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L’absentéisme coûte cher aux organisations et cause bien des problèmes. Mais les entreprises adoptent-elles des mesures adéquates pour faire face à cet ennemi numéro un de la productivité et de la structure organisationnelle ?

Si l’impact des absences sur les entreprises québécoises est indéniable, comment le définir plus précisément ? Selon les données du Conference Board, l’absentéisme coûterait annuellement 16,6 milliards de dollars aux entreprises canadiennes.

« Au Québec, cela représente 7,5 jours dans le secteur privé et 13,2 jours dans les secteurs public et syndiqué. La moyenne québécoise est de 10,8 jours par employé, contre 9,3 jours pour le reste du Canada », note David Willows, vice-président, Solutions de marchés stratégiques à Green Shield Canada. « Toutefois, ces données doivent être contextualisées par rapport aux milieux syndiqués, qui affichent de plus hauts taux, ainsi qu’aux travailleurs plus âgés, qui sont plus nombreux au Québec. »

« Le calcul de l’impact s’évalue différemment selon qu’une organisation l’intègre ou non à son calcul du pourcentage de la masse salariale », indique Claudine Ducharme, associée responsable des services-conseils en santé et en assurance collective pour l’Est du Canada chez Morneau Shepell. « Mais l’impact se ressent tout de même dans les coûts directs et indirects, ces derniers étant habituellement trois fois plus importants. »

Étonnamment, très peu d’entreprises auraient conscience de cet impact. La faute à un manque d’étalon de mesure ? Selon une enquête de Normandin Beaudry, seulement 42 % des entreprises mesurent leur taux d’absentéisme. « Les PME évoquent l’absence de ressources dédiées et les grandes entreprises ne s’en soucient guère », révèle Julie Cousineau, conseillère principale en assurance collective chez Normandin Beaudry.

Ce qui n’empêche pas l’absentéisme d’affecter la performance et la rentabilité des organisations au quotidien. « Sur le plan des coûts directs, on note les prestations de remplacement de revenu et les primes d’assurance chargées aux employeurs », détaille Christine Potvin, vice-présidente adjointe, invalidité groupe à la Financière Sun Life. « Indirectement, il faut compter la perte de productivité, les coûts de remplacement et de formation. La gestion quotidienne des affaires s’en trouve aussi affectée. »

Proactivité et productivité
Si les experts confirment le besoin d’agir sur l’absentéisme, on leur demande souvent « pourquoi ? ». Les réponses sont instantanées. « Parce que les conséquences sont importantes, notamment sur les coûts et les ressources humaines, particulièrement dans les PME, où les absents ne sont pas remplacés, ce qui signifie une surcharge de travail pour les autres », explique Claudine Ducharme, ajoutant qu’un peu plus de la moitié (52 %) des absences ne sont pas liées à la maladie.

En effet, les engagements personnels, les obligations familiales, le besoin d’évacuer le stress ou de récupérer ainsi que le manque de motivation auraient une plus grande incidence sur l’absentéisme que le simple rhume ou la fracture occasionnelle. « Devant cette réalité, pourquoi les employeurs demandent-ils encore des billets de médecin ? », demande Mme Ducharme.

« Parce qu’un taux d’absentéisme de 4 à 5 %, considéré comme moyen, représente deux à trois semaines d’absence par employé sur une base annuelle, soit une perte de productivité et d’efficacité importante, argue Julie Cousineau. Les effets négatifs sur l’équipe, qu’il soit question de réorganisation du travail ou de surcharge, doivent aussi être considérés afin d’éviter une hausse éventuelle des absences des autres employés. La démotivation peut affecter la productivité et favoriser le présentéisme, aussi coûteux que l’absentéisme. »

David Willows souligne l’importance de garder en tête le fait que les employés constituent la base d’une entreprise, et donc de les garder en santé et productifs. « On les paie pour être au travail. Un employé motivé risque de se présenter malgré un léger malaise, contrairement à un autre qui y trouve une occasion de fuite. On voit là la différence que peut faire l’instauration de mesures visant au mieux-être physique et mental du capital humain. »

Mieux vaut prévenir que (de payer pour) guérir
Existe-t-il un lien entre la gestion des absences occasionnelles et celles de plus longue durée ? Encore une fois, les réponses sont unanimes. « Oui, et c’est pourquoi la gestion des absences occasionnelles doit être perçue comme une méthode de prévention des cas de longue durée. Bien gérer la courte durée, c’est être en mesure d’agir sur les causes », précise Christine Potvin.

« Dans les organisations où les employés sont moins mobilisés, moins engagés, les absences risquent d’être plus longues », soutient Julie Cousineau. Emmanuelle Gaudette, conseillère principale en gestion de l’absentéisme, de l’invalidité et de la santé, santé et assurance collective chez Towers Watson abonde dans le même sens : « La prévention et la détection de problèmes permettent souvent d’éviter l’absence ou d’en réduire la durée », souligne-t-elle.

Claudine Ducharme nuance en expliquant qu’il existe des absences occasionnelles qui ne mènent pas directement à l’invalidité au travail. « Souvent, les PME ignorent comment les gérer, explique-t-elle. On laisse souvent passer, mais lorsque ces absences sont liées au travail et que l’organisation démontre des lacunes en matière de gestion, celles-ci peuvent se transformer en période d’invalidité de courte durée, puis de longue durée. » « Ne rien faire, c’est prendre un grand risque, surtout dans un contexte où l’Organisation mondiale de la santé prévoit que la dépression sera le premier facteur d’absentéisme en 2020, estime Johanne Potvin, vice-présidente, Gestion des risques – accidents du travail et invalidités chez Aon Hewitt.

CONSEILS ET STRATÉGIES POUR AMÉLIORER LA GESTION DES ABSENCES

« Établir un seuil maximal en matière d’absence menant à un processus d’intervention de personne à personne. » – David Willows

« Avoir une connaissance à la fois quantitative (taux d’absentéisme) et qualitative (raisons des absences) afin de poser un diagnostic menant à la prévention. Cette démarche doit inclure les notions de reconnaissance, de conciliation travail-famille, de charge de travail et de gestion de conflit. » – Claudine Ducharme

« La méthode en silo, qui voit chaque type d’absence géré par une instance différente, ne permet pas d’identifier les interrelations entre les absences. La meilleure gestion doit être globale et intégrée. » – Christine Potvin

« La meilleure stratégie est de miser sur l’environnement de travail avant l’absence, sur la relation passée entre l’employeur et l’employé. Bien souvent, elle détermine comment s’effectuera le retour. Si l’employé aime son travail, il fera tout pour revenir rapidement, contrairement à un employé démotivé. » – Johanne Potvin

Y a-t-il un gestionnaire dans la salle ?
Vu le contexte économique actuel, peu d’employeurs peuvent se permettre d’ignorer l’absentéisme et la perte de productivité. Mais leurs efforts pour suivre et évaluer les absences sont-ils adéquats ?

« Non, tranche Claudine Ducharme. Ce suivi exige des entreprises qu’elles relèvent plusieurs défis, dont ceux de la compréhension de la situation globale, excluant les clauses confidentielles, et de la possibilité d’agir. Les gestionnaires d’équipes n’ont pas toujours les compétences pour déceler les signes précurseurs et apporter l’aide nécessaire. »

Même son de cloche chez Christine Potvin, même si elle concède que les entreprises sont généralement conscientes du problème. « En 2012, les données du Conference Board indiquaient que seulement 48 % des entreprises avaient les ressources nécessaires pour effectuer ce suivi, et seulement 15 % étaient en mesure d’évaluer leurs coûts. Les organisations suivent les recommandations des assureurs, mais plusieurs données demeurent non comptabilisées. C’est le cas des absences occasionnelles. »

Julie Cousineau va plus loin. « Trop de gestionnaires se limitent au taux d’absentéisme sans considérer l’incidence des absences de plus de cinq jours, souvent déterminantes. Par exemple, une organisation peut recenser plus de nouvelles invalidités de très courte durée et obtenir le même taux qu’une autre qui en compterait moins, mais qui seraient de longue durée. Pourtant, il s’agit de deux enjeux distincts aux impacts organisationnels différents, notamment en ce qui a trait à la réorganisation du travail.

Une affaire d’équipe ?
Afin d’assurer les meilleures pratiques et un suivi efficace, à qui revient la responsabilité de la gestion de l’absentéisme ? « Dans les grandes organisations, aux ressources humaines, à coup sûr. Dans les PME, au gestionnaire d’équipe. Dans les deux cas, il s’agit des meilleures personnes susceptibles de monitorer et d’intervenir », souligne David Willows.

Pour Claudine Ducharme, la responsabilité incombe « un peu à tout le monde, soit au supérieur immédiat et à l’équipe de direction, ainsi qu’au représentant syndical, si applicable. Si l’employé est responsable de sa santé, l’employeur est, lui, responsable de la création et du maintien d’un environnement de travail sain et stimulant. »

« Ça semble simple, mais ça ne l’est pas, relativise Christine Potvin. Si le comité exécutif doit en faire une priorité et se donner des outils, les gestionnaires RH doivent, eux, instaurer un programme de gestion. » Elle soutient également que les gestionnaires d’équipe ont aussi un rôle à jouer, mais que trop souvent mal outillés, ils ne peuvent poser adéquatement certaines actions pourtant déterminantes dans le retour au travail des absents, notamment l’offre d’un accueil personnalisé et le déploiement d’accommodements spéciaux.

Faut-il redouter le suivi de gestion ?
Dans quel contexte le suivi avec les employés devient-il nécessaire ? « Chaque absence mérite un suivi, que ce soit avec l’employé ou l’équipe de travail, laquelle a un rôle à jouer lors du retour en fonction de celui-ci, affirme Claudine Ducharme. Le médecin traitant est aussi important dans le processus, car lui seul est à même de déterminer quelles tâches peuvent être effectuées selon la condition médicale. »

David Willows note que plusieurs évitent le suivi car il est rarement plaisant. Il souligne toutefois qu’à un moment donné, une conversation s’impose. « Rien de menaçant, rien de disciplinaire, mais un contexte permettant d’envoyer un message et de proposer des solutions. Habituellement, un seul contact de ce genre est nécessaire pour rectifier la situation. » Dans certains cas, notamment les milieux syndiqués, le nombre d’absences accordé par l’employeur peut être interprété comme un bénéfice acquis. « L’employé les considère comme des congés perdus s’il ne les utilise pas, et le syndicat le soutiendra dans cette perception », confie M. Willows.

Tout est dans l’approche
Alors, comment approcher les suivis ? Comment éviter les faux pas ? « Dès la première journée de l’absence, l’employé devrait communiquer avec son gestionnaire, recommande Johanne Potvin. Ce dernier devrait lui parler de vive voix, régulièrement, question de maintenir le contact et de faciliter le retour. Certaines entreprises font même appel à des gestionnaires d’absence externes, dont le mandat est de valider l’ensemble des processus. »

Comme le fait valoir Christine Potvin, le contact téléphonique est très important, mais aussi très délicat. « Plusieurs questions ne doivent pas être posées sous peine de contrevenir à la confidentialité réglementaire, note celle-ci. Mais il est possible de s’informer, entre autres, des obstacles au travail, du type d’absence et des aménagements possibles pour accélérer le retour. Des formations aux gestionnaires existent et détaillent précisément la marche à suivre. »

Selon Julie Cousineau, dans la grande majorité des cas, les employés en invalidité perçoivent cette communication comme positive. Mais attention, comme le précise Johanne Potvin, si l’appel relationnel relève de l’employeur, la communication de gestion, elle, doit être effectuée par le gestionnaire du dossier, notamment les ressources humaines. On conserve ainsi une saine distance entre le personnel et l’administratif, ce qui réduit le risque de perception de harcèlement par l’employé en invalidité. Une situation à éviter, qui ne peut qu’aggraver un contexte déjà complexe.

Cet article est tiré de l’édition de décembre 2015 du magazine Avantages.