Outre ­Québec et ­Terrebonne, une douzaine de caisses de retraite du secteur public et parapublic ont transféré en partie ou en totalité leur actif à la ­Caisse de dépôt depuis 2010. Selon ­Gaston Verreault, plusieurs autres régimes municipaux se seraient également montrés intéressés par les services de l’institution au cours des dernières années, sans toutefois que leurs démarches ne se concrétisent. Pour mettre les choses en perspective, il y avait 213 régimes de retraite dans le secteur municipal en 2014, selon les données de ­Retraite ­Québec.

Le fait que plusieurs caisses de retraite du secteur public, surtout des municipalités, aient choisi de donner des mandats à la ­Caisse ne constitue en aucun cas une tendance dans le marché, insiste ­Jean-Benoît ­Houde, conseiller principal, relations avec les médias à la ­Caisse de dépôt et placement du ­Québec.

« ­On ne fait aucune démarche pour solliciter de nouveaux mandats, ce sont les caisses de retraite qui viennent vers nous, ­précise-t-il. Il faut aussi mentionner que la ­Caisse n’a accueilli aucun nouveau déposant depuis les régimes de retraite de la ­Ville de ­Québec l’année dernière. » L’institution a en effet décidé l’automne dernier de ne plus accepter de nouveaux déposants dans le monde municipal jusqu’à nouvel ordre.

Du côté de ­Finance ­Montréal, dont la mission est de valoriser l’écosystème financier montréalais et québécois, on indique « être au courant des enjeux potentiellement présents ». « ­Des discussions avec des représentants des partis prenantes ont eu lieu l’automne dernier », souligne ­Louis Lévesque, directeur général de ­Finance ­Montréal.

Pour mieux saisir ces enjeux, l’organisme, en collaboration avec l’Institut de la statistique du ­Québec (ISQ), a entrepris en début d’année une vaste enquête auprès de tous les promoteurs de régimes de retraite basés dans la province. Le but de cette enquête est d’établir les différentes stratégies de placement qu’ils utilisent, ainsi que l’identité et l’emplacement géographique des firmes qui gèrent leurs actifs. Plus de 900 administrateurs de régimes ont ainsi reçu un formulaire d’une trentaine de questions au printemps dernier. Les données ont été analysées par l’ISQ au cours de l’été et devraient être publiées cet automne.

Plusieurs firmes de gestion d’actif ont d’ailleurs indiqué suivre le dossier de très près et attendre avec impatience les conclusions de l’étude.

Une tempête dans un verre d’eau ?
Bien qu’il comprenne les préoccupations des gestionnaires indépendants, ­Dany ­Lemay, chef de la pratique ­Investissement au bureau de ­Montréal de ­Willis ­Towers ­Watson, estime que le rapatriement d’actifs à la ­Caisse de dépôt n’est pas un problème en soi dans un marché mondialisé où les occasions d’affaires sont multiples.

« ­Oui, certaines firmes ont ­peut-être bien joué la carte locale et eu du succès avec des caisses de retraite du secteur public québécois, mais un marché très ouvert s’offre à elles dans le secteur privé ou encore dans la gestion de fortunes personnelles, et ce, partout sur la planète », ­affirme-t-il.

Selon lui, les firmes qui voient leur marché comme étant constitué uniquement d’institutions québécoises limitent leur croissance. « À court terme, c’est sûr que ça peut être une transition difficile. Mais cela forcera les gestionnaires à s’adapter à la nouvelle réalité et à se repositionner. La fuite des actifs vers la ­Caisse pourrait en quelque sorte être un déclencheur pour l’industrie. Plus de compétition peut amener plus d’innovation et renforcer l’écosystème québécois de la gestion d’actif », ­croit-il.

Si le déplacement de certains actifs vers la ­Caisse a un impact négatif pour des firmes du ­Québec, il permet en revanche de rapatrier des fonds qui étaient jusqu’alors gérés à l’extérieur de la province, voire du pays, souligne ­Michel ­Nadeau, directeur général de l’Institut sur la gouvernance d’organisations privées et publiques (IGOPP). « ­Ce n’est pas vrai que les régimes qui se sont tournés vers la ­Caisse faisaient affaire exclusivement avec des gestionnaires québécois. Oui, la ­Caisse peut effectivement faire mal à des gestionnaires d’ici lorsqu’elle obtient de nouveaux mandats, mais c’est toujours mieux ça que d’envoyer les actifs à ­Toronto ou ­New ­York », ­dit-il.

Pas que des avantages
Rendements solides, gestion des risques efficiente, frais de gestion au plancher : les caisses de retraite ont une foule de raisons de se tourner vers la ­Caisse pour la gestion de leurs actifs. Mais l’institution québécoise demeure assez singulière sur certains aspects, et faire affaire avec elle ne comporte pas que des avantages.

« D’entrée de jeu, la ­Caisse dit à ses clients potentiels qu’ils doivent prendre ce qu’elle offre. Oui, les déposants peuvent faire certains choix, mais ils perdent beaucoup de flexibilité en faisant affaire avec la ­Caisse », soutient un consultant en régimes de retraite montréalais qui a souhaité préserver son anonymat.

Ayant ­lui-même accompagné certains de ses clients à des rencontres avec des représentants de l’investisseur institutionnel, il émet également certaines mises en garde concernant les frais de gestion. « ­Les frais divulgués par la ­Caisse sont faibles, mais des frais supplémentaires peuvent s’appliquer dans certains cas. Par exemple, ­Ivanhoé ­Cambridge facture des frais qui ne sont pas divulgués par la ­Caisse. Il faut gratter et poser beaucoup de questions pour obtenir le niveau de frais réel que l’on aura à payer », ­confie-t-il.

Cela dit, ces frais demeurent très faibles, la ­Caisse « ne jouant pas sur le même terrain de jeu que les gestionnaires privés ». « ­La Caisse se paie directement avec les parts que détiennent les clients, n’émet pas de facture et ne perçoit donc pas de taxes. Les gestionnaires privés, eux, n’ont pas le choix de produire des factures et de percevoir des taxes », ­explique-t-il.

Beaucoup de promoteurs de régimes préfèrent en outre éviter la ­Caisse pour ne pas être mêlés malgré eux aux débats politiques d’une institution hautement médiatisée. « ­Il n’y a pas tellement d’engouement chez mes clients pour aller à la ­Caisse », ­résume-t-il.

Côté rendements, peu de gens dans l’industrie contestent les nombreux bénéfices pour les régimes de retraite de faire affaire avec la ­Caisse pour leurs mandats de gestion d’actifs non traditionnels, en particulier l’immobilier et les infrastructures. Mais du côté des catégories d’actif traditionnelles, les avis sont plus partagés. Certains vont même jusqu’à considérer qu’en raison de sa taille, la ­Caisse est un gestionnaire indiciel sur les marchés traditionnels.

Une opinion que ne partage pas vraiment ­Dany ­Lemay. « ­Oui, la ­Caisse est un gros joueur au ­Canada, mais elle ne fait pas bouger les marchés à l’échelle mondiale. Et le marché canadien est déjà très concentré », ­relativise-t-il.

Concurrencer un géant

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