Créé à l’origine pour protéger les petits régimes contre une hausse excessive de leurs primes, le système de mutualisation en assurance médicaments est en train d’étouffer ­ceux-là mêmes qu’il est censé aider. Si rien ne change, les régimes d’assurance collective pourraient bientôt devenir chose du passé dans les petites entreprises.

Il arrive un moment où ­Jean ­Mailloux n’a plus aucune solution à proposer à ses clients propriétaires de petites entreprises. L’année dernière, le conseiller en assurance et rentes collectives de ­Montréal a dû dire adieu à l’un d’eux, qui a décidé de mettre un terme à son régime parce qu’il n’était tout simplement plus capable d’en assumer les coûts.

Dans ce groupe de 18 certificats, la prime de mutualisation représentait 28 % des primes totales payées par le régime d’assurance médicaments. Si on ajoute à cela 25 % de frais de fonctionnement, il ne restait plus que 47 % des primes brutes pour couvrir les réclamations non mutualisées du régime.
Comble de malchance, quelques assurés avaient besoin d’une médication relativement coûteuse, sans toutefois atteindre le premier seuil de mutualisation de 8 000 $ par certificat, tel qu’établi par la ­Société de compensation en assurance médicaments du ­Québec (SCAMQ).

Rendu là, la terminaison était inévitable. « ­On avait déjà déshabillé le régime au fil des années, il restait presque uniquement l’assurance médicaments. À un moment donné, on est à court de solutions », se résigne ­Jean ­Mailloux.

Selon le conseiller, les primes de mise en commun sont devenues disproportionnées par rapport au salaire des employés de petites entreprises. Pour les régimes de moins de 25 employés, le facteur annuel (prime) sans personne à charge se situe à 198 $ en 2018, alors qu’il grimpe à 546 $ avec une personne à charge. « ­On a besoin d’un mécanisme de mutualisation, mais en ce moment on se trouve dans un ­cul-de-sac. Si on continue dans la même direction, on va droit dans le mur », s’impatiente ­Jean ­Mailloux.
Les frais liés à la mutualisation en assurance médicaments ne sont évidemment pas la seule raison qui poussent de petits employeurs à mettre fin à leur régime, mais pour bon nombre d’entre eux, ils constituent souvent le clou dans le cercueil.

« À chaque année, j’ai des clients qui terminent leur régime, renchérit ­Chanelle ­Cartier, directrice administrative chez ­Lafond. Parfois, tout ce qu’on peut couper dans le régime, on l’a déjà coupé. Les primes de mutualisation sont énormes pour les petites entreprises, ça devient inaccessible. »
Elle donne l’exemple de l’un des régimes qu’elle administre, un groupe de six employés, dont les frais de mise en commun représentent 35 % des primes totales payées par le régime d’assurance médicaments. Sur 18 000 $ de primes annuelles totales, il ne reste que 4 000 $ de primes nettes, une fois tous les frais administratifs déduits, pour couvrir les réclamations non mutualisées. « ­Il suffit que deux personnes prennent du ­Lipitor et c’est fini. À ce ­point-là, c’est presque préférable que cette ­entreprise-là ne soit pas assurée », se désole ­Mme ­Cartier.

Bien au fait de la réalité des petits employeurs, elle sait que l’offre de régimes d’assurance collective est un facteur de rétention important, particulièrement dans le contexte de pénurie de ­main-d’œuvre que l’on connaît. Le problème, c’est que de tels régimes sont devenus hors de prix pour beaucoup d’entreprises. « ­Si on veut que les groupes de 25 employés et moins soient toujours en mesure de s’assurer, il faut faire quelque chose. On doit s’asseoir à la table à dessin et repenser le principe de mutualisation et l’administration des médicaments coûteux », ­affirme-t-elle.

Des coûts de mutualisation qui explosent

Il suffit de jeter un rapide coup d’œil aux modalités de mutualisation, revues chaque année par la ­SCAMQ, pour constater que les coûts que doivent assumer les petits groupes ont explosé au cours des dernières années.

Depuis 2012, le seuil de mutualisation par certificat, c’­est-à-dire le montant à partir duquel les réclamations sont mutualisées et prises en charge par la ­SCAMQ, a connu une hausse de presque 8 % par année pour les groupes de moins de 25 certificats. En 2012, ce seuil était de 5 500 $, alors qu’il atteint 8 000 $ en 2018. « ­Il s’agit de la plus forte hausse du seuil parmi toutes les tranches de la ­SCAMQ, note ­Philippe ­Laplante, directeur, assurance collective chez ­Eckler. Aujourd’hui, toutes les réclamations en deçà de 8 000 $ sont gérées par les régimes, alors qu’auparavant, la prise en charge par la mutualisation commençait bien plus tôt. C’est certain que les petits employeurs le vivent difficilement. »

Sur la même période, les primes ont augmenté d’environ 6 % par année. L’effet est donc double pour les promoteurs : en plus de devoir assumer davantage de risques liés aux grandes réclamations, ils doivent aussi payer des primes de mutualisation de plus en plus élevées. « ­Il est clair que le système de mutualisation protégeait mieux les petits groupes en 2012 qu’il ne le fait aujourd’hui », souligne ­Philippe ­Laplante.

Pas de doute pour l’actuaire : il y a lieu de s’inquiéter quant à la pérennité des régimes d’assurance collective dans les petites entreprises. « ­Mais en même temps, les coûts de médicaments sont devenus tellement élevés qu’il n’y a pas de solution simple. Les assureurs et la ­SCAMQ ne peuvent pas facturer des primes plus basses que les coûts réels », ­expose-t-il.

La formule tient la route

« J’estime que le système de mutualisation actuellement en place est équitable et fonctionnel, se défend ­Pierre ­Hamel, directeur général de la ­SCAMQ. Une de nos missions principales est de conserver les risques au sein de l’industrie de l’assurance. On ne veut pas que les groupes soient incapables de renouveler leur couverture et que leurs participants se retrouvent dans le régime public d’assurance médicaments. On prend notre rôle social à cœur. »

Il explique que les seuils et les primes sont établis en considérant les résultats d’un test de raisonnabilité, un calcul actuariel qui sert à déterminer si un groupe touché par une grosse réclamation est en mesure de renouveler sa couverture avec une augmentation de prime raisonnable. Les hypothèses utilisées tiennent compte des réclamations antérieures, mais aussi du coût et de l’utilisation des médicaments.

« ­Pour chaque tranche de tailles de groupes, on obtient un chiffre actuariellement équivalent, de sorte qu’au bout de la formule, tout arrive à zéro. Bref, ceux qui ont eu la malchance d’avoir des réclamations élevées vont être remboursés, en quelque sorte, et ceux qui ont eu la chance de ne pas avoir de telles réclamations vont payer pour les autres », explique ­Pierre ­Hamel.

Si les coûts de mise en commun augmentent aussi rapidement, c’est parce que le prix des médicaments spécialisés croît de façon exponentielle, ­ajoute-t-il. « ­Le prix des médicaments de plus de 200 000 $ progresse d’au moins 25 % par année. Si les régimes sont obligés de fermer en raison des coûts de mutualisation, ça veut ­peut-être dire qu’ils n’ont tout simplement pas les moyens de payer les médicaments au rythme où leur prix augmente actuellement », suggère M. Hamel.

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