Julien Tousignant, Vital Proulx et Pierre-Luc Trudel. Photo : Martin Laprise.
Julien Tousignant, Vital Proulx et Pierre-Luc Trudel. Photo : Martin Laprise.

Pour souligner son 30e anniversaire, Avantages a invité des vétérans de l’industrie de la retraite et des avantages sociaux à discuter des enjeux de leur profession avec des jeunes recrues de leur entreprise. Les premiers ont 30 ans de carrière, les seconds, 30 ans… de vie. Malgré leur différence d’âge, partagent-ils la même vision de leur travail?

Pour clore notre série en beauté, Vital Proulx, co-chef des placements et président du conseil d’administration de Hexavest, a jasé marchés financiers et nombre d’heures travaillées avec le jeune économiste Julien Tousignant.

Les marchés financiers ne sont pas reconnus pour leur prévisibilité, Vital en sait quelque chose. Et tout porte à croire que Julien n’aura pas vraiment le temps de s’ennuyer lui non plus au cours de sa carrière.

Vital : Au cours des 30 dernières années, les actions mondiales ont enregistré un rendement annuel de 7,2 % par année, les actions canadiennes, de 7,8 %, et les obligations à échéance 30 ans achetées à l’époque, de 10,02 %. Autrement dit, j’aurais pu mettre mes deux pieds sur le pouf pendant 30 ans et j’aurais obtenu un meilleur rendement avec les obligations qu’avec les actions. Pourquoi alors les actions mondiales sont-elles devenues si populaires? Les actions japonaises ont offert un rendement extraordinaire dans les années 80, tout le monde voulait en acheter. Mais depuis 30 ans, leur rendement a été de 0,1 % annuellement. Est-ce que les actifs qui ont bien performé au cours des 10, 15 ou 20 dernières années vont offrir un rendement à la japonaise au cours des 30 prochaines? C’est loin d’être impossible.

Julien : Dans ma formation à l’université, on parlait de la question des taux d’intérêt proches de zéro, et de ce qui pourrait arriver si on s’aventurait en territoire négatif. Finalement, ça s’est réellement produit en Europe et au Japon. Pourtant, on ne pensait même pas que c’était quelque chose de possible il y a une dizaine d’années.

Vital : Avant, les banques centrales agissaient comme on l’apprend à l’école : si l’économie s’accélérait, les taux montaient, et si l’économie décélérait, les taux baissaient. Aujourd’hui, elles tentent de nouveaux outils qui n’ont jamais vraiment été testés auparavant. Le résultat, c’est que l’on consacre beaucoup plus de temps à analyser les orientations des banques centrales.

Julien : Une autre tendance incontournable est la place qu’a prise la gestion passive. Aujourd’hui, 40 % des actions mondiales sont gérées passivement. Il y a même plus d’indices boursiers que de titres boursiers sur la planète!

Vital : Trop de gestion passive a pour effet de créer de la distorsion dans les évaluations des actifs. Si tout le monde était investi dans un indice comme le S&P 500, tout baisserait ou monterait exactement au même moment. À un moment donné, la limite va être atteinte en matière de gestion passive, et à mon avis on en est très près.

Julien : Si on perd la capacité d’établir une valeur véritable pour une entreprise, on perd les signaux et tout l’équilibre des marchés.

Vital : Cela dit, même s’il y a eu de gros changements sur les marchés au cours des dernières décennies, je dirais qu’à la base, nos client recherchent la même chose : un rendement en fonction d’un indice de référence. Évidemment, la réparation d’actif des caisses de retraite a beaucoup évolué. C’est certain que pour nos clients, c’est beaucoup plus compliqué aujourd’hui avec les placements privés, la dette privée, les infrastructures, etc.

Julien : On ne peut pas non plus ignorer la tendance vers l’investissement responsable. À un moment donné, les critères ESG vont être pleinement intégrés aux processus d’investissement. On ne considérera plus cela comme une stratégie distincte, ça va faire partie intégrante de l’analyse fondamentale.

« Je ne pense pas que l’on reproduit vraiment les mêmes erreurs, mais on en commet des nouvelles. »

Vital Proulx

En 30 ans, Vital a vécu plusieurs crises financières. Julien, lui, attend toujours sa première…

Vital : Il y a toujours eu des périodes d’instabilité. En 1989, quand j’ai commencé ma carrière, il y a eu la chute du mur de Berlin. Deux ans plus tard, en 1991, il y a eu le putsch contre Gorbatchev, qui a sonné la fin de l’URSS. La particularité à l’heure actuelle, c’est que la situation politique est assez inusitée dans la plupart des grandes économies en même temps.

Julien : J’ai été formé pendant la crise financière de 2008. Ça a marqué le début de ma carrière. J’étais curieux de voir comment elle allait contribuer à modifier les comportements économiques et politiques des gens. Est-ce qu’on a vraiment appris de ces événements-là? Ou alors on répète les mêmes erreurs que dans le passé? Toi, Vital, tu as vu plusieurs crises arriver et se résorber, qu’est-ce que tu en penses?

Vital : Je ne pense pas que l’on reproduit vraiment les mêmes erreurs, mais on en commet des nouvelles. Selon moi, c’est en 1997, lors de la crise asiatique, que tout a commencé à changer dans l’industrie de l’investissement. À ce moment-là, la Fed a mis en place un plan de sauvetage pour Long Term Capital Management, un des premiers fonds de couverture à avoir utilisé énormément de levier. Les positions du fonds ont été réparties dans 14 institutions financières pour éviter un choc systémique. Le message qu’on a envoyé aux investisseurs à levier à ce moment-là, c’est : « Prenez le plus de risque que vous pouvez. Si vous réussissez, vous allez être plus riche que vous ne l’auriez jamais imaginé, et si vous vous trompez, on va vous sauver. »

Julien : Quand on regarde les films qui se déroulent dans l’industrie financière avant la crise de 2008, on est frappé par les excès et les comportements extravagants. La crise a peut-être permis de calmer un peu tout ça.

Vital : Sûrement à certains égards, mais les gens font peut-être seulement plus attention aux apparences pour ne pas faire la une des journaux! C’est certain qu’il y a eu un resserrement important de la réglementation depuis 2008, mais d’un autre côté, en écrasant les taux d’intérêt pendant aussi longtemps, on force les investisseurs à prendre plus de risques. Et depuis 10 ans, le risque a été extrêmement bien rémunéré. Ça va être intéressant de voir ce qui va se passer quand la situation va se retourner. À notre avis, les investisseurs ont beaucoup plus de risque dans leur portefeuille que ce qu’ils peuvent tolérer.

« L’avantage concurrentiel dans notre industrie vient de notre capacité à trouver des idées différentes. Et ces idées-là proviennent des humains. »

Julien Tousignant

Le télécopieur était l’outil de prédilection pour réaliser des transactions boursières lorsque Vital a fait ses premiers pas dans le monde de l’investissement. Disons que Julien devra composer avec des technologies légèrement plus complexes au cours de sa carrière

Vital : Notre capacité croissante à traiter un très grand nombre de données a révolutionné l’industrie. Avant, il y avait un ou deux informaticiens dans les firmes de gestion de placement. Aujourd’hui, il y a presque autant d’experts en informatique que de gestionnaires de portefeuilles.

Julien : C’est certain que les collègues du secteur des technologies vont davantage nous concurrencer! Le défi consistera à arrimer les aspects technologiques et financiers. Les machines ne réagissent pas nécessairement aux signaux de la même façon que les humains. Les mouvements de marché seront peut-être moins intuitifs.

Vital : Je dirais que les relations humaines sont moins présentes qu’auparavant dans l’industrie. Ça peut avoir des bons côtés, comme une plus grande rationalité dans les décisions prises par les clients. Mais ce n’est pas toujours rationnel d’être trop rationnel. Je pense que les firmes qui auront du succès dans l’avenir sont celles qui parviendront à trouver le bon équilibre entre les humains et les machines.

Julien : L’avantage concurrentiel dans notre industrie vient de notre capacité à trouver des idées différentes. Et ces idées-là proviennent des humains.

Vital : L’autre grand changement dans l’industrie, c’est le poids de la réglementation. Quand j’ai commencé, il n’y avait personne en conformité dans notre firme. Aujourd’hui, sur une cinquantaine d’employés, cinq personnes à temps plein travaillent en conformité. Ça crée un contexte plus difficile pour les gestionnaires indépendants. Les investissements requis pour démarrer une firme sont largement supérieurs aujourd’hui. D’un côté les coûts augmentent, et de l’autre, il y a une forte pression à la baisse sur les honoraires de gestion. Honnêtement, je ne suis même pas certain qu’on pourrait aujourd’hui démarrer une firme de gestion comme on l’a fait à l’époque. Il y a beaucoup de consolidation à l’heure actuelle. Les joueurs sont de plus en plus gros. Mais au bout du compte, ce qui permet de survivre dans le temps, c’est la capacité à s’adapter. Les dinosaures sont disparus, mais les souris sont encore là…

Les firmes de gestion de placement n’ont pas toujours eu la réputation d’offrir un environnement de travail sain à leurs employés. Heureusement, les choses changent…

Vital : Les jeunes sont beaucoup plus formés aujourd’hui. Quand j’ai commencé, un bac était amplement suffisant. Aujourd’hui, ils ont une maîtrise et le titre de CFA. La philosophie de travail a aussi énormément évolué. Je dirais que l’approche est plus rigoureuse. Auparavant, dans les lunchs de firmes de courtage, tout le monde buvait un verre de vin. Ce n’est plus le cas de nos jours. Les gens prennent leurs notes et reviennent rapidement au bureau. Les employés ne travaillent pas davantage d’heures par semaine, peut-être même un peu moins, mais ces heures sont mieux travaillées.

Julien : Avant d’arriver dans l’industrie, je dois avouer que j’avais des préjugés sur les conditions de travail dans les firmes d’investissement. Mes inquiétudes se sont dissipées rapidement, mais c’est sûr que c’est peut-être encore difficile dans certaines entreprises.

Vital : C’est très rare chez nous que les gens font plus de 80 heures par semaine! Non mais sérieusement, c’est une tendance dans l’industrie de porter davantage attention au bien-être des employés. C’est lié à l’environnement économique. C’est très difficile en ce moment pour les firmes de trouver des employés. On n’a pas le choix d’avoir des conditions en place pour attirer les bons candidats.

Julien : Les résultats demeurent prioritaires, mais ils ne doivent pas être obtenus au détriment du bien-être des employés. D’ailleurs, les deux éléments vont de pair : pour faire un bon travail, il faut être heureux.

Vital : On a une belle équipe ici. C’est motivant de venir travailler et de se battre pour elle. J’ai l’opportunité de pouvoir déployer avec des jeunes comme Julien le virage de la firme, autant en matière de diversification des sources de revenus que d’ESG ou de technologie de l’information. C’est l’fun et très énergisant!

Julien : Les jeunes, quand on rentre, on pousse un peu pour changer certaines mentalités ou certaines habitudes. Parfois ça fonctionne, parfois non!

Qu’est-ce qui fera la une d’Avantages dans 30 ans?

Julien : Je crois que dans 30 ans, on va parler de la fin des FNB et du retour en force de la gestion active. La gestion passive nous a bien servis à certains égards, mais on va se rendre compte qu’on peut faire beaucoup mieux avec une approche plus personnalisée qui tient compte à la fois de l’environnement économique et des besoins de chaque individu.

Vital : Après s’être nommé président à vie, Donald Trump sera finalement destitué à l’âge de 103 ans!


• Ce texte a été publié dans l’édition de décembre 2019 du magazine d’Avantages.
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