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Depuis quelques années, les promoteurs de régimes à prestations déterminées font face à une crise qui fragilise leur situation financière. À cause des taux d’intérêt historiquement très bas et des rendements boursiers décevants, plusieurs promoteurs se tournent vers les régimes CD. Mais existerait-il une solution entre ces deux extrêmes?

Le 2 décembre dernier, l’Association canadienne des administrateurs de régimes de retraite (ACARR) présentait un colloque sur les régimes à prestation cible, une solution de plus en plus abordée qui favorise le transfert des risques de retraite aux employés et retraités tout en profitant des avantages des régimes à prestations déterminées.

D’entrée de jeu, Julien Ranger-Musiol, avocat chez Osler, Hoskin & Harcourt, a élaboré sur les caractéristiques fondamentales du régime à prestation cible. « Ce type de régime permet des prestations calculées selon une formule préétablie, les cotisations de l’employeur demeurant fixes. Des ajustements des prestations sont possibles en fonction de la capitalisation du régime », a-t-il ajouté.

Me Ranger-Musiol a mentionné qu’ailleurs au pays, ce type de régime est permis sous forme de régime interentreprises, ce qui n’est pas le cas au Québec pour le moment. « Au Québec, le régime de retraite par financement salarial s’apparente au régime à prestation cible dans une certaine mesure et un régime à prestation cible pour employeur unique pourrait aussi voir le jour prochainement. »

Me Ranger-Musiol a également discuté des restrictions législatives actuellement en vigueur au Québec qui empêchent la mise en place de régimes à prestation cible. Parmi celles-ci, on remarque l’interdiction de réduire les prestations en cours de paiement, l’interdiction d’effectuer des modifications réductrices qui auraient un effet rétroactif sans le consentement des participants et de la Régie des rentes ainsi que l’interdiction de rendre des prestations déterminées conditionnelles à la situation financière du régime.

« Des pourparlers sont présentement en cours avec la Régie pour créer des exceptions à ces restrictions législatives et faciliter l’implantation des régimes à prestation cible », a-t-il conclu.

Produits forestiers Résolu prend l’initiative
Benoit Brière, directeur principal, Retraite et assurance collective – Canada, pour les Produits forestiers Résolu, anciennement connus sous AbitibiBowater, a ensuite parlé de la restructuration de la société.

« Nous avons fermé des actifs moins rentables, réduit de façon importante nos frais généraux et grandement amélioré notre situation concurrentielle », a-t-il déclaré. « De plus, nous avons pris un engagement ferme de maintenir le service passé de nos régimes de retraite, malgré le déficit de solvabilité de 1,3 milliards de dollars, ce qui représentait un taux de solvabilité de 77,5 %. »

M. Brière a rappelé qu’en mars 2010, AbitibiBowater avait signé des mémoires d’entente avec le Syndicat canadien des communications, de l’énergie et du papier (SCEP) ainsi que la Confédération des syndicats nationaux (CSN) afin de d’établir deux nouveaux régimes de retraite à prestation cible administrés par un conseil de fiduciaires. Ces régimes étaient destinés pour tous les participants, actuels et futurs.

« Avec ces deux nouveaux régimes, nous maintenons une forme de régime PD adéquat pour les tous les participants. Et du même coup, cela stabilise notre cotisation », a-t-il souligné.

Le design du régime sera revu lorsque la réglementation sera connue, mais elle prévoit déjà une marge de sécurité dans le niveau de cotisation. De plus, d’autres aménagements quant à la gestion des surplus, la gouvernance et l’administration ainsi que l’équité selon les générations ont été prévus dans le design du régime.

« Des changements législatifs seront nécessaires au Québec pour permettre ce type de régime puisque le régime sera enregistré au Québec, bien que certains employés travaillent en Ontario », a expliqué M. Brière.

M. Brière est d’avis que les régimes à prestation cible font partie de la solution puisque pour les employeurs le risque d’un tel régime ressemble à celui des régimes CD. « La plupart des employeurs du secteur privé ne peuvent plus supporter les risques des régimes PD traditionnels. Avec un régime à prestation cible, les employés pourront néanmoins planifier leur retraite d’une meilleure façon qu’avec un régime CD », a-t-il enchaîné.

Des défis et enjeux importants
Pour Michel St-Germain, actuaire chez Mercer, il existe une série de règlements concernant la capitalisation, les prestations minimales, la gouvernance, l’information, les placements et les transactions, qui rendent les régimes de retraite PD plutôt complexes.

« Les régimes à prestation cible sont passablement plus simples et représentent un bon compromis entre les régimes PD et CD », a dit M. St-Germain. « La contribution de l’employeur demeure fixe et sans aucun risque additionnel puisque ce sont les participants qui supportent le risque. Les prestations peuvent être ajustées à la hausse ou à la baisse selon l’expérience du régime. Les contributions et prestations-cible peuvent être établies par une convention collective et les prestations acquises pour le service passé (i.e. en vertu d’un ancien régime PD) ne sont pas touchées. »

Toutefois, M. St-Germain insiste : une réglementation spéciale est nécessaire pour confirmer que l’employeur ne paie pas le solde du coût et n’est pas responsable du déficit. Contrairement à un régime PD traditionnel, les prestations acquises d’un régime à prestation-cible peuvent être réduites si la situation financière du régime se détériore et impose un ajustement.

Selon M. St-Germain, la réglementation des régimes à prestation cible pose néanmoins plusieurs défis. « La cohérence avec d’autres types de régimes similaires tels que les régimes multi-employeurs ou les régimes à financement salarial constitue un défi important. L’harmonisation avec la réglementation des autres provinces et l’administration distincte des prestations pour le service avant le nouveau régime sont aussi des enjeux qu’il faudra aborder. »

M. St-Germain s’interroge toutefois sur plusieurs points concernant les régimes à prestation cible : la réglementation devrait-elle remplacer l’entente entre les parties? Quel est l’intérêt de l’employeur à participer à la saine gestion du régime? Comment concilier les intérêts des participants actifs avec ceux des retraités qui ne voudront aucun risque et comment protéger les membres de comités de retraite de poursuite lors de réduction des prestations? Ces quelques questions méritent certes réflexion.

La position de l’ACARR
Enfin, Serge Charbonneau, associé chez Morneau Shepell et membre du Conseil Régional du Québec de l’ACARR, a présenté les sept facteurs à considérer avant de lancer les régimes à prestation cible. Il a entre autres mentionné que le Comité de politiques nationales (CPN) de l’ACARR, qui élabore les positions de l’ACARR et qui prépare les mémoires lors de consultations publiques, est toujours à étudier le dossier.

Selon M. Charbonneau, le comité se penche actuellement sur sept facteurs importants :

1. Cotisations prédéterminées, sans risque
Le montant des cotisations doit être prédéterminé en fonction d’une formule fixe, comme un pourcentage du salaire par exemple. Cette formule ne peut varier à moins d’une nouvelle entente entre les parties.

2. Prestations estimées risquant d’être réduites
Le montant des prestations devrait être prédéterminé en fonction d’une formule fixe, comme un pourcentage du salaire par exemple, et elles peuvent inclure des prestations accessoires. Le montant pourrait varier à la hausse ou à la baisse, si la situation financière du régime l’impose.

3. Communication claire
Il importerait que toutes les parties soient informées et s’entendent sur les formules en place. L’administrateur devrait informer tous les participants actifs et retraités de façon régulière. Les règles applicables devraient être claires et harmonisées.

Par ailleurs, il faudrait mettre en évidence que les prestations cibles seraient estimatives et pourraient être réduites. Il faudrait aussi fournir l’information sur la situation financière actuelle du régime et résumer dans quelles circonstances des réductions pourraient survenir.

4. Saine gouvernance
La saine gouvernance serait de mise et elle devrait tenir compte s’il y a un employeur unique ou de multiples employeurs, si les employés sont syndiqués ou non, si les retraités sont représentés ou non et du rôle fiduciaire des administrateurs. Le fait de permettre ce type de régime pour un employeur unique ou pour des employés non syndiqués serait une nouveauté souhaitable.

5. Financement et gestion des risques
À chaque année, une évaluation actuarielle sur base de continuité devrait être effectuée, ainsi qu’une autre sur base de solvabilité pour fin d’information et de degré de transfert. Des données sur les marges et la gestion des risques devraient aussi être incluses notamment.

6. Clarification des règles comptables et fiscales
Il serait primordial d’éviter toute règle PD aux fins comptables car les fluctuations comptables constituent un problème majeur des régimes PD. Il en serait de même pour certaines règles PD aux fins fiscales.

7. Règles de transition
S’il était possible de convertir le service passé des régimes PD, cela pourrait aider grandement à l’essor des régimes à prestation cible. Il faudrait toutefois analyser les avantages et inconvénients d’une telle proposition. Enfin, il faudrait déterminer s’il est possible de combiner le volet cible avec un régime PD ou un régime CD.

Le potentiel des régimes à prestation cible est énorme, mais il dépend des règles législatives qui seront fixées. Les consultations à venir avec les autorités seront donc fort intéressantes pour l’avenir des régimes de retraite au pays.