Des lecteurs de surveillance de la glycémie permettent depuis quelques années aux personnes diabétiques de contrôler plus facilement leur état, des outils décisifs dans le traitement de cette maladie chronique. Ces dispositifs ont cependant alourdi la facture des promoteurs de régimes d’assurance médicaments, qui pourraient être tentés de resserrer les dépenses à l’avenir. À tort ou à raison ?

Plus de 880 000 ­Québécois vivent avec le diabète, soit près de 10 % de la population, selon des chiffres de l’Institut national de santé publique du ­Québec. Le diabète est la deuxième maladie chronique la plus coûteuse, car elle représente 9 % des dépenses totales en médicaments, tout juste derrière les maladies inflammatoires (12,9 %), indique le ­Rapport sur les tendances en matière de médicaments d’ordonnance d’Express ­Scripts ­Canada, publié en 2020.

Si le diabète est coûteux en raison des remboursements médicaux qu’il entraîne, il a un coût supplémentaire pour les organisations. Cette maladie cause en effet des pertes de productivité en provoquant de l’absentéisme et du présentéisme, souligne la ­Dre Sylvie ­Bertrand, endocrinologue à la ­Clinique ­Angus de Montréal.

Les variations de la glycémie peuvent être importantes tout au long de la journée. Or, 70 % des patients diabétiques de type 1 – pour qui le seul traitement possible est l’injection d’insuline – n’atteignent pas leurs cibles glycémiques recommandées, ce qui les expose à un risque accru de complications chroniques, selon une étude publiée en 20151.

Le promoteur de régime, ­au-delà de son souhait de donner accès aux soins de santé, peut avoir un de ses travailleurs en hypoglycémie au moment de conduire un véhicule, de manœuvrer une machine, d’intervenir en réunion. Dans ces situations, un contrôle insuffisant de l’équilibre glycémique peut engendrer non seulement une perte de productivité, mais un risque accru d’accident au travail, sans parler du risque vital.

Le stress engendré par la difficulté de maintenir un équilibre précaire de glycémie est ­lui-même source d’autres problèmes médicaux. Ainsi, 30 % des personnes diabétiques présentent des symptômes dépressifs importants et près de 10 % souffrent de dépression majeure, soit le double de la population n’ayant pas de problèmes de santé chroniques, selon Diabète ­Québec.

Des bandelettes au numérique

Seule une surveillance adaptée peut permettre aux diabétiques de vivre et travailler sereinement. « On peut mener une vie normale en étant diabétique, comme l’ex-joueur des Canadiens de Montréal Max Domi, qui est diabétique de type 1 », illustre le Dr Rémi Rabasa-Lhoret, endocrinologue, chercheur à l’Institut de recherches cliniques de Montréal, et professeur titulaire à la Faculté de médecine de l’Université de Montréal.

Il existe différents moyens d’effectuer cette surveillance. L’outil traditionnel est la bandelette réactive. Ces bandelettes sont remboursées par la RAMQ, avec un nombre maximal en fonction de l’état de santé du patient. Pour ce moyen de surveillance de la glycémie, les assureurs proposent un remboursement généralement proche de celui du régime public.

Mais de nouvelles technologies sont apparues ces dernières années : les lecteurs flash et les lecteurs en continu. Le fonctionnement est similaire : un capteur, intégrant une aiguille, demeure sur la peau pour lire la glycémie de façon régulière. Le patient passe un lecteur au-dessus de cette pastille pour lire les relevés de glycémie plusieurs fois par jour : c’est la technologie flash. Avec un lecteur en continu, les données sont récupérées en permanence. Lorsque le patient porte une pompe à insuline, certains capteurs peuvent même transmettre directement à la pompe l’ordre de libérer plus ou moins d’insuline.

Chaque procédé a des avantages et inconvénients bien distincts. La bandelette réactive est peu chère, mais le procédé est douloureux, et le patient peut vivre un stress d’oublier de surveiller son taux de glycémie. « Cela fait mal, alors certains ne le font pas aussi souvent qu’ils le devraient », souligne la Dre Sylvie Bertrand.

Les deux nouvelles technologies permettent d’envoyer les données à distance au médecin traitant, qui peut alors recommander une adaptation du mode de vie ou du traitement, sans attendre le prochain rendez-vous médical en présence.

«De manière générale, nous observons une augmentation des montants réclamés pour tous les types de systèmes de surveillance de la glycémie. Nous avons notamment constaté une utilisation et un engouement accrus pour de nouvelles technologies qui sont moins invasives
pour le suivi de la glycémie. »

– ­Marie-Chantal Côté, Sun Life

Le lecteur flash, commercialisé par la firme ­Abbott sous le nom de ­FreeStyle ­Libre et remboursé par la ­RAMQ depuis juillet 2019, ne permet pas d’émettre des alertes quand le patient se dirige vers une hypoglycémie. Mais la prochaine version de ce lecteur enverra de telles alertes en temps réel, indique ­Abbott. Cependant, il demeurera un lecteur flash, sans lecture en continu. On ne sait pas encore si la ­RAMQ le remboursera. Le lecteur coûte 50 $, mais le coût plus élevé de cette technologie est imputable aux capteurs, qui doivent être changés tous les 14 jours, pour une facture mensuelle de 200 $.

Quelques lecteurs en continu sont également offerts sur le marché, dont le ­Dexcom ­G6 et le ­Guardian ­Connect. Les lecteurs en continu envoient des alertes au patient quand la courbe de sa glycémie laisse présager une hypoglycémie prochaine. « ­Les alarmes sont utiles parce que des gens ne sentent pas leur hypoglycémie à moins que leur taux soit très, très bas, et à ce moment ils sont en danger de convulsion, voire de mort subite », précise la ­Dre ­Sylvie ­Bertrand.

Pour les lecteurs en continu aussi, ce sont les capteurs, qu’il faut changer régulièrement, qui font grimper leur coût mensuel, situé entre 300 et 325 $. La ­RAMQ a annoncée en mai dernier qu’elle remboursait désormais le ­Dexcom ­G6 pour les diabétiques de type 1, sous certaines conditions. Tout comme le ­Abbott ­FreeStyle ­Libre, le ­Dexcom ­G6 est considéré comme un médicament d’exception aux fins de couverture par le régime public.

Quand un patient dispose d’un lecteur flash ou en continu, les bandelettes peuvent encore être utiles pour vérifier un taux de glucose qui serait incohérent. Mais généralement, ces dispositifs technologiques permettent une économie de bandelettes de l’ordre de 120 à 180 $ par mois.

En résumé, « pour les patients légers et moyens, les bandelettes suffisent. Pour les patients avancés dans la maladie, le lecteur flash et le lecteur en continu peuvent être utiles, surtout quand ils prennent de l’insuline de façon intensive, parce que le risque d’hypoglycémie est beaucoup plus important », explique ­Christine ­Than, conseillère principale en solutions médicament chez ­Aon.

Dépenses en hausse constante

Depuis 2017, les coûts reliés au diabète connaissent une hausse de 10 % par an, selon les données de réclamation des régimes d’assurance collective de ­Normandin ­Beaudry. Ils représentaient 6 % des dépenses totales en médicaments en 2017, et 8 % en 2020. « ­Les deux tiers de cette hausse viennent de la croissance des coûts de traitement, sur lesquels la technologie a une incidence, commente ­Frédéric ­Venne, associé, assurance collective chez ­Normandin ­Beaudry. L’autre tiers vient de la hausse du nombre de patients traités. Ce n’est pas le seul problème de santé où on voit une hausse des coûts, mais cela attire l’attention. »

Le constat est équivalent à ­Sun ­Life. « ­De manière générale, nous observons une augmentation des montants réclamés pour tous les types de systèmes de surveillance de la glycémie. Nous avons notamment constaté une utilisation et un engouement accrus pour de nouvelles technologies qui sont moins invasives pour le suivi de la glycémie, comme le sont par exemple les capteurs flash comparativement aux bandelettes de test. Ainsi, les montants réclamés pour les capteurs flash entre 2019 et 2020 se sont accrus de 40 % », précise ­Marie-Chantal ­Côté, ­vice-présidente, développement de marché, garanties collectives à ­Sun ­Life.

« Pour les patients légers et moyens, les bandelettes suffisent. Pour les patients avancés dans la maladie, le lecteur flash et le lecteur en continu peuvent être utiles, surtout quand ils prennent de l’insuline de façon intensive, parce que le risque d’hypoglycémie est beaucoup plus important. »

– ­Christine Than, Aon

Cette hausse doit cependant être analysée avec un certain recul, croit la ­Dre ­Sylvie ­Bertrand, qui précise que le coût du lecteur flash correspond à celui de six bandelettes par jour. « ­On a l’impression de voir croître les coûts. Mais si les gens surveillaient leur diabète comme ils le devraient avec les bandelettes, la différence de prix entre les lecteurs flash et les bandelettes serait beaucoup moins marquée, affirme l’endocrinologue. Or, les patients devraient se tester avant chaque repas et à chaque fois qu’ils prennent le volant et qu’ils font une activité physique. Cependant, il est très rare que les patients se testent autant. S’ils ont juste à lire le lecteur de glycémie, la surveillance est plus fréquente, et cela permet de réagir sur des tendances plutôt que sur une seule lecture de la glycémie. »

Les assureurs qui ont accepté de répondre à ­Avantages proposent une couverture élargie, incluant le remboursement du lecteur flash ­Freestyle ­Libre et de lecteurs de glycémie en continu. « ­La ­RAMQ a deux critères : la personne doit être insulinodépendante ou requérir un minimum de trois injections par jour, et elle doit avoir eu des événements fréquents en hypoglycémie au cours de la dernière année. C’est le régime public le plus sévère au ­Canada en termes d’accès au remboursement des technologies », détaille ­Frédéric ­Venne.

Avant d’accorder le remboursement, « pour chaque catégorie de patients, les assureurs regardent la fréquence et la variabilité des hypoglycémies », observe ­Christine ­Than. Des comités voués aux évaluations, composés d’actuaires, de médecins consultants et d’équipes d’évaluation, analysent les bénéfices et les coûts des médicaments et des équipements. Ces comités passent en revue les études scientifiques des fabricants de lecteurs quand ­ceux-ci sont homologués par ­Santé ­Canada. Ils utilisent aussi les lignes directrices émises par les gouvernements provinciaux.

«On a l’impression de voir croître les coûts. Mais si les gens surveillaient leur diabète comme ils le devraient avec les bandelettes, la différence de prix entre les lecteurs flash et les bandelettes serait beaucoup moins marquée. »

– ­Dre ­Sylvie ­Bertrand, ­Clinique médicale ­Angus

« ­Sun ­Life accepte le remboursement des lecteurs flash pour tous les patients, et les lecteurs en continu pour les diabétiques de type 1, sous réserve des choix des promoteurs, avec des montants maximums variables selon les régimes. Les promoteurs de régime peuvent choisir d’ajouter ou de retirer certains appareils de la couverture de base », explique ­Marie-Chantal ­Côté.

Du côté de iA ­Groupe financier, la hausse des coûts a conduit à revoir la politique de remboursement. « ­On avait commencé à rembourser sans mesure de contrôle, jusqu’à ce que les nouvelles technologies apparaissent. On a alors établi des critères plus restrictifs. Puis de nouvelles données ont été publiées. Désormais, la seule exigence est une recommandation médicale », indique ­Frédéric ­Leblanc, pharmacien et conseiller stratégique, gestion des médicaments chez iA.

Croix ­Bleue ­Medavie a été définitivement convaincue en voyant que les lecteurs remplaçaient une bonne partie des dépenses de bandelettes. L’assureur rembourse la technologie flash et les lecteurs en continu, sans distinction, pourvu que le patient prenne de l’insuline ou des médicaments contre le diabète. « ­Nous recommandons de fixer un maximum annuel, qui correspond à un usage normal, pour prévenir la fraude ou le partage de fournitures », précise ­Marie-Hélène ­Dugal, gestionnaire du portefeuille de produits, gestion stratégique des médicaments à ­Croix ­Bleue ­Medavie.

Contrecarrer la hausse ?

Avec des coûts qui augmentent et des patients de plus en plus tournés vers les nouvelles technologies de lecteurs, les promoteurs de régime et les assureurs devront cependant faire en sorte de maîtriser des dépenses croissantes. « ­Nous continuons d’explorer les stratégies pour aider les employeurs québécois et canadiens à gérer les coûts de leur régime et à en assurer la viabilité. L’objectif est de stabiliser la courbe des coûts des garanties », souligne ­Marie-Chantal ­Côté.

« ­Il est normal de voir cette croissance des coûts, car nous avons connu une percée technologique comme il n’y en avait jamais eu auparavant. Ce n’est pas inquiétant. Nous sommes conscients de la forte progression de l’utilisation et de l’incidence sur les coûts. Nous suivons cette évolution, et nous prendrons des mesures si cela est nécessaire. Mais nous n’en sommes pas encore là », affirme ­Frédéric ­Leblanc.

Tout dépendra de la volonté des entreprises. « ­Les assureurs font ce que les promoteurs de régime leur demandent. Si ces derniers mettent la pression pour contrôler les coûts, les assureurs réagissent, constate ­Frédéric ­Venne. Quand on observe une hausse marquée des coûts, on commence par regarder l’accès des bonnes personnes aux technologies. Certains assureurs vont s’ajuster », ­pronostique-t-il.

Des bénéfices parfois invisibles, mais réels

Si des réévaluations étaient réalisées à l’avenir, elles devraient toutefois tenir compte de certaines possibilités encore méconnues et trop peu exploitées des lecteurs flash et en continu.

« ­Il y a une immense marge de progression pour le gouvernement et les employeurs », affirme le ­Dr ­Rémi ­Rabasa-Lhoret, qui dirige le projet ­Better, visant à améliorer la qualité de vie des diabétiques de type 1. « ­Les assureurs déploient beaucoup plus d’énergie à refuser de rembourser, même pour des patients qui ont des indications très claires, plutôt qu’à faire des actions d’éducation. » ­Pour le professeur titulaire à la ­Faculté de médecine de l’Université de ­Montréal, les lecteurs flash ou en continu sont indispensables aux diabétiques de type 1, ainsi qu’après quelques années pour les diabétiques de type 2, quand la maladie est arrivée à un stade avancé.

Les lecteurs de glycémie de nouvelle génération apportent des bénéfices éducationnels qui vont ­au-delà des conclusions qu’on pourrait établir en les comparant rapidement avec les bandelettes réactives. En lisant sa glycémie deux fois par jour, un patient peut très bien ne pas constater d’hypoglycémie parce que ­celle-ci s’est produite entre les deux lectures. Avec les lecteurs en continu, les variations de la glycémie sont enregistrées en permanence. Avec les lecteurs flash, il est beaucoup plus facile de relever sa glycémie fréquemment. Le patient peut alors mieux comprendre son diabète et le contrôler.

« ­On ne va pas assez loin dans la formation des patients et des professionnels de la santé, regrette le ­Dr ­Rémi ­Rabasa-Lhoret. Trop de patients ne savent pas que les lecteurs permettent de voir une analyse moyenne et de dégager des tendances : cela leur donnerait l’occasion d’adapter leur mode de vie, d’être capable d’anticiper le problème au lieu de seulement réagir. »

Même les médecins n’ont pas toujours les connaissances nécessaires pour tirer tout le bénéfice des lecteurs de glycémie. « ­Il y a un écart entre des professionnels de la santé qui sont de pointe et d’autres qui n’ont pas embarqué dans le train, affirme le ­Dr ­Rabasa-Lhoret. Il peut être complexe d’examiner de 100 à 300 glycémies par jour : il faut savoir analyser toutes ces données. »

Et il donne un exemple célèbre, qui bénéficie à plein des lecteurs numériques. « ­Je peux suivre à distance mes patients n’importe où. Un d’entre eux, ­Brian ­Mulroney, peut m’appeler quand quelque chose ne va pas : en quelques minutes, je jette un œil sur ses données et je peux lui donner une réponse précise, même quand il est en ­Floride », illustre l’endocrinologue.

L’ancien premier ministre n’est pas une exception. « ­Avec la pandémie, j’ai fait 25 % de consultations de plus que d’habitude. La technologie rend le suivi à distance incroyablement efficace », se réjouit le ­Dr ­Rabasa-Lhoret, en soulignant la qualité de vie apportée aux patients dont le quotidien peut alors ressembler à celui d’un ­non-diabétique. À condition de maîtriser l’entièreté de la technologie mise à sa disposition.


• Ce texte a été publié dans l’édition de juin 2021 du magazine Avantages.
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