitié à discuter avec mes clients pour trouver des solutions.

Claude : On est confronté à un défi de société majeur en ce qui concerne la retraite. Je pense que c’est motivant pour des jeunes actuaires de penser qu’ils peuvent faire partie de la solution. Ce dont je suis le plus fier dans ma carrière, c’est d’avoir des clients qui continuent de me faire confiance après plus de 30 ans. C’est très gratifiant quand ils te disent que tant que tu seras là, ils ne changeront pas de consultant.

Bianka : Notre travail ne consiste plus seulement à faire des évaluations actuarielles. Je ne pense pas que je vais m’ennuyer à rester 30 ans dans le même domaine, parce que la profession évolue constamment.

« Ce dont je suis le plus fier, c’est d’avoir des clients qui continuent de me faire confiance. C’est très gratifiant quand ils te disent que tant que tu seras là, ils ne changeront pas de consultant. »

Claude Lockhead

Après plus de 30 ans à naviguer dans l’industrie de la retraite, Claude sait se montrer critique. Une qualité qu’il semble avoir transmise à Bianka.

Claude : Il y a assurément des mesures qui auraient dû être prises pour limiter le déclin des régimes PD. En tant qu’industrie, on a failli à la tâche. Disons qu’avec les normes comptables, l’intégration de la juste valeur des régimes de retraite aux états financiers des sociétés a incité plusieurs employeurs à sortir graduellement des régimes PD au milieu des années 90. La gestion des risques a aussi été déficiente dans les années 80 et 90. Déjà, quand j’étais un jeune actuaire de l’âge de Bianka, je le constatais. C’était les belles années des taux d’intérêt à plus de 10 %. Les clients pensaient que les régimes de retraite étaient construits de façon à générer automatiquement des surplus. À chaque évaluation actuarielle, on se demandait comment les dépenser. C’est comme ça que les régimes étaient gérés. Puis il y a eu la chute des taux et les crises boursières. Si on en est là aujourd’hui, c’est parce qu’on n’a pas prévu de coussin pour traverser la tempête.

Bianka : Le train était déjà pas mal engagé pour le déclin des régimes PD quand les nouveaux projets de loi sont arrivés ces dernières années. Les régimes étaient devenus insoutenables, c’est sûr qu’il fallait faire quelque chose. Mais est-ce que ça a été fait de la bonne manière? Probablement pas. À mon avis, tout a été trop vite, beaucoup de choses n’ont pas été pensées. Les nouvelles règles vont sans doute aider à préserver les régimes PD un peu plus longtemps, mais je ne suis vraiment pas certaine qu’elles vont permettre de les sauver à long terme.

Claude : Ma vision est un peu différente. Il faut faire une distinction entre le secteur privé et le secteur public. Dans le secteur privé, la loi 29 n’est pas arrivée trop vite, elle est au contraire arrivée trop tard. Si elle était entrée en vigueur 10 ans plus tôt, on aurait sauvé une partie des régimes PD.

Bianka : Mais les employeurs et les syndicats ont collaboré pour l’élaboration de la loi 29, contrairement à la loi 15 dans le secteur municipal…

Claude : Dans le secteur municipal, le gouvernement a effectivement été trop vite. L’environnement actuel qui découle de la loi 15 est beaucoup trop compliqué pour rien, ce qui fait en sorte que les régimes coûtent plus cher à administrer. Cela dit, je crois que les régimes PD vont résister dans le secteur public. Lorsque le financement est partagé à parts égales, le jour où des problèmes surviennent, tous les intervenants sont autour de la même table pour trouver des solutions.

Apprendre des erreurs du passé, c’est une chose. Trouver des solutions aux problématiques futures, ça en est une autre. Malgré l’environnement tumultueux qui s’annonce, nos deux actuaires se montrent assez confiants.

Claude : Il y a 30 ans, notre vision des régimes de retraite était binaire : PD ou CD. Maintenant, il faut explorer le spectre entre les deux. Les PD purs dans lesquels les employeurs assument tous les risques, ce n’est plus la solution. Les régimes CD, souvent peu généreux, qui donnent un faux sentiment de sécurité, non plus. Les participants ne peuvent pas assumer seul le risque de longévité, c’est pourquoi on doit aller vers des outils plus collectifs, les régimes à prestations cibles (PC) ou les régime de retraite par financement salarial, par exemple.

Bianka : Je pense que l’avenir réside dans les régimes PC. La réalité, c’est que les participants ne trouveront pas leur compte avec les régimes CD. Les régimes PC constituent un entre-deux qui sert à la fois le promoteur et le participant.

Claude : Le régime de l’avenir, c’est peut-être un mix entre les deux. Un régime CD durant l’accumulation, et un régime PC durant la retraite. Le retraité pourrait alors choisir son niveau de risque : une rente garantie, mais plus petite, ou alors une rente possiblement plus élevée, mais qui risque de varier davantage.

Bianka : À la base, les jeunes participants aiment les régimes CD. Comme ils ne restent pas longtemps chez un même employeur, ils peuvent se promener facilement avec leur actif. Mais quand ils arriveront à la retraite, c’est là qu’ils réaliseront que ce n’était peut-être pas la meilleure solution.

Claude : Pour que le système fonctionne, on va devoir viser des régimes de plus grande taille. En procédant à des regroupements par industrie, par exemple, comme c’est le cas dans certains pays, on serait plus efficace, on mettrait en commun des risques et on bénéficierait de meilleures occasions d’investissement. La question est de savoir qui va initier tous ces changements. À mon avis, si on ne les impose pas, ils ne se produiront jamais. Avec le vieillissement de la population et la croissance des coûts de soins de santé, le gouvernement n’aura peut-être pas le choix d’agir éventuellement. Ça m’inquiète de voir comment comme société on va réussir à assurer une retraite adéquate à tous si on ne prend pas un tournant important pour accélérer l’épargne-retraite.

Qu’est-ce qui fera la une d’Avantages dans 30 ans?

Bianka : Il n’y a aura plus de couverture, ça va être un flux de nouvelles ! On va ­peut-être pouvoir lire que les assurances longévité sont plus populaires que jamais, ou qu’une nouvelle coalition a été formée en grande pompe pour réclamer le retour des régimes PD, qui sait?

Claude : À mon avis, on va encore parler d’augmenter l’âge de la retraite, parce que ça prend du temps pour changer ces choses-là. Sinon, peut-être que la grosse nouvelle sera la hausse du taux de remplacement du revenu du RRQ à 60 %. Mais ce que j’aimerais vraiment lire, c’est que l’actif des régimes PC a dépassé celui des régimes CD et PD réunis.


• Ce texte a été publié dans l’édition de juin 2019 du magazine d’Avantages.
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