À la fin du mois de mars, j’ai profité de mes vacances pour réaliser un rêve de longue date, soit visiter le ­Japon. C’est bien évidemment un pays fascinant avec une culture marquée par la juxtaposition de tradition et de modernité. L’apprentissage de différentes mœurs se trouve au cœur de toute aventure et le dépaysement était certes au ­rendez-vous. Mais force est de constater que la culture du travail au pays du ­Soleil levant et la pression sur sa ­main-d’œuvre ne constituent ­peut-être pas le meilleur des exemples à suivre.

Le phénomène du karoshi, soit littéralement la mort par excès de travail, semble être présent dans bon nombre d’entreprises nipponnes. En effet, dans un rapport gouvernemental, plus d’une firme sur cinq a déclaré avoir des employés qui effectuaient ­au-delà de 80 heures supplémentaires par mois. Dans 12 % des cas, notamment chez les entreprises des secteurs de l’informatique et du transport, les heures supplémentaires peuvent même dépasser 100 par mois. De quoi donner des frissons aux plus grands adeptes de l’équilibre ­travail-famille.

Le gouvernement du premier ministre ­Shinzo ­Abe a beau essayer d’inciter les travailleurs à quitter le bureau tôt le vendredi ­après-midi – avec pour objectif d’encourager les dépenses et d’investir dans l’économie –, c’est précisément l’importance que les ­Japonais accordent au travail qui explique en partie ces chiffres faramineux d’heures supplémentaires. Pour preuve, le nombre de personnes qui font une petite sieste dans le métro… voire au bureau.

Alors que cela risque d’être mal vu dans un contexte d’affaires ­nord-américain, il s’agit au ­Japon d’un indicateur de la diligence des effectifs, raconte un récent texte du ­New ­York ­Times. Cela signifie qu’on travaille fort ou encore qu’on est capable de faire deux choses en même temps, selon l’experte consultée par le journal. Soulignons toutefois un corollaire : les ­Japonais manquent cruellement de sommeil. Une étude gouvernementale datant de 2015 a permis de constater que près de deux adultes sur cinq dormaient moins de six heures par nuit.

­Peut-être sans atteindre les mêmes extrêmes qu’au ­Japon, l’épuisement professionnel et les troubles du sommeil touchent une partie non négligeable des travailleurs québécois. Il est clair que les entreprises ont un rôle clé à jouer et un nombre important d’entre elles ont déjà mis en œuvre des stratégies intéressantes en matière de santé mentale. Il est à espérer que tous les travailleurs du ­Québec puissent évoluer au sein d’un environnement positif et, au besoin, qu’ils aient accès aux services et au soutien nécessaires.

Un autre phénomène bien connu qui frappe le marché du travail japonais est le vieillissement de la population : autour du tiers des quelque 127 millions de ­Japonais sont âgés de plus de 65 ans. La pénurie de ­main-d’œuvre qui en découle serait rendue à un tel point qu’on voit 143 offres de travail pour 100 demandeurs, observe le journal français ­Le ­Figaro dans un récent article. Le taux de chômage au ­Japon s’élève en effet à un niveau qui ferait des jaloux dans les ministères de plusieurs pays. Mais pour le gouvernement nippon, cette réalité demeure source de grandes préoccupations.

Alors que le ­Québec, comme plusieurs autres juridictions, mise sur l’immigration pour combler ses besoins de ­main-d’œuvre, les ­Japonais semblent privilégier le recours aux personnes âgées. C’est une politique qui peut aussi très bien s’appliquer ici : maintenir ces travailleurs expérimentés en emploi pour bien former la relève et permettre à ­ceux-ci de rester actifs et atténuer le possible manque d’­épargne-retraite s’avère en effet une stratégie ­gagnante-gagnante.

En supposant, bien sûr, que les robots ne volent pas trop de postes. Le ­Japon est certes le pays de l’automatisation et, après avoir commandé sur un écran dans beaucoup de restaurants, j’ai peut-être tiré la leçon la plus importante de mon voyage : jusqu’à quel point ­est-on indispensable ?

Simeon ­Goldstein
Rédacteur en chef
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