La réforme de la santé et de la sécurité du travail du gouvernement Legault, même avec ses nouveaux amendements, constitue un « recul historique » pour les femmes, selon les signataires d’une lettre ouverte publiée lundi.

Ce n’est pas la première fois que le gouvernement caquiste est accusé de mener une réforme sexiste en santé et sécurité du travail.

Une soixantaine d’associations, de chercheurs, d’avocats, de professeurs, de médecins, ainsi que des syndicats, interpellent le ministre du Travail, Jean Boulet, qui pilote cette réforme, le projet de loi 59. Il a laissé entendre lundi qu’il allait déposer d’autres amendements, mais réitère que sa réforme « s’appuie sur des consensus ».

« On continue à ne pas voir les dangers du travail des femmes », a déploré une des signataires, Ana Maria Seifert, docteure en santé communautaire.

« Ça fait pourtant une vingtaine d’années qu’on le dit : l’invisibilité du danger du travail des femmes est encore là et il est perpétué par les données de la CNESST », a-t-elle dit en entrevue avec La Presse canadienne.

« Est-ce que c’est de l’aveuglement volontaire ? C’est au ministre et au gouvernement de le dire. Je ne peux pas croie qu’après tant de travaux, de recherches, on ne le sait pas. »

« Effets discriminatoires »

Le groupe de signataires plaide qu’« en plus de nuire à une prévention efficace, les amendements proposés ne répondent toujours pas à tous les besoins des travailleuses et continuent de perpétuer des effets discriminatoires à l’endroit des femmes ».

Il y a eu un gain apparent : le ministre a abandonné une classification controversée des milieux de travail selon le niveau de risque, d’élevé à faible, avec des moyens de prévention ajustés en conséquence, parce que cette classification n’était pas fondée sur des données scientifiques, mais sur les statistiques d’indemnisation de la CNESST.

« La CNESST n’accepte pas tout, a fait remarquer Mme Seifert. Tous les problèmes de santé psychologique sont sous-déclarés et sous-acceptés, et ce sont de problèmes qui sont majoritairement présents chez les femmes, parce que les milieux de travail féminins présentent plus de risques psychosociaux. »

Mais ce gain a eu un effet pervers : M. Boulet a aussi abandonné les dispositions sur le nombre minimal d’heures consacrées à la prévention, de même que des règles encadrant le fonctionnement des comités de santé et sécurité du travail.

Or, 82,5 % des femmes œuvrant en entreprise privée ne sont pas syndiquées et donc elles ne disposent pas d’un rapport de forces équitable avec leur employeur pour convenir de règles appropriées, font valoir les signataires.

« On se retrouve dans une situation qui défavorise les femmes profondément », constate Mme Seifert.

En outre, les signataires déplorent que le programme de prévention n’inclue toujours pas un plan de réaffectation pour les travailleuses enceintes.

Ils soulignent aussi que « rien n’est prévu pour protéger adéquatement les travailleuses d’agence ainsi que les travailleuses domestiques, qui demeurent partiellement exclues de la couverture automatique de la Loi sur les accidents de travail et les maladies professionnelles », lit-on.

« Devant la possibilité d’un recul historique en matière de droit des femmes au travail, il est urgent que le ministre entende réellement la voix de toutes les travailleuses et révise en profondeur son projet de loi », concluent-ils.

« D’autres amendements »

« Il pourrait y avoir d’autres amendements », a pour sa part laissé entendre M. Boulet en marge d’une conférence de presse lundi matin.

Il a toutefois affirmé que la « majorité de ce projet de loi s’appuie sur des consensus » entre le patronat et les syndicats.

Il assure que sa réforme dans l’état actuel constitue déjà une amélioration par rapport au statu quo qui persiste depuis 40 ans.

Des domaines à majorité féminins, tels que l’enseignement, les services sociaux, le commerce, la santé, qui ne sont pas assujettis à des mécanismes de prévention ou de participation, le seront si le projet de loi est adopté.

Parmi les signataires de la lettre ouverte, on retrouve pratiquement tous les grands syndicats, la Fédération des travailleurs du Québec (FTQ), la Confédération des syndicats nationaux (CSN), la Fédération interprofessionnelle de la santé du Québec (FIQ), la Fédération autonome de l’enseignement (FAE), le Syndicat de la fonction publique et parapublique du Québec (SFPQ), le Syndicat des professionnels du gouvernement du Québec (SPGQ), ainsi que l’Association des juristes progressistes, etc.

Le ministre Jean Boulet avait déjà refusé que son projet de loi soit assujetti à une « analyse différenciée selon les sexes » (ADS) avant son adoption.

Il s’agit d’un type d’analyse précise et reconnue dans l’administration publique, qui permet de prendre en compte les différences homme-femme, lors de la planification et de la prestation des soins et des services.

Paradoxalement, dans son tout dernier budget déposé jeudi, le gouvernement a décidé d’encourager financièrement le recours à ce type d’analyse.

Ce n’est pas la première fois que le ministre est accusé de vouloir faire adopter une réforme sexiste de la santé et de la sécurité du travail. Pendant les consultations publiques en janvier, la CSN, la CSQ ainsi que l’Union des travailleuses et travailleurs accidentés ou malades (UTTAM) avaient prédit des effets néfastes pour la main-d’œuvre féminine.

Le projet de loi 59 vise à réformer le système actuel pour en réduire les coûts, qui sont assumés à 100 % par les employeurs.

La CNESST a versé des prestations totalisant 2,22 milliards $ en 2018. Elle avait alors accepté 103 406 lésions professionnelles et enregistré 226 décès. Chaque jour, 251 travailleurs subissent un accident.