Le taux de roulement aurait coûté 15 milliards de dollars aux compagnies canadiennes en 2013. Ce coût étant stable, il représenterait donc 150 milliards de dollars en l’espace de dix ans. C’est du moins le constat auquel est arrivée Lucie Morin, à l’aide de données de Statistique Canada et du Conference Board 1. C’est à ce moment que l’auteure du livre Fidéliser ses employés entre en jeu. D’abord professeure à l’Université de Montréal pendant deux ans, elle enseigne à l’École des sciences et de la gestion (ESG) de l’Université du Québec à Montréal depuis 2002. Mais sa carrière d’enseignante n’a pas débuté tout de suite après ses études. Son parcours universitaire, jusqu’au doctorat, a en effet été entrecoupé d’expériences professionnelles, notamment à IBM Canada et aux HEC. « Pour moi, un bon professeur, c’est quelqu’un qui a l’expérience du milieu », explique-t-elle. Le va-et-vient entre la vie scolaire et la vie professionnelle lui a donc permis d’accumuler un bon bagage. Elle se plaît à le transmettre à ses étudiants qui, à leur tour, semblent l’apprécier.

Une recherche rapide sur la fidélisation des employés permet de trouver une panoplie d’écrits qui traitent du sujet. Pourquoi un livre de plus ? Son œuvre se démarque, selon Mme Morin, parce qu’il traite de la base de la fidélisation. « J’ai écrit ce livre-là à la suite de demandes des gestionnaires à qui j’enseigne, souligne-t-elle. Ma philosophie d’enseignement est d’expliquer ce que l’on doit faire, mais aussi pourquoi on doit le faire. » Son livre proposerait donc aux gestionnaires des bases solides, ainsi que des actions concrètes à poser pour appliquer ces concepts de base. Prenons par exemple la reconnaissance, un facteur sans doute important de la fidélisation des employés. Les écrits scientifiques se concentreront sur la question « est-ce que la reconnaissance a un effet positif sur la fidélisation des employés ? », alors que ceux qui se veulent pratiques misent sur la question « comment appliquer la reconnaissance ? ». Mme Morin affirme que son livre pose plutôt comme question « est-ce que mes bases sont assez solides pour bien appliquer la reconnaissance ? »

Justice et équité

Ces bases sont expliquées selon trois perceptions clefs que possèdent tous les employés : la justice, le sentiment d’auto-efficacité et la compatibilité. Puisque les gestionnaires font affaire avec des êtres humains, ces perceptions se basent sur la psychologie humaine, « parce qu’on n’est pas des machines », précise Mme Morin. Le livre se veut alors une compréhension de l’humain, afin de concilier l’optimisation des pratiques, des attitudes et des comportements, ajoute-t-elle.

« Si le sentiment de justice n’est pas présent chez les employés, ceux-ci auront tendance à quitter l’entreprise, assure Mme Morin. Mais si on est juste et équitable, la règle du 80-20 s’applique. Pour chaque décision, 80 % des employés seront d’accord et auront la perception qu’elle est juste; le 20 % restant ne sera pas satisfait. »

Par exemple, en raison d’une recommandation de son conseiller, on décide d’inclure la couverture des frais dentaires parmi les avantages sociaux offerts aux employés plutôt que de couvrir les frais de soins de la vue. On suppose que les employés s’en réjouiront. Or, sans avoir consulté ces derniers, on ignore que la majorité de ceux-ci préfèrerait peut-être que leur régime couvre les frais des soins de la vue. Un sentiment d’injustice se dévéloppe alors chez eux. « Ce devrait être une priorité des organisations de vérifier si le sentiment d’équité est respecté », affirme la professeure.

L’auto-efficacité, quant à elle, est le sentiment de compétence qu’a un employé devant une nouvelle tâche. Plus son sentiment d’auto-efficacité est élevé, plus il se sent compétent, et vice-versa. « Croire qu’on peut réussir ne mène pas nécessairement au succès, mais croire qu’on ne peut pas réussir mène résolument à un échec », déclare Mme Morin. Il faut donc que l’organisation assure un bon encadrement de ses employés qui occupent une nouvelle fonction. Le rendement du capital investi est majeur, puisque la corrélation entre un fort sentiment d’auto-efficacité et une productivité élevée est prouvée.

Les employés évaluent constamment leur compatibilité à trois niveaux : avec l’organisation dans son ensemble, avec l’emploi en particulier, et finalement avec son supérieur immédiat. « L’employé ressent le besoin d’être compatible avec l’entreprise, avec son emploi, et avec son supérieur immédiat, dit Mme Morin. Ceci ne signifie pas seulement d’avoir les mêmes valeurs, mais aussi d’apporter quelque chose de plus à l’entreprise. Il faut donc que l’employeur soit toujours transparent et qu’il diffuse le plus de renseignements possible. »

Il est donc question de communication de valeurs et d’informations sur le fonctionnement de la compagnie. Il convient aussi de bien décrire les compétences que l’on recherche chez un employé, de même que le poste offert. « Assurez-vous toutefois que l’information que vous diffusez est cohérente et vraie, et que tous les gestionnaires reflètent les valeurs que vous projetez », conseille Mme Morin. C’est en appliquant ces bases, en prenant des décisions cohérentes, en ayant une politique d’écoute ouverte et en offrant un bon programme de reconnaissance que les employés décideront de rester auprès de leur employeur actuel.

La question qui tue

Faut-il fidéliser tous les employés ? « La réponse est claire : c’est non ! », tranche Lucie Morin. Et comment faire pour ne pas fidéliser les employés indésirables ? « Il faut retourner à la source, s’assurer qu’il y a un bon système de dotation à l’entrée, lors du recrutement et pendant les premiers mois de l’emploi, en plus d’un système de gestion des performances efficace et transparent, explique Mme Morin. Il est important que le gestionnaire soit franc dans la note qu’il donne à l’employé, puisqu’il a tendance à surévaluer un employé qui n’offre pas de bonnes performances. Et si l’employé décide de rester tout de même, il faut revoir le système et s’assurerqu’il n’y ait pas de failles. »

1Le chiffre de 15 M$ s’établit en fonction d’un taux de roulement moyen de 7,3 %, d’un coût de remplacement de 30 % du salaire et finalement d’un salaire annuel moyen de 48 000 $.