Un nombre croissant de grands employeurs dont les activités sont perturbées par la pandémie de COVID-19 se tournent vers la subvention salariale d’Ottawa dans le but de réembaucher ou retenir leurs travailleurs.

Après Air Canada la veille, Airbus Canada a opté pour cette mesure, jeudi, afin que les syndiqués qui assemblent l’A220 à Mirabel puissent continuer à toucher davantage que ce qui est offert par le programme fédéral même s’ils sont en congé forcé depuis le 24 mars.

Une entente valide au moins jusqu’au 4 mai, date jusqu’à laquelle les entreprises jugées non essentielles doivent demeurer fermées au Québec, a été annoncée avec l’Association internationale des machinistes et des travailleurs de l’aérospatiale (AIMTA), qui représente 1000 des quelque 2800 travailleurs du site.

Rétroactif au début de la pandémie, le programme proposé par le gouvernement Trudeau permet aux travailleurs de toucher 75 % de leur salaire horaire normal, ou un maximum de 847 $ par semaine, par rapport à 500 $ par semaine pour la Prestation canadienne d’urgence (PCU).

Selon la partie syndicale, Airbus « assurera le versement de 100 % des salaires de ses employés de Mirabel ».

« À tout point de vue cette entente est plus avantageuse que l’assurance-emploi ou la PCU, a souligné dans un communiqué le président de la section locale 712 de l’AIMTA, Yvon Paiement. Notre objectif est d’obtenir les mêmes résultats ailleurs, c’est pourquoi nous avons transmis exactement les mêmes demandes à d’autres employeurs, malheureusement sans obtenir de résultats concrets pour l’instant. »

L’entente prévoit que les employés pourront bénéficier de leur assurance collective tout en continuant à contribuer à leur régime de retraite. Elle déclenchera aussi des amendements aux dispositions entourant les heures « négatives » mises en banque par certains syndiqués depuis l’arrêt de production afin de maintenir leur salaire.

Le site exploité par Airbus Canada à Mirabel compte environ 2800 travailleurs. Aucune décision n’a été prise en ce qui a trait aux employés non syndiqués, a expliqué une porte-parole de l’entreprise, Annabelle Duchesne.

Mercredi, Air Canada avait signalé son intention de réembaucher 16 500 travailleurs mis à pied grâce à la subvention salariale.

WestJet prévoit également rappeler quelque 6400 employés lorsque le programme du gouvernement sera en vigueur. Cela ne veut toutefois pas dire que tous les travailleurs seront de retour au boulot, puisque le transporteur aérien a grandement réduit sa capacité depuis le début de la crise.

L’entreprise estime toutefois que la subvention devrait leur donner un coup de pouce financier.

À venir?

Entre-temps, le voyagiste Transat A.T., qui a mis à pied plus de 4000 personnes en plus d’interrompre ses activités, continue d’étudier les modalités du programme dans l’espoir de s’en prévaloir.

« Transat ayant suspendu l’ensemble de ses opérations, il ne nous sera toutefois pas possible d’offrir du travail à la plupart des employés qui bénéficieraient de la (subvention), ni de compléter la rémunération », a précisé un porte-parole, Christophe Hennebelle, dans un communiqué.

Pour sa part, Bombardier, qui a cessé la production dans ses usines canadiennes, ce qui a envoyé 12 400 employés en congé forcé, dit être en « discussions avec le gouvernement pour obtenir des détails, mieux comprendre le programme et évaluer sa situation », a fait savoir une porte-parole de la compagnie, Jessica McDonald, dans un courriel.

L’analyse se poursuit également chez le spécialiste québécois des simulateurs de vols et de la formation CAE, qui a mis à pied près du quart de son effectif, soit environ 2600 personnes, dont environ 1525 au Canada.

« Notre intention, c’est de s’en prévaloir et de rappeler le plus d’employés possible, a fait savoir la porte-parole, Pascale Alpha, dans un courriel. Nous n’avons pas complété notre analyse et nous avons toujours des questions, mais dès que nous le pourrons, nous confirmerons le tout aux employés. »

À Edmonton, le transporteur Flair a aussi affirmé qu’il réembaucherait 130 travailleurs en plus d’offrir une pleine rémunération à ses 332 employés grâce en grande partie à la subvention fédérale.

Un million d’emplois perdus

L’économie canadienne a perdu un million d’emplois en mars, la pire variation jamais enregistrée sur un mois, pendant que la crise de la COVID-19 commençait à s’installer, portant le taux de chômage à 7,8 %, a indiqué jeudi Statistique Canada.

La perte est huit fois plus importante que le record mensuel précédent, mais les économistes ont prévenu que la situation sera probablement encore pire en avril, lorsque l’impact des pratiques de distanciation physique et d’autres mesures se sera clarifié et que des millions de Canadiens auront commencé à recevoir une aide fédérale d’urgence.

Dans l’ensemble, Statistique Canada a indiqué qu’environ 3,1 millions de Canadiens avaient perdu leur emploi ou avaient vu leurs heures réduites le mois dernier en raison de la pandémie de COVID-19, une donnée qui illustre le changement dramatique et soudain du marché du travail.

Le taux de chômage national se situe désormais à son plus haut niveau depuis octobre 2010 et enregistre ainsi sa plus forte variation mensuelle en plus de 40 années de données comparables.

Plus de trois ans de gains d’emplois ont été anéantis en un seul mois, a souligné l’économiste en chef de la Banque de Montréal, Douglas Porter, dans une note qui suggérait que toutes les pertes ne seraient pas récupérées lorsque les mesures de santé publique et les fermetures commenceraient à être levées.

« L’impact économique des fermetures massives de mars est très visible, et le mois d’avril le verra très probablement s’enfoncer encore plus profondément sur la base des premiers chiffres des demandes de prestations d’assurance-emploi », a écrit M. Porter dans son rapport.

« Mais aussi choquants que soient ces chiffres, la grande question est de savoir combien de temps dureront les fermetures, et donc la persistance de cette flambée de chômage. C’est encore très sujet à débat. »

Nouvelles mesures de dénombrement

Statistique Canada a réorganisé certaines de ses mesures habituelles de dénombrement des employés, des chômeurs et des « inactifs » afin de mieux évaluer les effets de la COVID-19 sur le marché du travail, qui ont été rapides, sévères et, comme le note à maintes reprises l’agence fédérale dans son rapport, sans précédent dans l’histoire moderne.

Le nombre de Canadiens considérés comme chômeurs a augmenté de 413 000 entre février et mars, presque entièrement alimenté par des mises à pied temporaires, ce qui signifie que les travailleurs s’attendaient à retrouver leur emploi dans six mois.

Le rapport a également noté que près de 598 000 personnes avaient quitté la population active et ne recherchaient pas activement du travail, ce qui signifie qu’elles n’étaient pas comptées parmi les chômeurs.

Le nombre de personnes qui n’ont pas obtenu d’heures de travail au cours de la semaine de l’enquête sur la population active a augmenté de 1,3 million, a indiqué Statistique Canada, tandis que le nombre de personnes ayant travaillé moins de la moitié de leur nombre d’heures habituel a augmenté de 800 000.

Selon Statistique Canada, les changements peuvent tous être attribués à la COVID-19, qui a conduit les gouvernements à ordonner aux entreprises de fermer leurs portes et aux travailleurs de rester chez eux pour ralentir la propagation du virus.

L’agence a également averti que le nombre de personnes absentes du travail pendant une semaine entière sans être rémunérées, qui a atteint un taux corrigé des variations saisonnières de 55,8 %, « pourrait indiquer de futures pertes d’emplois ».

« La baisse soudaine de l’emploi observée en mars devrait avoir une incidence importante sur la performance de l’économie canadienne au cours des prochains mois », a indiqué l’agence.

La réponse du gouvernement fédéral a été tout aussi importante. Les dépenses directes consacrées à l’aide d’urgence d’Ottawa ont totalisé environ 105,5 G$, en excluant une somme à peu près équivalente en prêts et en reports d’impôts.

Le déficit fédéral explose

Un rapport distinct, publié jeudi par le directeur parlementaire du budget, a calculé que l’effet des dépenses supplémentaires, combiné à la perte d’activité économique, porterait le déficit budgétaire pour l’exercice qui vient de se clôturer à 27,4 G$.

Le rapport d’Yves Giroux prévoit que le déficit fédéral pour l’exercice qui a commencé le 1er avril dépassera 184,2 G$. Il a suggéré que davantage de dépenses pourraient être nécessaires pour soutenir les travailleurs et les entreprises que celles déjà annoncées.

« De plus, après la mise en place des mesures de soutien, des mesures de relance financières pourraient être nécessaires pour que l’économie redémarre, surtout si le comportement des consommateurs et des entreprises ne revient pas à la « normale » rapidement », a écrit M. Giroux dans le nouveau rapport.

Peu de secteurs épargnés

Des pertes d’emplois ont été ressenties dans toutes les provinces, les plus importantes étant enregistrées en Ontario, au Québec, en Colombie-Britannique et en Alberta. L’Ontario a perdu 403 000 emplois, le Québec en a perdu 264 000, la Colombie-Britannique a enregistré une baisse de 132 000 et l’Alberta en a perdu 117 000 par rapport au mois précédent.

Le taux de chômage a aussi augmenté dans les trois provinces des Maritimes. Il est passé de 6,9 % à 8,8 % au Nouveau-Brunswick, de 7,8 % à 9 % en Nouvelle-Écosse et de 8 % à 8,6 % à l’Île-du-Prince-Édouard.

La plupart des pertes d’emplois se sont produites dans le secteur privé, et les plus fortes baisses d’emploi ont été observées chez les jeunes de 15 à 24 ans. Le taux de chômage des jeunes en mars était de 16,8 %, son plus haut depuis juin 1997.

Même dans les secteurs particulièrement touchés, restaurants, hôtels et autres entreprises de services destinés au public, toutes les professions n’ont pas été affectées de la même manière.

Les emplois dans les ventes et les services, qui représentent environ le quart de la main-d’œuvre canadienne, ont représenté un peu plus de 60 % de toutes les pertes d’emplois en mars, soit une baisse d’environ 625 000.

Ces travailleurs sont relativement mal payés, ce qui, selon l’agence, suggère que « les premiers travailleurs à avoir connu des pertes d’emplois en raison de la COVID-19 sont parmi ceux qui sont les moins en mesure de faire face à des difficultés économiques ».