Rozanne Fraser et Marie-Josée Le Blanc. Photo : James Wagner.

Pour souligner son 30e anniversaire, Avantages a invité des vétérans de l’industrie de la retraite et des avantages sociaux à discuter des enjeux de leur profession avec des jeunes recrues de leur entreprise. Les premiers ont 30 ans de carrière, les seconds, 30 ans… de vie. Malgré leur différence d’âge, partagent-ils la même vision de leur travail?

Ce mois-ci, la santé, le mieux-être et les mauvais conseils de carrière sont à l’honneur alors que Marie-Josée Le Blanc, responsable de l’innovation en santé chez Mercer, converse avec sa jeune collègue Roxanne Fraser, conseillère adjointe.

Les employés en mauvaise santé font grimper les coûts d’assurance collective, non ? Le lien n’a pas toujours été si évident pour tout le monde. Parlez-en à Marie-Josée…

Marie-Josée : Au début de ma carrière, on ne parlait pas de santé. L’assurance collective, ça faisait partie des avantages sociaux, c’est tout. C’est la hausse des coûts qui a tout changé. Je me rappelle les primes mensuelles à l’époque, qui étaient de 10 ou 15 $ par employé. Aujourd’hui, on est plus autour de 100 ou 150 $ par employé. Comme c’est devenu un poste budgétaire important pour les entreprises, elles se sont mises à se questionner sur la façon de réduire les coûts. Les employeurs ont d’abord entrepris de magasiner un autre assureur. Mais sur 100 $ de primes, seulement 5 à 10 $ va en frais à l’assureur. On leur conseillait de se concentrer sur le 90 $ de réclamations plutôt que de simplement changer d’assureur et obtenir 1 % d’économie. Le message a été long à passer, on a dû le répéter constamment. Aujourd’hui, le marché canadien est en train de réaliser que la gestion des coûts de l’assurance collective passe par la gestion de la santé des employés.

Roxanne : Beaucoup de jeunes en santé n’utilisent pas du tout leur régime d’assurance collective. C’est pour ça que les entre-prises veulent offrir plus de flexibilité. On voit émerger le principe des régimes de retraite à cotisation déterminée (CD) appliqué à l’assurance collective. Pour que tout le monde se sente interpellé, on propose des activités de mieux-être, un accès à un gym, des comptes de mieux-être… Parce que la réalité, c’est que l’assurance médicaments, les jeunes ne voient pas ça comme un plus dans leur emploi, même s’ils vont sans doute en avoir besoin un jour.

Marie-Josée : Effectivement, pour mes enfants de 19 et 20 ans, les avantages sociaux, c’est de la prévention. Ils veulent que leur employeur leur fournisse les outils pour qu’ils demeurent en santé. Les employés plus âgés, eux, ont besoin de davantage d’outils pour gérer leurs maladies chroniques. Les régimes actuels ne répondent ni aux besoins des jeunes ni à ceux des plus vieux.

Roxanne : La portion assurance va toujours demeurer pour l’invalidité et les médicaments. Par contre, beaucoup d’éléments dans un régime peuvent être prévus au budget, comme les soins paramédicaux, dentaires et de la vue. L’idée, c’est de sortir tout ça de la composante assurance.

Marie-Josée : Je constate aussi une réticence des employeurs à intégrer certaines innovations. Par exemple, les nouvelles solutions pour les diabétiques. D’un côté, ils disent qu’ils n’ont pas le budget nécessaire pour l’ajouter à leur couverture, ce qui coûterait 3 $ mensuellement par employé, mais de l’autre, ils paient 10 $ pour de la massothérapie. Et la moitié de ce montant est probablement dépensé par le conjoint ou les enfants. Cette dépense-là ne génère aucun gain de productivité dans l’entreprise, et pourtant ils ne la remettent pas en question. Mais c’est certain que c’est difficile d’enlever un acquis aux employés.

« La vitesse à laquelle les changements s’opèrent dans les entreprises a énormément augmenté. »

Marie-Josée Le Blanc

S’il y a bien une chose que partagent les travailleurs de la génération de Marie-Josée et de celle de Roxanne, c’est probablement leur propension de plus en plus grande à souffrir d’un trouble de santé mentale.

Marie-Josée : Quand j’ai commencé dans l’industrie, la grosse nouveauté, c’était les programmes d’aide aux employés (PAE). Il fallait alors prouver le taux de rendement de ces programmes. Auparavant, l’invalidité touchait seulement les employés plus âgés. Aujourd’hui, avec les problèmes de santé mentale, l’invalidité touche aussi les jeunes, ce qui fait exploser les coûts.

Roxanne : Je ne sais pas si les troubles de santé mentale sont davantage une problématique maintenant, ou bien c’est juste qu’on s’en rendait moins compte avant. Je pense que les gens vont plus chercher d’aide aujourd’hui. C’est peut-être aussi un sujet moins tabou chez les jeunes qui rentrent sur le marché du travail.

Marie-Josée : En santé mentale, on met beaucoup l’accent sur les 10 ou 20 % de la population qui vont à un moment donné connaître un épisode d’absence au travail et d’invalidité. Mais 99,9 % des employés vivent des épisodes de stress et d’anxiété toutes les semaines. Ça prend juste une étincelle pour les perdre. Le problème, c’est qu’on ne peut pas vraiment éliminer le stress d’une entreprise. La seule chose qu’on peut faire, c’est équiper les employés pour qu’ils puissent gérer ce stress, leur offrir des outils sur la pleine conscience et la résilience. On doit aussi faciliter l’accès aux ressources, notamment les consultations virtuelles avec les psychologues.

Roxanne : Un autre facteur qui favorise les troubles de santé mentale à mon avis, c’est la pression sociale beaucoup plus forte qu’avant, notamment en raison des réseaux sociaux.

Marie-Josée : La vitesse à laquelle les changements s’opèrent dans les entreprises a énormément augmenté. Le rythme de travail était beaucoup plus lent quand j’ai commencé. On travaillait fort, mais il n’y avait pas les mêmes attentes d’instantanéité. À cause de ça, la marche pour passer de l’école au monde du travail est peut-être plus haute aujourd’hui qu’à l’époque, ce qui contribue aux problèmes de santé mentale. En plus, les jeunes générations ont peut-être été un peu protégés par leurs parents. Bref, je ne prévois pas que les pro-blèmes de santé mentale en entreprise vont aller en diminuant.

Roxanne : Ce que je remarque dans mon entourage, c’est que les gens en parlent plus. Mais reste qu’on va parler moins ouvertement de notre problème de santé mentale que de notre jambe fracturée.

Marie-Josée : Penses-tu que le sujet est autant tabou chez les hommes que chez les femmes?

Roxanne : C’est une bonne question. J’aurais tendance à dire que les femmes sont plus à l’aise d’en parler.

Marie-Josée : Oui, les femmes, on a plus tendance à aller chercher de l’aide. Pour un homme, ça doit être encore plus difficile d’avouer souffrir de problèmes de stress ou de santé mentale.

Si les vrais programmes de mieux-être en entreprise en sont encore à leurs balbutiements, la conciliation travail-famille, elle, a fait des pas de géant au cours des dernières décennies. Les expériences plutôt opposées de Marie-Josée et Roxanne en témoignent.

Marie-Josée : On voit passer des sondages qui indiquent que 70 ou même 80 % des entreprises ont des programmes de mieux-être. À mon avis, c’est complètement faux. Oui, beaucoup d’entreprises offrent certaines initiatives, comme un lunch éducatif sur le stress. Rendement : zéro. Il faut avoir une vision globale, une stratégie, des données pour qu’un programme de mieux-être soit efficace. Des initiatives ponctuelles et disparates, ce n’est pas efficace. Un autre problème de ces programmes-là, c’est que très souvent ils ne font que faciliter la vie des employés en santé qui feraient déjà des activités de mieux-être en dehors du travail. Les gens moins en santé qui coûtent cher, eux, ne participent pas. Les employeurs doivent mettre en place une stratégie pour lutter contre l’inertie. L’éducation, c’est bien, mais pas suffisant. Le défi en mieux-être, c’est de passer de « je sais » à « j’agis ».

Roxanne : Les programmes de mieux-être doivent être bien communiqués pour qu’ils aient l’impact espéré. Parfois, les gens ne sont même pas conscients de ce qui est offert par leur employeur. Si les besoins des employés sont bien identifiés et que la communication est efficace, les programmes de mieux-être sont très bénéfiques, à mon avis.

Marie-Josée : Un aspect incontournable du mieux-être en milieu de travail, c’est la conciliation travail-famille. Et heureusement, les choses ont beaucoup évolué de ce côté-là. Je me souviens que quand je partais à 17 h pour aller chercher mes enfants à la garderie, certains collègues masculins me souhaitaient une « bonne fin d’après-midi ». Ce n’était pas super. Aujourd’hui, c’est le genre de chose qui n’est même pas remise en question. Les gens ont toutes sortes d’horaires, travaillent de la maison ou partent à 15 h 30 pour prendre leur train.

Roxanne : Malgré tout, les employés se mettent de la pression eux-mêmes. Quand je suis revenue de mon congé de maternité l’année dernière, ce n’était pas évident pour moi de partir plus tôt du bureau. Même si personne ne me mettait de la pression pour que je quitte plus tard, je me demandais constamment si ça allait mal paraître.

« Ce qui m’allume, c’est la diversité des tâches à accomplir. Les journées passent tellement vite ! »

Roxanne Fraser

Peut-on dire d’une actuaire spécialisée en assurance collective qu’elle travaille dans le domaine de la santé?

Roxanne : Quand j’étais plus jeune et que les gens me demandaient ce que je voulais faire plus tard, je répondais toujours que j’allais être dans le domaine de la santé. Disons que ce n’est vraiment pas l’actuariat que j’avais en tête à ce moment-là, mais finalement je peux dire que j’ai quand même respecté mon plan! Ma décision s’est prise une semaine avant la date limite pour envoyer ses demandes d’admission à l’université. À ce moment-là, je ne savais pas vraiment c’était quoi l’actuariat.

Marie-Josée : Ça, c’est universel! Moi aussi quand je me suis dirigée en actuariat je savais à peine ce que c’était.

Roxanne : Au fil de mes trois années d’université, j’ai compris que l’assurance collective m’intéressait davantage. J’aime beaucoup les mathématiques, mais je n’aurais peut-être pas voulu faire des calculs dans mon bureau toute la journée. J’adore les aspects de consultation et de santé. Ce qui m’allume, c’est la diversité des tâches à accomplir. Les journées passent tellement vite!

Marie-Josée : J’ai passé toute ma carrière chez Mercer, mais j’ai commencé en retraite. Rapidement, j’ai eu un coup de cœur pour l’assurance collective. Après deux ans, j’ai fait la migration. Le fait de travailler avec des gens de ressources humaines plutôt que de finance m’attirait, tout comme l’interaction avec les assureurs. Mes collègues de l’époque me conseillaient de rester du côté retraite. Il faut savoir que c’était à la fin des années 80, la grosse période des régimes à prestations déterminées. Ils pensaient que j’allais ruiner ma carrière en allant en assurance collective, que je n’aurais aucun défi intellectuel! J’ai fait fi de tous ces beaux conseils-là! Depuis, je suis toujours restée en assurance collective.

Roxanne : Tu n’as pas l’air de regretter ton choix!

Marie-Josée : Pas du tout! Aujourd’hui, je pense que j’ai plus de fun qu’eux!

Qu’est-ce qui fera la une d’Avantages dans 30 ans?

Roxanne : Disons que ça serait très étonnant que ça n’ait pas un lien avec les technologies robotiques.

Marie-Josée : Ça concernera peut-être le premier robot à être assuré dans un régime d’assurance collective ! Mais à ce moment-là, je ne lirai probablement plus Avantages. Désolée de le dire!


• Ce texte a été publié dans l’édition de septembre 2019 du magazine d’Avantages.
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